Dissection d’une chute de neige et Maison de poupée

 

L’Ensemble 24 des élèves de L’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes: parcours de 2014 à 2017


Dissection d’une chute de neige
de Sara Stridsberg, traduction de Marianne Ségol-Samoy, mise en scène de Maëlle Poésy

 Cette auteure suédoise de quarante quatre ans a écrit plusieurs romans comme, entre autres, Hally Sally, l’histoire de la première Scandinave à avoir traversé la Manche à la nage. Et La Faculté des rêves  qui lui a valu le Grand Prix de littérature du Conseil nordique. Un texte qui a été ensuite adapté au théâtre sous le titre Valérie Jean Solanas va devenir Présidente de l’Amérique. Et Darling River qui a pour thème, le personnage de la fameuse Lolita de Vladimir Nabokov. Sara Stridsberg est aussi l’auteure de Medealand, créée en France il y a deux ans par Jacques Osinski (voir Le Théâtre du Blog).

Pour Dissection d’une chute de neige, Maëlle Poésy s’est inspirée de la vie de la reine Christine qui régna en Suède au XVII ème siècle : «Je suis persuadée, écrivait-elle, que j’aurais mieux fait de m’émanciper tout à fait des règles morales, et c’est l’unique faiblesse dont je m’accuse ; car, n’étant pas née pour m’y assujettir, je devais me mettre entièrement en liberté là-dessus, comme ma condition et mon humeur l’exigeaient.»
Pour cette reine exceptionnelle, très féministe avant la lettre, le mérite est tout et la naissance pas grand chose : «Il y a, disait-elle, des paysans qui naissent princes et des rois qui naissent paysans et il y a une canaille de rois, comme il y en a une de faquins. » (…)Les passions sont le sel de la vie ; on n’est heureux ni malheureux qu’à proportion qu’on les «violentées.»
Cette reine, elle-même écrivain, à la personnalité bien trempée, avait su réunir dans une Suède pauvre et très rurale vers les années 1650, nombre d’éminents savants, écrivains et artistes suédois, hollandais mais aussi français comme l’architecte Simon de la Vallée ou René Descartes.

De cette grande figure de reine, Sara Stridsberg s’est inspirée pour créer ce curieux personnage de femme libre, d’abord élevée comme un garçon, toujours en rébellion contre les principes que ses proches veulent lui imposer: «Le temps est éternel, un non-temps. Peut-être le présent, peut être est-ce un conte, ou peut-être un siècle passé, froid et violent. Un royaume en Europe, les derniers temps d’un souverain avant qu’il ne s’en aille. La fille Roi se tient devant le Pouvoir. »
Et Maëlle Poésy a visiblement pris un grand plaisir à mettre en scène cette curieuse  fable contemporaine où on parle d’identité féminine et lutte permanente contre la «normalité». En dirigeant au plus serré, des élèves de la promotion sortante : Géraud Cayla, Edith Maialender, Malo Martin, Séphora Pondi, Ytu Tchang, Thibault Villette et Antoine Vincenot.

Sur le grand plateau nu, un lit en fer militaire avec une couette, une petite table où trône une grosse machine à écrire parmi des feuilles de papier blanc, et en fond de scène, sept mètres de livres rangés côte à côte sur la tranche. De légers flocons de neige tombent lentement mais sûrement, comme dans les spectacles de Jérôme Savary. Il ne s’agit en rien d’un détail mais d’une réalité poétique essentielle. Cerise sur le gâteau pédagogique, l’équipe du CFA des métiers du spectacle et les apprentis constructeurs ont réalisé ces «bannes» à neige qui, depuis les cintres, dispensent à la perfection ces petits flocons blancs comme une image d’éternité…

En figure de proue, le personnage principal de la reine/ roi qui ne sait pas quoi faire de ses envies de liberté , qui voudrait être à la fois un homme et une femme, qui n’a en même temps aucune envie du pouvoir mais ne voudrait en aucun cas y renoncer.  Incarnée ici par une très jeune comédienne Ytu Tchang ; malgré quelques moments un peu flous, sans doute dûs à la fatigue,  elle se sort au mieux d’un texte souvent bavard qui, même déjà coupé, reste long et qui, pour reprendre l’expression de Bernard Dort, ne rend pas toujours la monnaie de la pièce…
Maëlle Poésy qui avait bien mis en scène Candide de Voltaire, et Ceux qui errent ne se trompent pas l’an dernier (voir Le Théâtre du Blog) sait diriger ces jeunes comédiens avec intelligence, précision et efficacité. Et il y a, ce qui n’est pas si fréquent, une réelle unité de jeu. Surtout en quelques semaines, soit le temps généralement prévu pour un travail avec des acteurs professionnels confirmés.


Une Maison de poupée d’Henrik Ibsen, traduction d’Eloi Recoing, mise en scène d’Antoine Oppenheim

Avec les autres élèves de cette même promotion, c’est une sorte de version-poche de la célèbre pièce (1879) du dramaturge norvégien qui, plus d’un siècle après sa création, reste souvent un terrain de jeu favori pour les jeunes apprentis-comédiens et/ou metteurs en scène.
Ici, c’est un travail d’école de quelques semaines à La FabricA d’Avignon auquel Antoine Oppenheim (voir Le Théâtre du Blog) s’y est collé. Cela se passe dans une petite salle de l’E.R.A.C., avec une grande baie vitrée donnant sur une rue de Marseille. Aucun décor : les portes du décor étant celles de la salle… Aucun accessoire non plus, sinon un vase de fleurs quelques cartons de cadeaux de Noël, quelques chaises, et des châssis vitrés pour des projections vidéo non-figuratives.
Donc un travail sans filet, avec un texte souvent et volontairement vite dit, dans la ligne de Christian Benedetti pour ses mises en scène d’Anton Tchekhov. Et cela donne quoi ? Du meilleur : un regard neuf avec un texte nettoyé de tout superflu (parfois un peu trop). Et où les personnages secondaires comme Ivar, Bobby et Emmy, les enfants, Anne-Marie, la vieille nourrice de Nora et Hélène, la servante sont éliminés…

Les  jeunes comédiens sont très investis dans leurs personnages. Dans le rôle un peu écrasant de Nora, Clémentine Ménard, à seulement vingt-deux ans, arrive à imposer assez  vite ce personnage de jeune femme à la fois autoritaire et fragile, quand elle prend conscience qu’elle doit, pour survivre, se libérer absolument en le quittant, de la tutelle d’Helmer, un banquier  à qui elle est mariée depuis huit ans. Une situation qui lui paraissait jusque-là confortable…
Mais ce serait bien que la jeune actrice ne boule pas son texte (est-ce Antoine Oppenheim qui l’a fait travailler dans cette direction ?) surtout dans une mise en scène tri-frontale où on entend moins bien les acteurs, quand ils ne sont pas face  à nous.
Marie Lévy est aussi très crédible dans le personnage de Kristine, l’amie de Nora. Les garçons paraissent moins sûrs d’eux et ont plus de mal à entrer dans leurs personnages, que ce soit Thorvald Helmer, le docteur Rank, vieil ami du couple et amoureux de Nora, Nils Krostadt, l’employé du banquier qui va faire chanter Nora… Il faut dire que ce n’est pas tâche facile!

Côté moins bien:  Antoine Oppenheim aurait pu nous épargner les stéréotypes actuels: petites courses autour de l’aire de jeu, lumières rasantes, entrées par les portes de la salle, vidéos inutiles, etc. Malgré tout-et c’est l’essentiel-on voit bien les qualités des jeunes comédiens de cette promotion, surtout Clémentine Ménard.
Michel Corvin qui a été l’un de leurs enseignants, doit les regarder avec bonheur, du haut de son petit nuage. Et si les petits cochons ne les mangent pas, elle et ses camarades  devraient trouver du travail…

Philippe du Vignal

Travaux vus à l’E.R.A.C., La Friche de la Belle de mai, 41 rue Jobin, Marseille (IIIème), le 15 avril. 

Le texte de Sara Stridsberg est publié à l’Arche-Editions.


Archive pour avril, 2017

La Chose Commune d’Emmanuel Bex et David Lescot

crédit photo :Christophe Raynaud de Lage

crédit photo :Christophe Raynaud de Lage

La Chose Commune d’Emmanuel Bex et David Lescot, mise en scène de David Lescot

 Elle n’aura duré que le temps des cerises, du 18 mars au 28 mai 1871, la Commune,  mais visionnaire, elle a laissé bien des traces,  riche d’idées fécondes qu’il  faut  aujourd’hui  encore défendre : laïcité, justice, réorganisation du travail, libération de la femme, liberté d’expression pour les artistes…

Emmanuel Bex, compositeur et David Lescot, écrivain et metteur en scène, se sont immergés dans ce printemps politique et social; ils font revivre, en paroles et en musiques, cette épopée tragique : « C’est un concert, dit David Lescot,  mais un concert qui raconte, un concert où l’événement se déroule en temps réel, comme si on y était, comme si l’histoire était présente.»

D’abord seul en scène, David Lescot, en octosyllabes cavalcadants, chante-parle sa course effrénée dans les rues de Montmartre, le 18 mars, témoin oculaire de la liesse républicaine, après le long siège de Paris. Des cortèges d’hommes et de femmes s’ébranlent, et les soldats se rallient aux insurgés au milieu des acclamations :« Vive l’armée, vive la République, vive la Commune ! » (…) «Paris est à nous ! » conclut-il.

Pendant cette introduction, la musique entre progressivement en scène avec Emmanuel Bex, virtuose de l’orgue Hammond, Simon Goubert, grand batteur du jazz français, compagnon de route de Christian Vander et membre de Magma, et Géraldine Laurent, saxophoniste aux improvisations tendres et vibrantes. Ils vont soutenir ensuite le rappeur new-yorkais Mike Ladd qui raconte l’espoir, avec ses mots et sa langue, dans Together we are strong. Les surtitres en français ont du mal à rattraper son groove syncopé, inspiré par la lutte : «We keep on going, we don’t stop. (…) together we are strong (…)  I’ve got you, you’ve got me, together… » (La lutte continue, ensemble on est fort etc.) Héritier des Last Poets américains des années soixante-dix, il nous plonge dans  ces chaudes journées.

Plus posée, la chanteuse Elise Caron présente, sous forme de fiche signalétique policière, Elisabeth Dmitrieff, révolutionnaire russe envoyée par Karl Marx à Paris pour observer l’événement. Elle y a créé l’Union des femmes pour la défense de Paris et s’est battue comme une folle sur les barricades. Échappant aux Versaillais, elle fut jugée par contumace et, au cours d’une vie romanesque, fonda, entre autre, l’Association internationale des travailleuses…
Changeant alors de timbre vocal, Elise Caron interprète aussi, en duo avec David Lescot, La Canaille, chant révolutionnaire d’Alexis Bouvier, arrangé en rap…

Dans cet opéra-jazz, on trouve des textes originaux de David Lescot et de Mike Ladd, des chants révolutionnaires recomposés par eux ou des poèmes de Paul Verlaine ou d’Arthur Rimbaud.  Ont aussi été mis en musique un magnifique édito de Jules Vallès dans son journal Le Cri du Peuple,  et un manifeste féministe.

Ici la part des femmes est largement revendiquée. Lors des rappels, en fin de concert, on énumère la liste des vingt  femmes déportées en Nouvelle-Calédonie. Parmi elles, Louis Michel dont on découvre le magnifique récit de sa traversée en bateau : « Moi qui toute ma vie, avais rêvé les voyages, en plein océan, entre le ciel et l’eau, comme entre deux déserts où l’on n’entendait que les vagues et le vent. /Nous vîmes la mer polaire du Sud où, dans une nuit profonde, la neige tombait sur le pont. » Lui répond  une chanson poétique de David Lescot Le Sillage. Est-ce cette mer et cette héroïne que signifie la vague de lumière fluo aux couleurs changeantes qui surplombe le décor simple et imaginatif de François Gautier-Lafaye ?

Jazz et théâtre, partitions et textes, mélodies et parler-chanter sont en symbiose parfaite, réservant à chaque interprète, exceptionnel, des échappés en solo et une liberté d’improvisation. Liberté en phase avec cette Commune de Paris, elle aussi, laboratoire politique et porteuse de rêves et d’utopies.

Ce spectacle-coup de poing fait la part belle à l’émotion sans jamais se laisser attendrir par la nostalgie. Récit historique, il témoigne aussi d’une formidable aventure humaine en faisant revivre celles et ceux qui ont versé leur sang pour nos libertés à venir. Des libertés toujours menacées. « Oui, mais/Ça branle dans le manche/Les mauvais jours finiront./Et gare à la revanche! /Quand tous les pauvres s’y mettront. /Quand tous les pauvres s’y mettront. ». Comme le laissent entendre les variations de Mike Ladd et David Lescot sur La Semaine sanglante de Jean-Baptiste Clément et Pierre Dupont, écrite après la défaite des Communards…

A voir pour ne pas perdre la foi en l’homme (et la femme) !

Mireille Davidovici

Espace Cardin, Paris VIIIème/Théâtre de la Ville, jusqu’au 29 avril.
Le 1er août, Festival Jazz in Marciac (Gers).
les 10 et 11 octobre, à la Comédie de Caen. Les  12 et 13 octobre au Triton, Les Lilas (Hauts de Seine).

Le 15 novembre, Festival Jazz de Nevers (Nièvre).


 

Carmen de Georges Bizet

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Carmen de Georges Bizet, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, mise en scène de Daniel Benoin, direction musicale de Nicolas Krüger, avec l’orchestre philharmonique de Nice, et le chœur de l’Opéra de Nice, direction de Giulio Magnanini, chœur d’enfants de l’Opéra de Nice, direction de Philippe Negrel

 Sans doute un des opéras les plus joués au monde, alors qu’il n’avait pas été très bien accueilli à sa création en 1864! A Séville  devant une caserne et une manufacture de tabac, Micaëla  est venue chercher son fiancé, le brigadier Don José. Les cigarières  de la manufacture, elles, fument sans état d’âme et Carmen expose aux soldats sa philosophie de l’amour : »L’amour est enfant de bohème Il n’a jamais jamais connu de loi Si tu ne m’aimes pas, je t’aime si je t’aime, prends garde à toi. »

Carmen, provocatrice, abordera Don José à qui Micaëla viendra annoncer qu’elle vient de la part de sa mère, et lui remet une lettre qui conseille au jeune homme d’épouser… la porteuse de cette lettre. Ambiance ! Par ailleurs, Carmen s’est moquée d’une ouvrière,  et l’a marqué d’une croix avec un couteau. Don José sera chargé de la conduire en prison, mais, très libre, elle commence à  flirter avec lui : « Qui veut m’aimer, je l’aimerai. » Et Don José la laissera s’échapper…

Deux mois plus tard, dans une taverne, repaire notoire de contrebandiers, Carmen chante avec ses amies bohémiennes Mercedes et Frasquita. Don José emprisonné pour l’avoir laissé échapper , est sorti de prison. Escamillo le toréador essaye en vain de charmer Carmen et les contrebandiers  voudraient embringuer Carmen qui refuse, au motif qu’elle est amoureuse.  et va s’amuser à le rendre jaloux…

Don José doit rejoindre son unité, mais Carmen lui demande de le suivre dans la montagne avec les contrebandiers. Il lui dit alors adieu pour toujours… Mais il la rejoindra. Plus tard, Il se querelle avec elle, qui lui avoue que son amour a faibli, et quand il pense à sa vieille mère, elle lui conseille d’aller la retrouver, et l’injurie. Don José tire sur un inconnu : c’est Escamillo, le torero venu ici, dit-il, pour une belle nommée… Carmen. Bagarre avec Don José qui veut  frapper Escamillo mais elle l’en empêche. Et le toréador l’invite alors aux courses de Séville.

Micaëla est venue chercher Don José, dont la mère, dit-elle, se meurt. Carmen l’encourage à  y aller ; il part contre son gré, et lui lance:«Sois contente, je pars, mais nous nous reverrons.» On entend au loin Escamillo qui chante, lui, sûr d’avoir gagné le cœur de sa Carmen. On est dans une rue à Séville, à l’entrée des arènes.
Entrent alors les toreros, banderilleros, picadors, qui, ici dans la mise en scène de Daniel Benoin, sont tous groupés dans la rue. Et on voit Escamillo et Carmen dans un lit dans une chambre sans quatrième mur de façade… Don José arrive, la supplie de lui pardonner et de le suivre mais elle refuse et il la menace. On entend le public saluer le triomphe d’Escamillo. Carmen jette la bague qu’il lui avait offerte; désespéré, Don José la tue d’un coup de poignard…

Nous connaissons tous les célèbres morceaux de cet opéra fabuleux, comme entre autres ,le Prélude, puis le chœur des enfants: « Avec la garde montante », celui des cigarières;  le fameux  « L’amour est un oiseau rebelle » et la séguedille « Près des remparts de Séville », le prélude de l’acte III, l’air de Micaëla :« Je dis que rien ne m’épouvante », le duo Escamillo-Carmen :« Si tu m’aimes Carmen », etc.

Une œuvre certes populaire entre tous, mais comment la traiter aujourd’hui? Peter Brook en avait fait un formidable opéra de chambre,  La Tragédie de Carmen (1981) à partir de l’opéra de Georges Bizet et de la nouvelle originale de Prosper Mérimée. En fait, il l’avait recréé : plus de folklore gitan ni « couleur locale », et en avait privilégié les moments les plus dramatiques. Jeu des chanteurs, décor et costumes très sobres .

Daniel Benoin, lui, a respecté l’intention de Georges Bizet qui voulait faire de cette Carmen, une femme libre face aux hommes. Mais il a resitué cet opéra dans le contexte de la République espagnole puis de l’arrivée au pouvoir de Franco. “«Avec Dom Juan et Figaro », dit-il, « Carmen incarne ce que j’appelle les trois révoltés de Séville, contre Dieu pour Dom Juan, contre les femmes pour Figaro, et contre les hommes pour Carmen… Il m’a semblé intéressant de transposer son histoire, juste avant le début de la guerre en 1936, pour que la soif de liberté de Carmen soit une figure de résistance, face à l’oppression qui allait se mettre en place dans le pays. Séville était alors nationaliste, du côté de Franco pour le dire vite, mais autour de la ville, les républicains occupaient le terrain. Cette approche historiciste enrichit encore l’intrigue, je crois. »

Reste à savoir comment faire accorder cette histoire au doux parfum de mélo, avec l’Histoire tragique qui a bouleversé tout un pays et l’Europe avec l’arrivée de nombreux émigrés, quand Franco prit le pouvoir. Il nous souvient avoir ainsi bien connu un vieil homme cassé mais d’une grande dignité, pauvre et mal payé par une école privée parisienne où il enseignait l’espagnol… après avoir été ministre de la République.

Ainsi au début, la façade de la caserne est habillée de sacs de sable, comme en temps de guerre ou de menaces d’attentats. Et on peut voir s’affronter soldats nationalistes  et ouvrières de l’usine de cigares. Dans la bodega, Escamillo, des notables et des religieux ont rallié l’insurrection mais Don José, lui, rejoindra les républicains comme nombre de Navarrais, pour l’amour de Carmen. Non dans les montagnes comme dans l’opéra original, mais dans une région marécageuse proche de Séville. Avec des armes envoyées par l’URSS. Et enfin, le Jour de l’Assomption, jour de triomphe de la Vierge et des nationalistes avec Franco, aura lieu la corrida…

 Et cet “enrichissement” fonctionne ? Oui et non, mieux vaut en effet bien connaître l’histoire de cette guerre civile et l’Espagne comme Daniel Benoin. Par exemple, il faut se pincer un peu pour croire que les soldats entraînent des cigarières pour les violer.  Même si cela s’est couramment fait pendant la guerre civile. Au Pays basque, la répression frappe les prêtres catholiques qui avaient maintenu la présence de l’Église en territoire républicain, alors que le haut clergé  était nationaliste.

Mais le spectacle peut être vu à plusieurs niveaux, grâce à une mise en scène des plus soignées et quelques discrètes projections vidéo,(documentaires d’époque en noir et blanc avec défilés militaires et  processions religieuses).  Daniel Benoin resitue habilement les choses, et, avec une superbe maîtrise de ce grand plateau, réussit à donner une vie intense à cette Carmen, sans la dénaturer.

Il y faut la bonne expérience de l’opéra qu’il a acquise pour  pratiquer une balance entre scènes intimes et grands rassemblements, avec entrées et sorties du chœur et des protagonistes. Là,  le metteur en scène sait faire, sans tricher et avec fluidité, ce qui n’est pas évident, quand il s’agit souvent d’une cinquantaine de personnes à diriger. Grâce aussi à Jean-Pierre Laporte qui a imaginé, entre autres décors,  un marécage, repaire des contrebandiers qui tient presque d’un décor de film. Le dernier,  celui d’une rue, est en fait une subtile projection vidéo.  Et d’intelligents costumes, en partie importés d’Espagne et signés Nathalie Bérard-Benoin, tout en nuances et en harmonie avec les décors, n’ont rien de superlatif. Bien vu…
 Côté interprétation lyrique, nous ne nous permettrons pas de juger mais Aurore Agolin, jeune et belle guadeloupéenne, mezzo soprano, est bien Carmen, un personnage qu’elle a déjà interprété à plusieurs reprises.Bien entourée de deux remarquables chanteurs canadiens, Luc Robert (Don José) et Jean-Krystof Bouton (Escamillo).

Le public, pas très jeune (comme pour tout opéra, les places ne sont pas données mais il y avait aussi quelques lycéens et étudiants), a très longuement applaudi la mise en scène de cette œuvre restée inoxydable plus d’un siècle après sa création…

 Philippe du Vignal

 Spectacle vu à Anthéa,Théâtre d’Antibes le 9 avril, et créé du 19 au 25 mars à l’Opéra de Nice.

 

 

 

 

 

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Trois précédé de Un et Deux

Trois précédé de Un et Deux, texte (en collaboration avec les interprètes), et mise en scène de Mani Soleymanlou

TROIS PRECEDE DE UN ET DE DEUX (Mani SOLEYMANLOU) 2017

L’acteur et metteur en scène québécois reprend Un, monologue autobiographique créé en 2011, qu’il avait déjà joué en 2013 à Chaillot, et qu’il fait suivre ici de Deux, avec Emmanuel Schwarz et de Trois, avec quelques-uns de ses comédiens, des élèves d’une école de théâtre parisienne et Gustave Akakpo. Le spectacle a été créé au Festival TransAmériques 2014, et dure plus de quatre heures quand même (avec deux entractes) !

 Iranien de Téhéran, Mani Soleymanlou a un peu vécu à  Paris, Toronto et à Ottawa, puis s’est s’installé à Montréal. Le muti-culturalisme, il connaît:«J’ai fini mon primaire à l’École élémentaire Jeanne-Lajoie, sur la rue Lawrence, dans le quartier North York, pour poursuivre mes études à l’École secondaire Étienne-Brûlé, toujours à Toronto, dans le même quartier, sur la rue Yorkmills… Nous étions 350 élèves, 82 nations…(…) Dans ma classe, il y avait Sounia, une Marocaine québécoise; Talia, une Égyptienne-Gréco-Québécoise; Victor, un Péruvien; un voyageur de Toronto; Mathieu, un Acadien du Nouveau-Brunswick, et moi.

 Deux 08@Jérémie BattagliaIl nous parle de son rapport à l’Iran que sa famille avait fui, quand le chah a dû partir. Il remonte jusqu’à son arrivée dans ce pays froid où il lui faut vite trouver des repères. « Je résume. L’Iran, on me l’a arraché. En France, j’étais Iranien. À Toronto, j’étais pendant quelque temps, un Français-Iranien ensuite Canadien that quickly became Canadian. À Ottawa, j’étais un Torontois-Français-Iranien. À Montréal, je suis un Torontois-Arabe-Iranien qui a vécu en France et à Ottawa…et aujourd’hui, on me dit : eille mon gars, t’es QUÉBÉCOIS !!!

Il parle aussi des ses amis iraniens et de leur dur combat en 2009, pour leurs libertés. Mais aussi de son identité maintenant québécoise, de son enfance en Iran, de sa culture persane… qu’il avoue connaître très mal et surtout par Internet , de sa langue, le pharsi. “Mon Iran qui n’est pas le mien mais le vôtre”. Bien sûr, on pense à cet autre exilé qu’est le libanais-franco-québécois Wouajdi Mouawad, devenu directeur du Théâtre de la Colline, dont il cite l’exemple.

 Il évoque aussi et de façon impitoyable le roi du Maroc, mais aussi la vie de ses amies comme Rebecca, une jeune femme juive qui se consacre à sa religion et à ses trois enfants. Il se met aussi à danser sur Bambino, le fameux tube des années 50 chanté par Dalida. Debout ou assis, dans un très beau et simple dispositif: quarante neuf chaises de conférence,  bien alignées en carré sur le grand plateau de la salle Jean Vilar, et servi par des lumières d’Erwan Bernard qui est pour beaucoup dans ce spectacle. Mani Soelymanlou maîtrise parfaitement ce monologue qu’il a joué deux cent fois! Et qui est donc très rodé.

On l’écoute souvent avec un grand plaisir, même s’il boule parfois son texte et s’il a tendance à criailler; il semble parfois se faire plaisir avec un texte qui n’est pas toujours à la hauteur. Après un entracte de vingt minutes, on le retrouve avec son complice Emmanuel Schartz qui se plaint: « T’as écrit dans le programme : «D’un père juif anglophone et d’une mère catholique francophone.» On est même pas pratiquants ! Personne s’identifie comme ça chez nous ! Qu’est-ce que tu veux que je te dise Mani ? Pis qu’est-ce qui arrive si je te parle pas de ça ? Qu’est-ce que je fais ici ? »

 L’auteur et metteur en scène “confronte, dit-il, son identité québécoise à celle d’un Québécois “de souche”. Mais, ironique, son ami annonce vite la couleur: “Ben, je me disais, Mani… qu’on pourrait peut-être ouvrir un peu, ouvrir sur une autre thématique…T’as pas peur de te répéter un peu ? Les gens vont dire :« Oh, sa deuxième pièce parle encore de la même affaire. »

 Et c’est en effet reparti pour un tour, sur le problème identitaire mais aussi sur la façon dont s’est construit le premier monologue. Les deux comédiens, très à l’aise, savent se servir d’un grand plateau. Et on les écoute avec attention, enfin… pendant une demi-heure! Le point faible: un texte trop vite écrit, souvent facile et peu convaincant, alors qu’on est déjà à plus de deux heures de spectacle! Cherchez l’erreur!

Après un nouvel entracte, nous avons droit à une troisième partie , trop longue, trop bavarde, mais parfois réussie sur le plan gestuel donc sans doute la plus efficace auprès du public , avec la collaboration des acteurs de la compagnie, et de jeunes apprentis-comédiens parisiens. Soit plus de trente personnes sur le plateau, avec baskets rouges ou vertes, toutes habillées de noir, sauf le remarquable auteur conteur et comédien togolais Gustave Akakpo, lui en vieux sage africain.  Vêtu d’un boubou très coloré, il débite quelques proverbes du genre: “Si tu vois une tortue sur un manguier, c’est que quelqu’un l’ a posée là”. Une vraie merveille…

 Il y a aussi une sorte de jeu des mille euros. Et de formidables morceaux de vie personnelle racontés par certains des participants… Ou encore une très belle scène où on voit la plupart des comédiens en train de suivre dans le noir  sur leur téléphone portable le film d’un attentat qui vient de se produire. Les jeunes apprentis-comédiens, recrutés spécialement, ont travaillé pendant un mois avec  Mani Soleymanlou et ils se tirent très bien de cet exercice périlleux dont la base a sans doute été un nombre important d’improvisations. Et malheureusement cela se voit. Pour le meilleur mais aussi pour le pas très bon du tout… Le  texte, en effet, se prend trop au sérieux et on a la nette impression que ces quatre heures et quelque, même allégées par deux entractes, auraient pu être réduites de moitié, sans nuire à une certaine efficacité du propos. Cette quête personnelle sur l’exil s’écoute mais a quelque chose de lassant… et n’évite pas les redondances. Même si cela dépend beaucoup du public mais dans une grande salle comme celle de  Chaillot, ce genre d’exercice suppose qu’elle soit bien remplie sinon on risque de courir au casse-pipes programmé

Mais cela dit, les grandes engueulades collectives, magnifiquement réglées par Mani Soleymanlou, où chacun braille, dans une confusion totale, ont quelque chose d’émouvant et de comique à la fois.  Il y a dans cette dernière partie, un rythme remarquable et une façon bien à lui d’imposer un propos: quand il parle de la France multi-ethnique, il a une sincérité et une intelligence qui lui valent la sympathie, et de chaleureux applaudissements du public,  très en phase avec le spectacle: Mani Soleymanlou sait manier le dérisoire à la perfection, surtout quand il met à jour les clichés sociétaux…

Et puis encore une fois, il y a la formidable présence de Gustave Akakpo. Et une scénographie simple efficace et  qui fonctionne bien. Le point faible du spectacle restant, disons clairement les choses, une dramaturgie mal ficelée. Ce qui aurait pu être une petite merveille en deux heures et quelque, a quelque chose d’indigeste quand il dure le double. Dommage. Que cela ne vous empêche pas d’aller voir, conçu par nos cousins québécois, cet ovni théâtral, parfois proche d’un happening, mais vous êtes prévenu: l’éternité, c’est long, un peu sur la fin et  plus que long, dans le seconde partie du spectacle.

Philippe du Vignal

Théâtre National de Chaillot, Place du Trocadéro, Paris XVIème du  18 au 22 avril. T: 01 53 65 30 00; représentations avec programmes détaillés en braille, en caractères agrandis, et en version audio, les 21 et 22 avril, à 19h.
Tarmac/Scène Internationale Francophone, Parc de la Villette, Paris XIXème, du 25 au 29 avril.

 

 

 

 

 

 

 

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L’Opéra, un documentaire de Jean-Stéphane Bron

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L’Opéra, un documentaire de Jean-Stéphane Bron

On se souviendra longtemps de la joie du jeune chanteur russe Mikhail Timoshenko que l’on voit à son entrée à l’Académie de l’Opéra, et de ses premières vocalises comme baryton-bassedans l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille. Un parcours qui est l’un des fils rouges de ce documentaire sans concession, au sein de cette institution nationale, et qui se fait l’écho des circonstances  du tournage, et qui ont bouleversé le personnel d’une maison régie par des codes bien spécifiques. En effet, après une surprenante démission, Benjamin Millepied  transforma sa conférence de presse, en barnum médiatique (voir Le Théâtre du Blog).

On y voit aussi la remarquable intervention de Stéphane Lissner entouré des artistes, à l’Opéra-Bastille, le lendemain des attentats du 13 novembre 2015, juste avant que ne commence La Bayadère.  ce qui frappe aussi: la grande dignité du personnel, dans la petite pièce du service Sécurité, pendant la minute de silence qui suivit cet hommage…
Stéphane Lissner semble aussi avoir oublié la présence de la caméra, lors de certains entretiens privés, quand ont lieu certains  événements délicats qui jalonnent la vie d’un directeur de théâtre.

Ce documentaire nous fait partager la vie des coulisses, avec, entre autres, le travail d’une extrême précision du chœur de l’Opéra, l’enthousiasme et les incertitudes du docteur Jean-Michel Klein qui a la redoutable tâche de gérer le taureau nommé Easy Rider, acteur emblématique de la pièce Moses und Aron d’Arnold Schoenberg, mise en scène par Roméo Castelluci (2015),  ou encore les doutes et les rêves des jeunes apprentis-musiciens du programme Dix mois d’Ecole et d’Opéra.

Ce film témoigne enfin des conflits sociaux, ou du problème des prix excessifs des places, malgré les importantes subventions que reçoit cette grande maison aux coûts de fonctionnement exorbitants. Et les productions chorégraphiques, moins présentes que les productions lyriques, mais filmées au plus près des danseurs, mettent en évidence les épreuves et souffrances physiques qu’ils endurent. Presque tous les corps de métiers participant aux créations, sont évoqués ici avec tendresse et émotion. Seul le public, partenaire essentiel des spectacles,  semble avoir été oublié …  

Ce documentaire d’une heure cinquante, qui traverse une saison, dans les coulisses de l’Opéra Garnier et de l’Opéra-Bastille, amènera le public, ancien ou nouveau, à découvrir ces lieux emblématiques des arts lyrique et chorégraphique en France et dans le monde. 

Jean Couturier

Film en salle depuis le  5 avril.    

Rencontres des jonglages / Héros Fracas / All the Fun

 

Rencontres des jonglages:

 Ce festival, organisé par la Maison des jonglages  du 8 au 30 avril, fête son dixième anniversaire, avec des représentations dans de nombreux théâtres partenaires en Ile-de-France: depuis sa base arrière, La Courneuve, jusqu’à Evry (Essonne) et Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), en passant par Paris, Aubervilliers et Saint-Ouen (Hauts-de-Seine). Depuis plusieurs années, dit Thomas Renaud, son directeur, la création « jonglée » se marie avec de nombreuses disciplines du cirque, et s’ouvre de plus en plus à la danse et au théâtre. Avec, aussi, l’omniprésence de la musique.

Le jonglage, un sport qui peut aussi concerner la cuisine et les arts de la table avec des artistes qui manipulent des pizzas ou des verres… Tout objet semble bon à jongler, même les sacs en plastique et les rhombes,  comme dans Maputo Mozambique, avec des artistes venus de cette capitale africaine, en résidence à la Maison des jonglages. Mais lancer en l’air des objets n’est plus une obligation…  Le Japonais Hisashi Watanabe s’enracine au sol dans Inverted Tree.

Sans oublier l’ancrage de cet art dans l’espace public, que le festival entend privilégier, avec en Seine-Saint-Denis, des déambulations ludiques, une conférence jonglée, des bals et une installation de rue. Un spectacle original comme Rien ne se perd, se baladera en effet dans plusieurs cités du département, conçu par l’architecte Sébastien Renauld, et le sociologue urbain Laurent Boijeot.

Tous les deux aussi performeurs, ils interviennent depuis plusieurs années dans la rue et  proposent ici aux gens de les rejoindre dehors, en vivant dans des meubles qu’ils ont construits pour l’occasion. Les passants peuvent ainsi s’asseoir et discuter avec eux, ou encore passer la nuit à la belle étoile mais dans une  literie confortable. Au passage, un peu partout, le festival organise aussi des ateliers  pour les amateurs… (nombre de jongleurs sont autodidactes). Bref, un riche programme à découvrir.

 

herosfracas2hd©romainetienneitem-crop-u41495Héros Fracas mise en scène de Luna Rousseau

Après L’Homme de boue en 2014, le Jardin des Délices présente sa deuxième création, un spectacle parodique de quarante-cinq minutes, joué ce soir-là  parmi les lilas en fleurs, dans un jardin parisien du XVIIIème siècle. Qu’est-ce qu’un héros ? « Quelqu’un qui protège les gens, un justicier. Quelqu’un qui n’a pas peur et qui s’apprête à tout (…) »répond une voix off enfantine.

Nathan Israël, armé de massues, et Tom Neal, à la roue Cyr, vont tenter de se montrer à la hauteur. Baraqués, ils bombent le torse, puis, l’un oscille, mince et aérien dans son grand cerceau, l’autre, aux muscles d’acier, lance ses massues le plus haut possible.  Mais les héros sont fatigués et, après avoir revêtu la tenue de Spiderman ou de Big Jim, et avoir, pour se soutenir le moral, énuméré dans le désordre les noms de grands hommes, d’Achille à l’Abbé Pierre, du Père Noël à Lao Tseu, ils finissent par jeter l’éponge. L Mais les numéros, au départ bien huilés, se délitent. «Et après, quand ses missions sont terminées, il reprend sa vie normale»,  dit la voix enfantine. Les supermen ont sombré dans le doute et se demandent, en guise de conclusion, ce qu’il en est, des héroïnes…  Ce spectacle, habilement chorégraphié, et bien réglé, s’attaque à l’image dérisoire du mâle guerrier, et à l’instrumentalisation de justiciers comme Zorro. Il ne cherche pas la virtuosité à tout prix et s’oriente plutôt vers des effets parodiques. Mais le texte, trop démonstratif, gagnerait à être plus concis… et plus travaillé : la dramaturgie gestuelle a déjà en effet une ironie  assez explicite et l’ensemble ne demande qu’à se roder : Tom Neal a en effet remplacé, au pied levé, Sylvain Julien, expert en hula-hoop qui avait créé Héros Fracas avec Nathan Israël. Donc, à suivre…

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 14 avril, dans le jardin de l’Hôtel de Sully, 68 rue Saint-Antoine, Paris IVème. Dans le cadre de la saison de « Monuments en mouvement », manifestation du Centre des monuments nationaux. Le 19 avril au Théâtre de l’Agora Evry et le 29 avril, à la Maison des jonglages, Théâtre Houdremont. 11 avenue du Général Leclerc à La Courneuve (93).

©Ian Grandjean

©Ian Grandjean

All the Fun par la compagnie EaEo

En partenariat avec le Carreau du Temple, les Rencontres des Jonglages ont invité une compagnie belge fondée en 2009 par Jordaan De Cuyper, Sander De Cuyper, Bram Dobbelaere et Eric Longequel. Neta Oren, la seule fille du groupe, les a récemment rejoints pour la création d’ All the Fun, en 2015.

 La pièce s’annonce sous des auspices ludiques : «Rendre hommage à ce qui ne sert à rien, un hommage aux hommages à ce qui ne sert à rien ( …)», aux objet ordinaires et inutiles. L’objectif : s’amuser. Les jeunes gens, en tenues blanche de gymnaste, jouent, comme dans une cour de récréation, avec leurs massues ou leurs balles multicolores, à se défier dans des concours pour rire : qui restera le plus longtemps avec deux massues en équilibre l’une sur l’autre? Qui attrapera la balle perdue par son camarade? Combien de temps Jordaan, assis par terre, gardera-t-il le micro et son pied en équilibre vertical entre les jambes, tandis que son partenaire se moque de cette posture instable et comique? Au bout de combien de contorsions imposées par la chorégraphie,  Neta  lâchera-t-elle prise ?

Tout finit par un « rave party  » hallucinante où, proches de la transe, les joyeux drilles continuent à jongler sur une musique techno entêtante, jusqu’à n’en plus pouvoir… Ces facéties jonglées requièrent  une grande virtuosité  dont ils ne manquent pas. D’un numéro à l’autre, en solo, à deux, trois, quatre ou cinq, ils multiplient combinatoires et difficultés pour tenir leur public en haleine. Des lumières discrètes mais réglées avec soin, accompagnent leurs évolutions. Aucun détail n’est laissé au hasard : les artistes ont peint eux-mêmes leurs accessoires et ont fabriqué d’astucieux et jolis tabourets en bois brut, de hauteur différente et disposés en cercle autour de la piste centrale. L’harmonie règne dans toutes ces loufoqueries.

 Un spectacle, rien que pour s’amuser à nous amuser. Ce qui ne peut pas faire de mal en ce moment…

 Mireille Davidovici

Spectacle vu au Carreau du Temple, Paris IVème,  le 15 avril.

Ostende De Grote Post le 7 mai et Heist-Op-Den-Berg, Centre Culturel de Zwaneberg (Belgique), le 13 mai. Théâtre de Bourg-en- Bresse (sous chapiteau) du 17 au 20 mai. Valladolid Festival TAC (Espagne), les 26 et 27 mai. Théâtre du Prato à Lille,  27 juin.
Edinbourgh Fringe Festival (Ecosse), du 5 au 28 août. Vilnius New Circus Weekend (Lituanie), les 6 et 7 septembre.
Houthalen Centre Culturel Casino ( Belgique) le 21 octobre.

 www.festival.maisondesjonglages.fr

 

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Semaine extra, 3ème édition à Thionville

 

Semaine Extra (troisième édition) à Thionville

Jean Boillot, metteur en scène et directeur du Nest et Cécile Arthus, artiste associée à la jeunesse, (voir Le Théâtre du Blog) ont mis au point cette semaine Extra, maintenant bien rodée. « Pour le plaisir des sens et du partage intergénérationnel, disent-ils, elle propose des morceaux choisis à l’intention des publics jeunes et de leurs familles. Avec délicatesse, humour ou gravité, les pièces programmées bousculeront notre capacité à consentir le pire. (…) Sous le signe de la rébellion et de l’engagement. Langages non-académiques, loin des rives du bien-pensant, formes poétiques débordantes, voilà ce que nous offre cette programmation avec son plein d’énergie vivifiant.”
Soit, sur cinq jours de festival, six spectacles dans les lycées et les théâtres de Thionville, une création Tisez-vous ou je tire, réalisée avec la participation de jeunes de la ville, un match d’improvisation, et enfin onze ateliers encadrés sur les métiers du spectacle.

Taisez-vous ou je tire, texte de Métie Navajo, mise en scène de Cécile Arthus

 

©Luc Maréchaux

©Luc Maréchaux

Cela se passe dans la salle où une jeune professeure d’un collège de banlieue donne un cours de théâtre à une classe d’adolescents. Elle leur fait travailler Don Juan de Molière, ou plutôt elle essaye… L’exercice n’a rien de facile mais, comme elle s’y prend de la façon maladroite et à la limite de la caricature, elle n’arrive pas à s’en sortir! Elle fait pourtant preuve d’une  petite autorité mais se révèle incapable de leur montrer les enjeux de la pièce. Choc de générations, choc des cultures…Bref, le ton commence à monter: tout est en place pour que cet atelier-théâtre ne fonctionne pas, et les élèves veulent prouver à leur prof que l’œuvre étudiée ne les concerne en rien…

Mission accomplie. C’est vite la confusion générale, quand un revolver tombe du sac d’un élève! Prise de panique, la jeune prof  s’en empare habilement et va en faire un instrument de pouvoir. Plusieurs élèves réussissent à s’enfuir mais elle a du mal à gérer la situation! Elle peut régner sur cette classe, terrorisée mais que l’on sent assez admirative: la prof commence à parler leur langage et à installer des rapports de force! Molière est maintenant bien loin… Et les scènes de Don Juan font place à la naissance d’une tragédie possible avec bain de sang à la clé, si les choses tournaient mal, d’autant que la prof se met alors à tirer des coups de feu, avec un certain sang-froid mais quand même…

Retournement brutal de situation: un élève réussit à prendre le revolver  jusqu’au moment,  où, enfin, elle le récupère. La direction de l’établissement, prévenue, va faire déclencher le plan de secours ; on entend derrière la porte, les mises en demeure au mégaphone de la police qui ignore ce qui se passe exactement dans cette salle, entre les élèves et leur prof. Négociations refusées dans un climat impressionnant de réalisme bien réalisé par Cécile Arthus. Même si les méthodes  du GIGN sont sûrement différentes…

La situation change donc en effet, puisqu’ils sont tous obligés-élèves comme prof-d’être solidaires face à l’imminence d’un passage en force. Une jeune journaliste de radio, micro à la main-assez caricaturale-raconte depuis le début à ses chers auditeurs, cette descente aux enfers et dramatise les choses pour donner du piquant à cette longue attente. Les appels à se rendre par mégaphone se succèdent, augmentant encore l’émotion palpable. Même si l’auteure n’a pas réussi à conclure  sa pièce qui se termine, plutôt qu’elle ne finit vraiment…Mais on ne vous dévoilera pas la fin.

“Le théâtre de Métie Navajo est politique, dit Cécile Arthus, il interroge le présent et défriche des situations complexes qui ont toute quelque chose de familier (…) Au milieu de cette réalité gluante qui nous colle à la peau, elle permet de croire en un avenir différent et meilleur.” N’exagérons rien, c’est faire bien des honneurs à la petite pièce de Métie Najo mais le traitement de ce fait divers qui aurait pu tourner au cauchemar, est habile, et a au moins le mérite de mettre l’accent là où cela fait mal: doit-on enseigner uniquement ce que les programmes imposent de la même façon partout en France quel que soit les élèves, et si oui comment? Avec la meilleure conscience du monde, que ce soit au lycée Louis le Grand à Paris, ou au lycée Saint-Exupéry à Marseille ?  Comment intéresser à un texte dit « classique » des jeunes qui n’en voient pas l’intérêt, sans doute plus friands de rap et de BD, d’informations sur Internet et de jeux vidéo?

 Que ceux qui ont la réponse, lèvent le doigt! Jamais sans doute être enseignant dans le secondaire n’aura été plus difficile… Il y faut être humble, avoir été bien formé, accepter ensuite d’être mal payé, avoir une foi inébranlable dans son métier; et si on anime un atelier-théâtre comme ici, il faut aussi posséder une solide culture théâtrale et une sensibilité aux textes, une empathie réelle avec ses élèves, et avoir déjà une bonne expérience. Et encore, pas sûr que cela réponde aux attentes et marche à tous les coups. Bref, la quadrature du cercle! Et tout cela, face à de jeunes baraqués d’un milieu social souvent défavorisé, parlant et écrivant souvent mal le français  mais bourrés d’énergie qui ont envie d’en découdre avec une école à laquelle ils ne s’identifient pas… Bienvenue dans le club!

Dans la belle salle en bois du Nest, Cécile Arthus a réalisé une mise en scène où elle réussit à mettre en valeur chacun de ses jeunes comédiens, tous très crédibles,et en même temps, à bien maîtriser le groupe quand il est en mouvement, à la limite permanente de la bagarre générale. Olivia Chatain est tout à fait remarquable dans le rôle de la jeune prof de français. Et les jeunes spectateurs durant une heure vingt, regardaient passionnés…  Aucun doute: oui, le théâtre est bien vivant quand il est encore capable de susciter une pareille attention!

Spectacle créé à Thionville, du 4 au 8 avril.
Le 25 avril à La Ferme du Bel Ebat, à Guyancourt (78).

Les 27 et 28 avril, au Théâtre de Lorient-Centre Dramatique National, dans le cadre du Festival Eldorado.

Festival ADO#8 au Préau-Centre Dramatique de Normandie-Vire, du 2 au 6 mai.
Les 9, 11, 12, 18, 19 et 20 mai,  dans plusieurs communes de la Manche, du Calvados et de l’Orne. 
Le 9 mai, à Domfront; le  11 mai,  à Mortain;  le 12 mai, à Torigny-les-Villes; le 18 mai, à Passais; le 19 mai, à  Saint-Sever et le  20 mai,  à Condé-en-Normandie.

 

Millefeuille, conception et interprétation de Jean-Baptiste André

 Ce sympathique et jeune artiste de cirque arrive dans une salle de classe du lycée Charlemagne à Thionville, et se présente comme un conférencier; effectivement, il va parler aux élèves de son métier, mais aussi de sa vie personnelle. Les jeunes élèves de troisième l’écoutent poliment mais pas plus. Puis cette conférence va se transformer en une suite de numéros d’acrobatie au sol, et sur la petite scène de cette salle.
Pas très passionnant, ce  monologue  a eu du mal  à retenir notre attention. Sans doute à cause du texte d’Eddy Palaro, à l’écriture insuffisante… Et on ne nous fera pas croire que, comme l’indique une note d’intention un poil prétentieuse, que l’auteur et l’interprète “créent une proposition où texte et chorégraphie se font écho et interrogent le rapport de la scène et de la salle” (…) Et que “cette rencontre malicieuse amènera l’élève, après bien des sourires et des doutes, à devenir un véritable spectateur de cette poésie profonde du langage et du corps.”
Cette « proposition » trop juste, n’est pas à la hauteur des autres spectacles. Tant pis!

 Maintenant que je sais, texte de Catherine Verlaguet, mis en scène d’Olivier Letellier

 Bon praticien du théâtre pour jeune public, le metteur en scène avait présenté à Chaillot Un Chien dans la tête, et l’an passé, au Théâtre des Abbesses,une trilogie écrite respectivement par Catherine Verlaguet, Magali Mougel et Sylvain Levey: Maintenant que je sais, Je ne veux plus, Et Me Taire (voir Le Théâtre du Blog).

Cela se passe en 1983, une jeune journaliste française correspondante d’un journal au Brésil, raconte une histoire qui lui est arrivée dans ce pays où elle arrivait en ne connaissant personne. Au hasard d’une rencontre,  elle devient vite amie avec un opposant au régime dictatorial militaire et avec sa compagne Magdalena qui soutient son amoureux dans  son combat pour la liberté d’expression, et la liberté tout court. Mais un jour, il disparaîtra sans laisser aucune trace. Et Magdalena, enceinte mais épuisée par ses recherches pour le retrouver, finira par ne plus donner signe de vie, probablement, elle aussi torturée puis tuée par les militaires. Et la jeune journaliste comprendra qu’elle a tout intérêt à vite reprendre l’avion pour la France si elle ne veut aps subir le même sort…

Ce monologue/confession est joué  dans une salle de la cité Hélène Boucher à Thionville devant une classe de seconde (dix-sept filles et neuf garçons). Avec juste, une table où trône une petite et légendaire machine à écrire bleue, comme celle d’André Malraux de marque Japy, qui était fabriquée à Audincourt, dans les locaux actuels du Théâtre de l’Unité…

Jeanne Favre s’asseoit face aux élèves, puis se lève,  et va, une heure durant, vers les petits groupes qui se sont formés en groupe.. Aucune distance dans cet exercice théâtral, un travail sans filet pour ce monologue qu’elle assume très bien. Les jeunes élèves de cette classe de seconde  (15/16 ans) semblent être bien conscients que le récit d’Hélène ouvre une réflexion sur le sens d’un engagement qui peut  parfois justifier une vie de quelqu’un, mais aussi la détruire, comme celle de ses  proches.

Jeanne Favre ensuite, après le spectacle, engage une conversation avec ces lycéens et  arrive à leur montrer que le fait de dire non et de pratiquer une forme de résistance quelle qu’elle soit, peuvent être aussi le fait d’une personne seule, avec de tout petits moyens pour le faire, telle une Rosa Parks noire, refusant il y a soixante ans, de céder sa place dans un bus, à un blanc. Avec des conséquences inimaginables…
 Mais curieusement, plusieurs élèves semblaient avoir une attitude défaitiste! D’autres plus lucides, plus courageux, estimaient aussi capital de dire non. Sans être vraiment du théâtre, comme dirait notre confrère Jean-Luc Jenner qui a en profonde aversion, les solos, un petit spectacle comme celui-ci, joué dans un lycée ou une bibliothèque, peut amener à une prise de conscience chez des jeunes qui ne fréquentent guère les salles de spectacle.

Quelques-uns de leurs professeurs présents dans la salle regrettaient d’ailleurs qu’un bus pour aller au théâtre ait dû être décommandé, faute de clients,et que l’atelier théâtre ait été fermé pour non fréquentation… Oui, mais aucun d’eux n’avait eu la curiosité d’aller voir-et d’emmener leurs élèves que cela aurait sûrement passionné-cette remarquable création qu’est Blockbuster (voir Le Théâtre du Blog) qui a fait l’objet d’une longue ovation du public. Cela se passait au très beau théâtre municipal à quelque cent mètres du lycée! Quelle tristesse! Cherchez l’erreur!

Blockbuster-new-Dominique-Houcmant-3Blockbuster

Nous avons donc en effet revu le spectacle du collectif liégeois Mensuel qui s’est encore bonifié avec le temps. Une belle fluidité dans le jeu, des acteurs exceptionnels, en particulier Sandrine Bergot qui  joue ici tous les rôles de femme, de façon exemplaire. Ils savent tout aussi de l’art du doublage et du bruitage, et sont d’excellents musiciens. En une heure et demi, ils procèdent pour dire cette fable sur la violence de la classe dominante, à un détournement aussi caustique que très drôle, de quelque 1.400 plans de films américains! bien connus pour la plupart! Et avec des répliques très calées sur les phrases originales qui, bien sûr, n’ont rien à voir avec ce nouveau scénario. Quel travail, quelle intelligence, quelle maîtrise du plateau pour cette performance contestataire qui créée l’an dernier à Liège, tourne un partout et avec un grand succès en France. Si Blockbuster passe près de chez vous, conseil d’ami, ne le ratez surtout pas…

 Philippe du Vignal

 Spectacles vus les 6 et 7 avril, à Thionville dans le cadre de la Semaine Extra.

 

 

Nelken (Œillets) par Le Tanztheater de Wuppertal

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Nelken (Oeillets) par le Tanztheater de Wuppertal, chorégraphie de Pina Bausch

Certaines Japonaises  ont mis une robe à œillets roses, hommage délicat à cette pièce mythique de Pina Bausch ((1940-2007). La venue de la troupe qu’elle a fondée, est toujours un événement là-bas, à en juger par la très longue file d’attente, calme et organisée, de gens à la recherche d’un précieux billet, sésame pour le soir-même.

Le spectacle associe d’anciens danseurs de la compagnie et de nouvelles recrues: l’Anglais Scott Jennings remplace Lutz Foster dans la fameuse scène du début, où il traduit The Man I love de George Gershwin en langue des signes. Les artistes du Tanztheater ont rendu un bel hommage au  pays qui les accueillait, en s’exprimant… en japonais, tout au long du spectacle… créant ainsi une totale proximité avec le public. Nous retrouvons avec plaisir les moments emblématiques de la pièce, comme cette lente avancée  de Julie Anne Stanzak, au milieu du champ d’œillets, jambes nues,  avec son accordéon lui couvrant tout le buste. Une image qui a fait le tour du monde.

Plus de trente ans après sa création, Nelken garde sa puissance émotionnelle, et les Japonais ont vu leurs habitudes ébranlées quand, vers la fin, un danseur leur demanda de se lever, et d’ouvrir et de fermer les bras. Quelques interprètes descendirent alors dans le parterre, et tendrement,  donnèrent une accolade à des spectateurs ! Un geste qui prend une dimension exceptionnelle au Pays du Soleil Levant où l’on se salue, sans jamais se toucher. Les hommes en effet s’inclinent avec les bras le long du corps, et les femmes, avec les mains croisées. Nous avons alors assisté à un instant de grâce totale et de communion entre l’art et la vie ; bouleversant la tradition, il restera longtemps gravé dans la mémoire de la troupe et du public.

Ces milliers d’œillets fichés au sol, avaient été, pendant une heure cinquante, écrasés par les   danseurs quand ils traversaient le plateau. Mais l’esprit de la grande chorégraphe allemande perdurait, grâce à la chaleureuse énergie du Tanztheater.

Jean Couturier

Spectacle vu au Saitama Art Theater le 16 mars.

www.saf.or.jp/en

 

                 

Comment va le monde? D’après les textes de Marc Favreau

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Comment va le monde? d’après les textes de Marc Favreau, mise en scène de Michel Bruzat

Marc Favreau, écrivain et comédien québécois (1929-2005) bien connu au Canada, et dans toute la francophonie, entre autres en Belgique et en France, a créé le personnage de Sol, une sorte de clown clochardisant, à la fois rêveur et philosophe, qui s’interroge sur la condition humaine et le langage, l’air de ne pas y toucher, de façon « maladroite », en pratiquant de tout petits changements d’orthographe, ou avec des séries de mots-valises qui perturbent ou détournent le sens des mots.

Le spectacle avait été joué l’an passé au festival d’Avignon (mais, question d’horaires comme souvent en Avignon, nous l’avions raté). Marie Thomas, seule en scène, a quelque chose de magique, dès qu’elle arrive sur le plateau. En manteau trop long à gros boutons, et pantalon  trop court, un vieux chapeau-cloche vissé sur la tête, et de gros Pataugas aux pieds, elle fait vite corps avec son personnage. Diction et gestuelle d’une rare précision, absolument impeccables, bien dirigée par Michel Bruzat, la comédienne a une fabuleuse présence…

Le début, quand elle se maquille dans sa loge  avant d’entrer en scène ne sert pas à grand-chose mais après, à la fois émouvante et solide, dès qu’elle a franchi un petit rideau bleu, on a droit à un remarquable feu d’artifice, à une rare explosion des mots.  Parfois, juste en modifiant une seule lettre d’un mot, Marc Favreau nous offre une échappée belle sur la poésie… Dans la lignée, pour ses textes à l’humour grinçant, de Coluche et de Pierre Desproges, mais aussi, côté gestuelle, de Charlie Chaplin.

Détournement «naïf», c’est à dire supérieurement bien vu, des mots et des suites de mots, au deuxième, voire au troisième degré, et pas si loin, en fait, des astuces du fameux Almanach Vermot, pas si loin non plus, mais cette fois au niveau supérieur qui était le sien, du merveilleux Ghérasim Luca, ce poète roumain, plus français que français, et grand amoureux de notre langue et de Paris où il vécut (voir Le Théâtre du Blog). « L’humour, disait Marc Favreau, c’est plus qu’une blague qui fait rire ». Avec ici, un montage de ses textes qui ont pour thème : la violence, la bêtise des gens qui nous gouvernent : «les premiers sinistres», la vie au quotidien…

 Côté faux anglicismes, jeux sur les mots et acrobaties sémantiques, Marc Favreau est en effet  un champion toutes catégorie, du genre: «le ravioli conjugal », « il met ses bananes au régime », Le «Fier Monde », « le tétanoscope », « les Arabes n’y vont pas de mer morte», «les alliés nés», »l’orthodontiste indépendantiste», «l’Afrique du Sud fait une répression nerveuse ».
Michel Bruzat a eu le flair d’arrêter ce merveilleux solo-feu d’artifice en plein vol, au bout de ces quatre vingt-dix minutes, qu’il a très bien réalisées et qui nous procurent un moment de rare bonheur. Nous espérons vous avoir donné l’envie d’y aller. Par les temps qui courent, cela fait  toujours du bien par où cela passe, donc n’hésitez pas. Même si c’est à 21h 30…

 Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris. T : 01 42 36 70 56 jusqu’au 22 avril.

Le texte de la pièce (avec DVD) est publié aux éditions Camino Verde.

 

 

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Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac

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Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, mise en scène de Marianna Kalbari, adaptation et musique de Stamatis Kraounakis

L’originalité de la pièce (1928) tient d’abord  au personnage de Victor, ce petit garçon qui a trop vite grandi, humain et monstrueux à la fois, et que son extrême intelligence pousse à la destruction, voire  à l’autodestruction.

Roger Vitrac (1899-1952) a su reprendre les codes et les valeurs du drame bourgeois, pour mieux les subvertir et réaliser ainsi un alliage stupéfiant de rire et d’effroi, de comique et de tragique. Victor est sans aucun doute l’œuvre la plus achevée du théâtre surréaliste français, et l’écrivain français a réussi à y introduire la cruauté et l’absurde à la fois.

Stamatis Kraounakis (qui incarne aussi Victor), a conçu une sorte de comédie musicale à partir de cette pièce, avec un livret qui en renforce la théâtralité. Marianna Kalbari l’a mise en scène, en pariant sur  une esthétique burlesque, à la limite du macabre! Bref, une fête grandiloquente avec des chansons soulignant avec amertume, l’innocence perdue… Les enfants, nous dit cette comédie musicale, ne peuvent pas changer le monde, et le pessimisme est bien là,  mais n’alourdit tout de même pas le climat de la pièce.

Konstantinos Zamanis a imaginé un grand cirque où les personnages habillés de costumes  surréalistes, se baladent à la recherche de leur identité, dans un monde hostile à «l’imagination au pouvoir» comme on disait en 1968. La chorégraphie de Mariza Tsigka et les lumières de Stella Kaltsou accentuent la vision symbolique du monde conçu par l’écrivain français. Charis Fléouras (la bonne Lili), Fotini Baxevani (Esther, la fille), Fenia Papadodima (Emilie/Ida), Christos Gerontidis (Charles) et Maria Tzani (son épouse Thérèse), Gerasimos Genatas (Antoine), Konstantinos Efstratiou (Le Général) jouent tous avec unité, la raillerie et le rire caustique de cette satire, ici bien accompagnés par les musiciens Vassilis Drouboyiannis et Vayios Prapas.

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Théâtre Technis  Karolos Koun 14, rue Frynichou, Athènes. T. : 0030 210 32 22 760.

 

 

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