Le Froid augmente avec la clarté, projet de Claude Duparfait
Le Froid augmente avec la clarté, librement inspiré de L’Origine et La Cave de Thomas Bernhard, un projet de Claude Duparfait
Quête d’identité et affrontement originel, dans une tension de l’écriture, reconnaissable entre toutes, qui tourne sur elle-même, avançant sous la clarté froide à laquelle il faut résister.
Le spectacle de Claude Duparfait, artiste associé au Théâtre national de Strasbourg, est inspiré des deux premiers romans autobiographiques de Thomas Bernhard (1931-1989), L’Origine et La Cave, récits de cette adolescence passée à Salzbourg, avec une vision de la guerre, et du collège où il entra en 1943. Et dont la Direction des études passa du national-socialisme au catholicisme… Des images funestes surgissent, évoquant cette double violence, avec, au mur, un portrait d’Hitler, puis une crucifix, symboles qui sapent la pensée en formation, la faculté intellectuelle à réfléchir seul.
L’envie de mettre fin à ses jours hante l’adolescent, effrayé et solitaire, qui fait son apprentissage du violon dans « la petite pièce à chaussures ». Mélancolie exacerbée par la séparation d’avec son grand-père tant aimé,un anarchiste, anticonformiste et philosophe, observateur de la nature, appréciant la peinture et la musique, et qui lui donna l’amour des arts…
Le narrateur évoque sa fuite en 1947 du lycée bien-pensant et mortifère de Salzbourg, lui préférant le «sens opposé» que les autres et les conventions honnissent ; une conviction intime et une musique intérieure, doublée d’une rage de vivre. Apprenti dans une épicerie en sous-sol d’une banlieue ouvrière, le jeune Thomas vit cette expérience comme une épreuve nécessaire une « antichambre de l’enfer». Il y côtoie de vraies personnes, humbles travailleurs et mères de famille. Une scène festive et récréative avec masques et danse illustre ici son nouveau compagnonnage avec le peuple.
Cette parole du refus est mise en scène avec délicatesse par Claude Duparfait qui joue l’autobiographe adulte, confronté enfant d’abord, à la présence tutélaire et affectueuse de son grand-père qu’incarne Thierry Bosc, avec un débit verbal heurté et une justesse sentie des propos: le metteur en scène connait bien le rythme de cette écriture.
Florent Pochet interprète lui, le jeune Thomas, et fait résonner son inquiétude fondatrice. Et Claude Duparfait, créateur à deux niveaux: scène, et théâtre dans le théâtre, regarde attentif, depuis son pupitre, évoluer les identités qui habitent son personnage, en même temps ou successivement. Ainsi, Annie Mercier, très ludique, a une présence distanciée et patiente, et elle lance ses diatribes contre une société de géniteurs irresponsables et obscurantistes qui ne savent pas éduquer leurs enfants!
La scénographie de Gala Ogniberne enserre l’espace dans une boîte imposante de bois sombre comme un ancien pupitre d’élève et un placard à chaussures, soit une mise en abyme de tous les enfermements possibles. Peu à peu, au fil des bouleversements, et chemin historique et existentiel faisant, le sol s’ouvre à la lumière, décomposant un puzzle de lattes de bois qui, décalées, puis soulevées et enlevées, laisse filtrer le jour par des soubassements grillagés. De même, le plafond se déleste de ses parois protectrices, laissant advenir la clarté.
Au lointain, sous une pluie de soleil, une fenêtre s’ouvre enfin : Pauline Lorillard, la narratrice enjambe la fenêtre et tombe, sur le plateau, dans la caverne de l’écrivain. Figure de vérité et de liberté, allégorie d’une écriture réparatrice, la poésie répand la vie dans un souffle animé, vainqueur, en dépit des amertumes et des malheurs.
Un quintette verbal qui sonne bien, sert au mieux la partition de Thomas Bernhard. On a l’impression d’entrer dans une fabrique vivante d’un douleur d’être au monde, avec, au bout, l’art d’écrire comme délivrance…
Véronique Hotte
Théâtre National de Strasbourg, jusqu’au 12 mai. T : 03 88 24 88 24.
Théâtre National de la Colline, rue Malte Brun Paris XXème, du 19 mai au 18 juin. T. : 01 44 62 52 52/