Les Misérables de Victor Hugo

 

Les Misérables de Victor Hugo, adaptation et mise en scène de Manon Montel

Publié en 1862, ce roman-culte n’a jamais cessé d’avoir un succès populaire; à la fois réaliste, politique et social, c’est une histoire d’amour et une peinture de la France pauvre, voire misérable, à Paris comme dans les campagnes.  Sur fond de fresque épique napoléonienne, avec la bataille de Waterloo, puis la révolte de la population et les barricades à Paris en 1832. Les personnages sont en parfaite unité avec le scénario dans lequel le forçat Jean Valjean aime paternellement la petite Cosette, et le commissaire Javert qui veut faire respecter la loi morale, On verra aussi l’amour déçu de Fantine, l’amour fou de Marius et Cosette, la grande charité chrétienne de Monseigneur Myriel.

Victor Hugo  croit à des valeurs comme l’instruction publique, ce qui n’était pas encore un fait courant à son époque, le respect de chaque citoyen par l’Etat,  pour lui éviter  de tomber dans le vol, voire dans le crime, ou pour les jeunes ouvrières dans la prostitution-fait courant à l’époque-pour compléter un salaire de misère. Ce qui pose le problème du mal et de la déchéance des ouvriers et des paysans exploités par leurs semblables, malgré parfois la générosité des plus fortunés. Bref, c’est, pour l’écrivain, tout l’édifice de la justice sociale qu’il faut revoir d’urgence

« Il y a, dit Victor Hugo, un point où les infâmes et les infortunés se mêlent et se confondent dans un seul mot, mot fatal, les misérables ; de qui est-ce la faute ?» Et bien entendu avec une belle lucidité, il ne croit pas, déjà son époque, aux vertus du système répressif alors en vigueur: nombreuses et longues peines de prison, voire bagne à Toulon, ou même peine de mort qui concernent presque uniquement les prolétaires ! Mais ce diable d’homme , incurable optimiste, garde quand même un espoir dans les temps futurs…

Dialoguiste hors-pair, Victor Hugo a su insuffler une solide vérité à ce roman et pour construire ses personnages, il s’est inspiré de La Comédie humaine de Balzac, en particulier pour Jean Valjean et Javert, et des Mystères de Paris d’Eugène Sue, pour décrire les bas-fonds de la Capitale. Mais il a aussi observé au jour le jour, tous les milieux sociaux ou l’a fait faire par ses proches.

Les Misérables ont fait l’objet de très nombreuses adaptations pour le théâtre-comme celle remarquable de Jean Bellorini avec quelques acteurs ( voir Le Théâtre du Blog) et pour la comédie musicale, et enfin le cinéma. Mario Montel l’a déjà mise plusieurs fois en scène depuis 2012 donc le spectacle est bien rodé. «Je l’ai construit, dit-elle, à partir du paradoxe hugolien : confronter le grotesque et le sublime, balancer entre le bas et le haut, suivre le parcours individuel et le destin d’une nation. »

les misérables1Et cela donne quoi, quand on veut faire passer les quelque 1.800 pages d’un célèbre roman sur un petit plateau, avec huit acteurs ? Les fumigènes abondants qui accueillent le public pouvaient faire craindre le pire… Eh Bien!, non, on retrouve ici, comme par miracle, la trame exacte du roman  avec son incomparable galerie de personnages: Jean Valjean, Javert, le couple Thénardier, Fantine et Cosette, Monseigneur Bienvenu, les étudiants du club révolutionnaire : Courfeyrac, Enjolras, Prouvaire, les amoureux Marius et Cosette, le grand-père de Marius, et bien entendu, le célèbre petit Gavroche…
 
Et défilent alors en une fresque habile d’une heure et demi, tous ces personnages pris dans une tourmente individuelle mais aussi historique, qui les dépasse. Qu’ils soient victimes innocentes comme Fantine, la mère célibataire qui vendra ses cheveux puis ses dents,  et sera obligée de faire le trottoir pour nourrir sa fille Cosette, ou comme bien entendu le petit Gavroche, ou plus complexes, comme le forçat évadé Jean Valjean devenu M. Madeleine, honnête entrepreneur et bienfaiteur de Montreuil-sur-Mer, dont il sera nommé maire. Ou l’inspecteur Javert. Ou encore odieux et avare, le célèbre couple des Thénardier.

les misérables2Marion Montel maîtrise parfaitement les choses. D’abord avec une intelligente adaptation qui évite la caricature et avec une belle fluidité dans sa mise en scène mais elle se révèle être aussi une bonne directrice d’acteurs. Les scènes intimes sont plus fortes, mieux traitées que les moments épiques comme celui des barricades, pas très convaincant. Mais sur ce petit espace, à l’impossible, nul n’est tenu !

La distribution-inégale-tient cependant la route, avec Stéphane Dauch (Jean Valjean), Jean-Christophe Frèche (Javert) et Manon Montel, remarquable Fantine (photo plus haut), Cécile Génovèse (Cosette et Enjolras), Dov Cohen (Monseigneur Bienvenu), Léon Fajet (Marius), François Pérache (Thénardier).

Les comédiens, pour la plupart, tiennent deux rôles. Et, fil rouge de cette fabuleuse histoire aux multiples registres, Claire Faurot, la narratrice, avec son accordéon assure le lien avec un récit pour relier les différents épisodes entre eux (pas sûr qu’elle «casse le quatrième mur », comme le dit Manon Montel, mais cela n’a aucune importance). La jolie comédienne joue aussi la Thénardier mais là, il faut se pincer un peu pour y croire).  
Un spectacle de compagnie que suit, avec une grande attention, un public fasciné par cette fresque hors-normes, pas réduite, mais condensée en quatre-vingt dix minutes. Toute la substantifique moelle est bien là,  et cela fonctionne, parfois même jusqu’à l’émotion; bref, Manon Montel a su monter au théâtre les scène-culte de ce roman, en le trahissant superbement, c’est à dire avec respect, intelligence et surtout beaucoup de générosité. Que demande le peuple ? Les enfants, et tous ceux qui le sont restés, c’est à dire tout le monde ou presque, sont avec raison absolument séduits…

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire 53 rue Notre-Dame-des Champs Paris VIème. T : 01 45 44 57 34, jusqu’au 7 mai.


Archive pour avril, 2017

Festival Méli’môme

Festival Méli’môme

 Cette année encore, pendant plus de quinze jours, la ville de Reims s’est tournée vers son jeune public grâce aux nombreuses propositions de cette manifestation au fonctionnement exemplaire, avec des spectacles pour tous les âges.
S’y associent les lieux culturels de Reims et de sa Région, avec les deux salles municipales du Cellier, au centre-ville, bien adaptées à l’accueil des tout-petits, la Comédie de Reims (Centre Dramatique National), Le Manège (Scène nationale) et l’Opéra. On mesure la qualité et la durabilité de ces partenariats, vu en général le peu d’appétence des grands lieux pour accueillir les spectacles Jeune public et petite enfance…

La plupart s’ouvrent à des séances scolaires grâce au travail de fond mené tout au long de l’année par l’association Nova Villa qui prend aussi en charge la programmation Jeune public de Reims/Scènes d’Europe. Elle multiplie les rencontres avec des auteurs, artistes ou professionnels des quatre coins du globe. Ainsi le dramaturge écossais Mike Kenny a rencontré des lycéens autour de son  Garçon à la valise. Et la Rwandaise Élise Rida Musomandera a présenté son poignant livre-témoignage, quelques mois après sa compatriote Carole Karemera. Et Karin Serres était à l’honneur avec la publication par Nova Villa, d’un Itinéraire d’artistes, un recueil de textes qui retracent son parcours, grâce aux témoignages d’artistes-amis.

 Us/Them  par le Théâtre Bronks (Belgique)

IMG_0625L’effroyable prise d’otages à l’école de Beslan, en 2004, et l’assaut des forces spéciales russes, dans le Caucase, ont fait plus de trois cent trente morts dont cent quatre-vingt-six enfants.

Les artistes belges se sont inspirés d’un documentaire qui, quelques années après, a donné la parole aux enfants rescapés qui reviennent sur ces événements avec un détachement surprenant et s’en tiennent surtout à des détails.

Après avoir tracé à la craie, sur le sol, le plan de l’école, les enfants (joués par Gytha Parmentier et Romain Van Houtven)  comptent les survivants, de moins en moins nombreux. Leur impassibilité, quoique troublante, correspond certainement à une capacité de résilience qui leur permet de résister à cette épreuve et de se reconstruire. Les comédiens ont su trouver le ton juste, la bonne distance, sur un plateau bien agencé et spatialisé. Des cordes tendues en travers de la scène renforcent l’impression d’enfermement. Scénographie complexe, mise en scène précise, et rythme soutenu sont mis ici au service d’un propos fort.

Le Garçon à la valise de Mike Kenny, mise en scène d’ Odile Grosset-Grange

 Deux enfants, Nafi et Krysia, quittent leur pays pour un exil vers un monde meilleur. On suit surtout les pérégrinations de Nafi, dont les parents se sacrifient pour lui offrir un aller simple vers l’Europe. Écrite il y a déjà treize ans, la pièce de l’auteur gallois reste d’actualité et aborde les questions de l’exil et de la reconstruction, en particulier vis-à-vis des enfants. Le texte possède de qualités mais la mise en scène manque de poésie, et le surjeu aboutit à un naturalisme forcé. Dommage !  D’autant plus que la scénographie imaginée par Marc Lainé, un sol en mappemonde, était une belle idée….

 Nuit par le collectif Petit Travers.

 Une pièce obscure, avec deux portes de chaque côté … Des hommes en costume sombre entrent et sortent, munis de chandeliers. Parfois, des balles fusent. Marchant comme des somnambules, les personnages se mettent à jongler. On ne sait trop combien ils sont, ni où ils se trouvent, mais une poésie absurde se dégage de leurs allées et venues. Comme après un réveil un peu brumeux, on a du mal à distinguer ce qui se passe!  Puis comme par magie des balles partent… puis reviennent  dont certaines rampent sur le sol, traversent l’espace, franchissent les portes. La musique de Denis Fargetton, constituée de morceaux classiques habilement agencés, souligne la virtuosité de Nicolas Mathis, Julien Clément et Rémi Darbois et renforce cette sensation de demi-sommeil, dans un beau clair obscur.

 9  par la compagnie du Cas Public, chorégraphie d’Hélène Blackburn,

 Rendez-vous à l’Opéra de Reims avec des Québécois habitués de Méli’môme. L’idée de 9 est née, avec l’arrivée d’un danseur sourd dans la compagnie. En préambule, quelques enfants sont invités sur scène à jouer avec des chaises blanches, de taille différente, disséminées ça et là, et qui resteront sur le plateau durant tout le spectacle.

Puis, avec des mouvements amples et une technique impeccable, les  interprètes se déplacent suivant les éclairages pour rester dans la lumière;. La hauteur du grill de l’Opéra permet aux lumières de dessiner de belles trajectoires sur le sol. Et, ainsi les malentendants qui ne peuvent se repérer avec le son,  le font avec l’espace…

Une vidéo représentant un jeune garçon sourd et appareillé, fil rouge du spectacle, fait référence à Cai Glover, l’interprète malentendant de la troupe. A ses côtés, Daphnée Laurendeau, Nicholas Bellefleur, Robert Guy et Danny Morissette font exploser les codes du classicisme, accompagnés par une musique très efficace, elle aussi classique. Passionnante de bout en bout, cette pièce nous incite à réviser nos préjugés sur la danse « classique».

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 Fratries d’Eve Ledig

 Eve Ledig promène depuis des années, sa compagnie Le Fil rouge, sur les scènes de France et d’ailleurs, bien connue maintenant des spécialistes du spectacle pour la petite enfance et le jeune public. Elle s’intéresse aux rapports de fratries, à ces relations «obligées» dans la famille, et a entamé un grand chantier de collecte de paroles.
Carole Breyer, Marie-Anne Jamaux, Catriona Morrison et Anne Somot disent, chantent et dansent ces propos de frères et sœurs, pas toujours tendres, parfois cruels, et souvent drôles. Sans chercher à sublimer ces liens, Eve Ledig  a imaginé une mise en scène très rythmée et ludique. Et ses comédiennes ont créé des personnages correspondant à leur nature, sensibles et plus profonds qu’ils ne le paraissent.

 Léger bémol : à cause de l’agitation qui règne sur le plateau,  les paroles en sont pas toujours bien mises en valeur, et nous n’avons guère le temps de profiter du riche matériau qui a été recueilli. La metteuse en scène aurait dû lui faire un peu plus confiance!

Julien Barsan

Spectacles vus au Théâtre Mansart, à Dijon, le 13 avril T. 03 80 63 00 00.

Auditorium de La Louvière, à Épinal, les 2 et 3 mai, T. :09 80 63 18 64; Dôme Théâtre d’Albertville du 30 mai au 2 juin. T. :04 79 10 44 80.

MA/Scène Nationale, Pays de Montbéliard, à Bethoncourt, le 19 mai.  T. : 0 805 710 700.


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Biopigs, de Sophie Pérez et Xavier Boussiron


Biopigs, texte et mise en scène de Sophie Pérez et Xavier Boussiron

 

(C) La MAC de Créteil

(C) La MAC de Créteil

Bravo! Bravo! Applaudissements et ovations fusent: ce n’est pas la fin mais le début du spectacle: Sophie Pérez et Xavier Boussiron, artistes plasticiens mais bien installés dans le théâtre, nous offrent un bout-à-bout de toutes les façons de saluer le public après un exploit scénique.

Mélange de fausse modestie, d’orgueil avoué, de pseudo-affection entre partenaires, de salut, et enfin d’humble reconnaissance aux humbles techniciens de plateau cachés « sans qui rien de ce que vous avez vu… »  etc. Amusante satire (mais sans grande portée) de ce grand cabaret qui épingle les grandes icônes du théâtre, et du spectacle en général. On y reconnaîtra Dom Juan de Molière par Jacques Weber, Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, par Patrice Chéreau, Clôture de l’Amour de Pascal Rambert avec Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, un curieux mélange d’Elton John et de Paolo Conte (sic !), et un Louis II wagnérien…

Inutile d’entrer dans les détails : même si l’on ne saisit pas toutes les références, c’est plutôt drôle et bien fait. Avec une limite: on se lasse très vite de cette forme en collier de perles… Mais pas à cause des comédiens, non  virtuoses mais sincèrement engagés, chacun en liberté totale avec son corps et libre des standards. Et on saluera, en particulier, la souplesse et la grâce d’une «grosse» comédienne.

Dérision, mais dans un travail bien fait, et avec plaisir. Avec des changements  de perruques et costumes ultra-rapides; et une tournette fait passer, logiquement, de la cuvette des toilettes au trône et vice-versa, dans un bric-à-brac théâtral. Une sorte de monstre à demi-enfoui dans le plateau, roule des yeux et parle d’une bouche caoutchoutée assez inquiétante, un grand jouet «au croisement de l’analyste et de la poubelle » selon les auteurs, et qui apporte une touche de poésie à l’affaire.

Rien à dire, ici, on ne se moque pas du public, et il y a un beau savoir-faire dans ce divertissement. Mais ce Biopigs reste un joyeux-mais vain-démolissage à faux nez (de cochon, bien sûr). Et le spectacle enfonce des portes ouvertes, alors que nous aurions aimé nous faire secouer un peu plus les neurones…

Christine Friedel

Théâtre du Rond Point, 3 avenue Franklin-Roosevelt Paris, VIIIème T : 01 44 95 98 21, jusqu’au 23 avril.

La Résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht

 

La Résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht, traduction d’Hélène Mauler et René Zahnd, mise en scène de Katharina Thalbach

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©Brigitte Enguerand/Divergence

Seconde mise en scène de la pièce (1941), après  celle de Dominique Pitoiset  à la rentrée (voir Le Théâtre du blog) où il a essayé de rendre actuel le personnage d’Arturo Ui, avec un dirigeant de grande société, bien habillé, entouré de son équipe, à la fois très ambitieux et cynique, et qui sait qu’il à les moyens d’influencer la vie politique de son pays.En mur de fond, des écrans avec les cours de la Bourse en 2017. Et les tiroirs d’une morgue où reposeront les victimes d’Arturo Ui… Philippe Torreton, crée un élégant mais grossier personnage, inquiétant et pleins de tics (Dominique Pitoiset vise-t-il un ancien président de la République !). Très crédible,  il connaît bien les techniques de séduction auxquelles vont se laisser prendre les citoyens passifs d’une France déjà en proie à des idées nationalistes, et qui ne demandent qu’à l’écouter. Citoyens représentés par le public que Dominique fait participer,  de façon assez ambiguë… Une façon de monter  la pièce avec un regard contemporain.

Mais Katharina Talbach, elle, revient à une conception plus traditionnelle de la pièce de Bertolt Brecht, en la resituant, comme à l’origine, dans les années trente. Ici, Arturo Ui cherche à s’immiscer dans le trust du chou-fleur, alors que la situation économique est très mauvaise à Chicago. On retrouve ici les épisodes de l’œuvre que la metteuse en scène a respectés  avec, entre autres: la complicité du maire de Chicago, les aventures risquées du vieil Hindsborough qui se laisse corrompre, comme le président Hindenburg, impliqué dans un scandale financier, et qu’Arturo Ui, dont on voit clairement l’ascension vers le pouvoir, fera facilement chanter…

Il y  a aussi la scène bien connue où comme Hitler, le gangster prend des cours de déclamation avec un vieil acteur insupportable, et celle où les tensions naissent entre les complices d’Arturo Ui, Gori, Gobbola et Roma qui sera lui, éliminé sans scrupule. Comme Dolfoot, le maire de Cicero qu’il fera aussi assassiner, ce qui permettra à Arturo Ui, d’obtenir le contrôle absolu sur le commerce du chou-fleur dans les deux villes… Comme Hitler, avec la complicité efficace d’Hermann Goring et de Joseph Goebbels,  qui assassina le chancelier autrichien Dollfuss, avant d’envahir  son pays, puis la Tchécoslovaquie, la Pologne, la France, etc.

Cette  pièce métaphorique apparaît souvent datée et bavarde, même si la metteuse en scène a, avec raison, fait des coupes. Elle dit avoir voulu la traiter: « comme un des grands spectacles de foire annuelles-presque sous la forme d’une complainte, voire d’un mystère-en soulignant l’héritage des grands drames shakespeariens ». On veut bien, mais on est loin d’un théâtre populaire comme elle le souhaite, et ces deux heures vingt nous ont paru bien longuettes… Même si son travail est du genre impeccable, empreint de toute la rigueur et de la discipline allemandes. Mais sans guère de fantaisie, et elle semble à avoir eu quelque mal à créer un véritable divertissement comme le voulait Bertolt Brecht. Bref, le compte n’y est pas vraiment!

Pourquoi Katharina Talbach fait-elle ainsi criailler ses comédiens presque en permanence? Pourquoi a-t-elle aussi eu cette bizarre idée de demander à Ezio Toffoluti-qu’on a connu plus inspiré-de construire un plan très (trop!) incliné avec trappes, sans doute d’une belle qualité plastique mais pas du tout efficace, que vient régulièrement couvrir une grande toile d’araignée sur le plan de Berlin? Pour montrer l’emprise galopante du nazisme sur la ville? Comme si le texte n’y suffisait pas! Résultat de ce pléonasme : sur le plateau déjà pas si grand de la salle Richelieu, la mise en scène reste statique, et les comédiens semblent gênés dans leurs déplacements! Côté interprétation, toute la troupe est à l’aise : Laurent Stocker dans Arturo Ui, qui a quelque chose d’assez surréaliste en petit homme clownesque et caricatural d’Hitler, mais Philippe Torreton donne au personnage une autre dimension.

Il y a de bonnes surprises, comme la scène avec Michel Vuillermoz, toujours formidable de vérité, quand il joue avec panache et beaucoup de drôlerie, cet acteur imbu de lui-même, ou la composition de Bruno Raffaelli, en étonnant vieil Hindsborough. Mais conçu à partir d’une pièce pas très passionnante, un spectacle bien fait mais conventionnel.  Et on ne vous poussera pas à y aller…

Philippe du Vignal

Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette, Paris Ier. T : 01 44 58 15 15, jusqu’au 30 juin (en alternance).

 

 

 

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Hommage à Sadegh Hedayat

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Hommage à Sadegh Hedayat

 

 

Une belle soirée, comme en propose sans relâche la Maison de la poésie : avec la découverte, ou la redécouverte, pour les Iraniens et les amoureux de la langue persane, d’un écrivain, d’un poète entre deux mondes, «parti de l’un sans arriver à l’autre». À l’inverse de Rabelais pour qui «Paris est une bonne ville pour vivre, mais non pour mourir », cet écrivain solitaire, emblème de la littérature iranienne moderne, a choisi lui, d’y mourir. Désespérante cohérence d’un homme dont l’un des premiers livres fut en effet L’Enterré vivant.

Et pourtant, dit-il, en quête de sa vérité: « Je n’écris que par ce besoin d’écrire qui me tient. J’ai besoin, de plus en plus besoin, de communiquer mes pensées à mon être imaginaire, à mon ombre ». Entre deux mondes, La Chouette aveugle nous emmène entre veille et sommeil, entre rêve et réalité. Et la réalité, quand on l’observe de très près et qu’on l’écoute, perd ses contours et l’illusion change de camp. Dans la littérature européenne, Sadegh Hedayat serait du côté de Gérard de Nerval et de l’enquête d’Aurélia, récit d’un délire au plus près du réel, ou de Franz Kafka et de sa Métamorphose.  Il avait une vraie passion pour l’écrivain tchèque qu’il a traduit en persan. Avec son visage d’aristocrate intellectuel, il lui ressemblait, et son visage comme le sien, avait gardé la géométrie de la jeunesse, ni l’un ni l’autre ne s’étant laissé le temps de vieillir…

Sorour Kasmaï est venue raconter cette courte vie, exigeante, romanesque, troublée et arrêtée par un suicide au gaz. Atiq Rahimi et Pedro Kadivar lui ont rendu leur hommage avec leur sourire d’écrivains, car l’écriture impitoyable du réel, y compris quand il dérape vers le sur-réel, prête nécessairement à sourire, ici ou là. Lisant leur propre œuvre ou parlant de lui, ils  donnent corps  comme jamais à Sadegh Hedayat.

Et Golshifteh Farahni, elle, lui a prêté sa voix. Ce n’est pas la star internationale qui se déplaça, mais une comédienne française comme une autre. Pas tout à fait comme une autre… Qui aurait eu cette parfaite simplicité, cette douceur et cette vaillance ? Qui aurait donné à cette lecture, une telle qualité d’émotion sans “effets » ? Elle a lu un extrait d’un texte en persan, la langue de son pays interdit : on n’est plus là dans l’art de l’actrice, mais dans la vérité d’une situation. Le respect va de soi, et vient d’elle, de sa sobriété. Hasard ou artifice, sur scène, l’éclairage lui faisait un visage cubiste : encore un hommage aux années parisiennes du poète mort en 1951, et à ses dessins…

Une œuvre à lire absolument. En pensant que Sadegh Hedayat a, malgré tout, un nom et une œuvre (il n’a pas réussi à la brûler entièrement!), alors que bien d’autre poètes, partout dans le monde, sont muselés…

Christine Friedel

Maison de la Poésie, passage Molière, Paris IIIème  75003 Paris. T : 01 44 54 53 00 L’œuvre de Sadegh Hedayat est publiée aux éditions José Corti.

 

 

Bajazet, de Jean Racine, mise en scène d’Eric Ruf

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Bajazet, de Jean Racine, mise en scène d’Eric Ruf

L’une des pièces les moins jouées de Racine. Non sans raison: elle n’a pas la ligne forte d’un Britannicus ou d’une Andromaque, et Racine s’abuse sans doute en parlant de tragédie, quand il s’agit plutôt d’un drame. Aucun personnage n’évolue, il ne reste qu’à mourir ou à « persévérer dans leur être » à  ces intrigants qui sortent toujours leur épingle du jeu, sans parler de l’artifice d’une lettre perdue ou trouvée. La pièce a quand même dû avoir son heure de gloire,  et on y entend quelques vers passés dans le domaine public comme le fameux: «Nourri dans le sérail, j’en connais les détours» du prudent Acomat.

Faut-il de la terreur et de la pitié pour qu’il y ait tragédie ? Bajazet, homme objet de deux passions antagonistes, n’inspire pas la pitié : trop borné à un courage sans emploi, séquestré par son frère, le sultan qui craint en lui un rival, trop enfermé dans un amour de jeunesse dont il ne sait pas utiliser le potentiel de révolte. Comme Atalide, sa fiancée. Ils s’aiment par principe, c’est leur colonne vertébrale : prêts à mourir l’un pour l‘autre… Elle, révélant hors de sa présence toute sa frustration, lui, tout à sa « gloire », généreux tous les deux mais jusqu’à l’ennui.

Heureusement, ils se trouvent entre les mains d’une sultane qui introduit la terreur dans l’affaire. Esclave élevée au plus haut rang du pouvoir par l’amour du sultan qui guerroie au loin, elle fait sa proie de Bajazet, prisonnier du sérail, dévirilisé. C’est l’amour ou la mort : aime moi, ou je te tue. Et cela fait un drame, à défaut d’une tragédie : on sait que l’amour ne se commande pas.

Blaise Pascal le dit mieux : l’amour, et le pouvoir ou la domination, ne sont pas du même ordre, et vouloir imposer l’un par l’autre, devient le propre de la tyrannie. Avec cela, à la fin, inévitablement, tous meurent, à l’exception, on l’a vu, de ceux qui tirent les ficelles et « songent à eux ».

Reste Roxane, le rôle-maître, à défaut d’être le rôle-titre. Clotilde de Bayser en donne peu à peu les facettes : dissimulation de la calculatrice (jamais longtemps : c’est une faible femme…), dureté de l’orgueil, atermoiements de l’ancienne esclave finalement peu sûre d’elle, passion dévorante… En un mot, elle arrive à exprimer l’extraordinaire vulgarité d’un pouvoir sans opposition, et domine la distribution.   Mais son rôle est  mieux écrit.

Rebecca Morder, (Atalide), sorte de Junie tétanisée par la colère, Laurent Natrella (Bajazet) réduit au silence par cette double convoitise de femmes, ont une palette beaucoup plus étroite. Denis Podalydès, presque trop sobre pour une fois, fait, de ce vizir  qui voudrait bien être sultan à la place du sultan… le parfait politicien qui flotte sur tous les courants. En confident ou en faire-valoir, Alain Lenglet peine à dépasser la convention ; les suivantes  habillées de  gracieuses robes ont plus de chance, avec  un moment dramatique à jouer (Anna Cervinka et Cécile Bouillot).

Eric Ruf a placé toute l’affaire dans ce qu’il appelle une «chambre sourde» du sérail. Cernée d’armoires  avec des arrière-plans troubles, et encombrée d’un étalage de chaussures  féminines, symbole de pouvoir et d’intimité. Cela fonctionne bien  mais, sur le plateau du Vieux-Colombier, les acteurs ont souvent l’air trop grands pour le décor.

On peut aller voir cette pièce secondaire de Racine, surtout pour Clotilde de Bayser et pour cette vision catastrophique de la passion possessive et destructrice, celle d’une pure fiancée, comme celle d’une sultane sans scrupules.

Christine Friedel

Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris VIème. T : 01 4439 87 00 jusqu’au 7 mai.

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Adieu Armand Gatti

Adieu Armand Gatti

IMG_0622Armand Gatti, est mort jeudi  dernier, à 93 ans. Né d’une famille pauvre à Monte-Carlo (mère de femme de ménage et père balayeur), il rejoindra le maquis et la Résistance. Condamné à mort à dix-sept ans, il fut gracié.

Il prétendit longtemps été avoir déporté en camp de concentration à Neuengamme, ce qui s’avéra faux! Mais il rejoindra en 44 les Forces françaises à Londres. 
Puis, il sera d’abord journaliste et ira dans de nombreux pays dont l’ Algérie où il rencontrera Kateb Yacine, la Chine, le Guatemala… Ses reportages lui valurent le prix Albert Londres en 1954.

Il s’intéressait aussi déjà aux arts scéniques et avait écrit un article très louangeur dans Le Parisien libéré sur le travail de Merce Cunningham…Quelle lucidité! Alors que le chorégraphe américain était encore absolument inconnu. Mais il commence à écrire pour le théâtre, avec Le Crapaud-Buffle que montera Jean Vilar au T.N.P. en 1959.

Il s’intéressa au cinéma et, en 1960,  réalise  L’Enclos, un film sur l’univers concentrationnaire qui sera primé l’année suivante au festival de Cannes. Mais, déçu par un accueil mitigé, il reviendra au théâtre avec des pièces souvent inégales,  comme La Vie imaginaire de l’éboueur Auguste G., La Deuxième Existence du camp de Tatenberg, Chroniques d’une planète provisoire, Chant public devant deux chaises électriques, V comme Vietnam où il s’engageait politiquement et de façon souvent radicale.

Ainsi, le public n’avait pu voir à Chaillot, La Passion en violet, jaune et rouge, où le général Franco était très malmené. La pièce avait en effet subi la censure du général de Gaulle, qui l’avait fait interdire sans aucun état d’âme au T.N.P. et cela, à la demande du gouvernement espagnol, et malgré le soutien d’André Malraux, alors ministre de la Culture! Nous avions quand même  découvrir le spectacle « délocalisé » comme on ne disait pas encore, dans un entrepôt Calberson, boulevard Mac Donald dans le 19ème, loué pour l’occasion et donc moins gênant pour le régime en place que dans le XVI ème! Un peu mesquin de la part du chef des Français

Cette censure amènera Armand Gatti à se détourner des théâtres officiels, pour aller vers d’autres aventures, plus en accord avec ses convictions et le conduira à se rapprocher des exclus. Il voyagera ainsi beaucoup en Italie, en Allemagne et en Irlande, et montera des spectacles, en favorisant la création collective. Il s’occupa de jeunes de banlieues, notamment autour de Paris, à Avignon; c’est à cette époque que nous l’avions un peu connu.

Il avait dans le pouvoir que le théâtre donnait à ces jeunes marginaux, souvent de familles émigrées, une générosité et une foi presque démesurées qui forçait le respect… Pour lui, cela représentait sans aucun doute une seconde chance que l’école de la République n’avait pas su, ou pas pu, leur donner. Mais, en même temps, et sans le leur dire, il admettait avec clairvoyance qu’ils avaient peu d’avenir dans le métier. C’était tout Armand Gatti: entre utopie lucide, et force de la parole. Et malgré tout, quelques-uns de ses stagiaires réussirent le concours de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot; l’un d’eux entra ensuite au Conservatoire et de façon inespérée, devint ainsi un comédien reconnu.

Avec les réalisateurs, Hélène Châtelain et Stéphane Gatti, un producteur,  et un administrateur, Jean-Jacques Hocquard, il créa des structures aux différents noms, mais  avec  toutes un même but: associer dans une production artistique, l’écriture, le théâtre, la musique, la peinture, la vidéo et le cinéma.
En 1982, ils s’installèrent à Toulouse et inventèrent l’atelier de création populaire, l’Archéoptéryx, Centre national de création, imaginé par Armand Gatti à la demande du ministère de la culture.  Héritière de cette histoire, de ces archives et de ces productions, La Parole errante, créée en 1986, s’installa à Montreuil-sous-bois, en Seine-Saint-Denis. C’est sans doute ce qu’avant tout  et plus que son théâtre, ce que on retiendra d’Armand Gatti…

L’ensemble du matériel attribué à l’Atelier de Toulouse fut confié à La Parole errante qui signa une convention avec le ministère de La Culture et de La Francophonie, et devint Centre international de création. Une mission fut ensuite confiée par le Ministère de la Culture pour créer un lieu «où serait confrontée l’écriture d’auteurs de langue française avec des groupes diversifiés, allant de jeunes éloignés de toute culture classique, à certains professionnels du théâtre intéressés». Ce lieu, La Maison de l’Arbre ouvrira en 1998.

Auteur, metteur en scène et animateur mais avant tout poète engagé, poursuivant jusqu’à la fin de longue vie, son aventure de La Parole errante, il aura été aussi une des  figures du paysage théâtral français de la seconde partie du XXème siècle…

Philippe du Vignal

 

 

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Séquence danse Paris 2017 : cinquième édition

Séquence danse Paris 2017 : cinquième édition

 Le Centquatre programme chaque année un mois de danse mêlant chorégraphes confirmés et jeunes talents, et invite le public à partager des moments conviviaux avec les artistes  pour un bal ou des conférences. Lorgnant vers le hip hop (Amala Dialor) comme vers une danse contemporaine plus classique (Anne Teresa De Keersmaeker, Sylvain Groud), le festival s’ouvre aussi à des duos danseur/acteur, avec Jacques Gamblin, ou Bérénice Bejo. Grâce à ses nombreux espaces, le Cent-Quatre offre plusieurs spectacles  par soirée, échantillons d’une programmation kaléidoscopique. Et il s’exporte aussi sur la péniche La Pop, ou au Théâtre Louis-Aragon, à Tremblay-en-France.

 Trois Sacres de Bérénice Béjo et Sylvain Groud

 c,5,113,1380,889-cr,1380,720-q,85-5b7309Sylvain Groud danse en solitaire, quand soudain, apparaît une femme, attirée vers lui, dit-elle, comme un aimant. Prise de vertige, submergée de désir, presque contre son gré,  quand retentissent les premiers accords du Sacre du printemps. La vitalité de la musique fera le reste.

  Pour construire sa pièce, qui recompose en triptyque entrecoupé de silences la partition d’Igor Stravinsky, Sylvain Groud s’est inspiré de trois textes, dont Bérénice Béjo nous livre des bribes. D’abord Maudite Attraction (dans L’eau à la bouche), d’Anne Bert évoque une attraction incontrôlée vers un homme qu’elle déteste mais qu’elle désire. Puis une nouvelle de Françoise Simpère, tirée de Des Désirs et des hommes. Enfin, pour le troisième mouvement, quand, après bien des chassés croisés, les corps fusionnent, on entend des mots pris dans La Divine Primitive d’Olivier et Christine Walter, une correspondance poétique célébrant l’osmose entre féminin et masculin.

  Texte et danse ne font pas toujours bon ménage mais ici, ces quelques phrases, distillées à bon escient, donnent à chaque partie de la pièce, une couleur différente et n’empêchent pas les corps de se déployer, d’autant plus que la comédienne s’avère très à l’aise dans cette chorégraphie. Loin d’un scénario anecdotique où le descriptif prendrait le pas, on demeure au plus près des gestes et des mouvements qui évoquent l’attraction/répulsion du masculin et du féminin, puis la fusion finale : « Je ne sais plus, dit-elle, qui, de nous deux, respire » . Un bel exercice où la littérature se met modestement au service de la danse

 Le Centquatre, jusqu’au 9 avril, rue Curial Paris XIXème.

Le Volcan, au Havre, les 25 et 26 avril ; Le Rive Gauche, Saint-Etienne-du-Rouvray (76) le 27 avril.

 

A Love Supreme chorégraphie de Salva Sanchis et Anne Teresa De Keersmaeker

c,0,81,1380,863-cr,1380,720-q,85-b19efc Cette pièce inoubliable, créée en 2005 par les deux chorégraphes, sur une musique de John Coltrane, n’a rien perdu de son éclat. A l’origine, avec deux hommes et deux femmes, et ici composée pour quatre danseurs. Rallongée aussi d’un bon quart d’heure, avec un prologue où les interprètes explorent le plateau, comme des musiciens qui accorderaient leurs instruments. En effet ce quatuor représente ceux qui ont enregistré ce morceau en 1964 :   aux côtés du compositeur au  saxophone,  McCoy Tyner à la basse, Jimmy Garrisson à la basse, et Elvin Jones à la batterie. Signe des temps, les interprètes, vêtus de noir, sont  «issus de la diversité», comme on dit.  On avait, à la création, reproché aux chorégraphes une distribution trop «blanche».

 John Coltrane, émergeant de l’emprise de la drogue, retrouve ici la puissance et la spiritualité de la musique noire américaine avec cette composition, en forme de prière, dédiée au Suprême Amour, et révolutionnaire pour l’époque. Les quatre notes du premier thème correspondent aux quatre syllabes du titre (sol/si bémol/sol/do). Et le morceau, sur une mesure à quatre temps,  compte quatre mouvements : Acknowledgement (Révélation), Resolution (Engagement), Pursuance (Fidélité), Psalm (Action de grâces). Soit une partition à la fois claire et complexe, sur laquelle chaque interprète peut improviser selon son propre style : rythme syncopé de la batterie, virtuosité sinueuse du piano…

 Cette architecture sonore donne aussi toute liberté à la danse de se greffer sur elle et de faire corps avec elle, en mettant en valeur la structure de cet hymne exalté. Chaque danseur devient un instrument jouant, soit en solo, soit avec l’un ou l’autre de ses partenaires, ou encore en choeur. Quand son instrument se tait, il interrompt son mouvement pour regarder les autres, prêt à entrer à nouveau en action.

 L’orchestration des corps est telle qu’on ne sait plus qui, de la danse ou de la musique, a préexisté à l’autre. L’une engendre l’autre et vice-versa, dans une réelle fusion. L’une explicite l’autre, et lui donne une clarté nouvelle. Par exemple, le danseur qui,  dans le final, traduit les notes du saxophone en mouvements, nous permet de mieux percevoir comment John Coltrane, soutenu par ses trois camarades, paraphrase mot pour mot le psaume qu’il a écrit en marge de la partition: «All paths leads to God / Prayer entitled -A Love Supreme.» (Tous les chemins mènent vers Dieu/ Prière intitulée-Un Suprême amour.)

 Malgré le prologue, un peu long, qui a été ajouté pour que la pièce dure au-delà des  trente-trois minutes de l’enregistrement, A Love Supreme reste un grand moment de danse, quand, dans le silence qui la précède, la musique éclate et emplit l’espace.

 Pièce programmée avec le Théâtre de la Ville, jusqu’au 8 avril.
Minnemeers Ghent (Belgique) du 5 au 8 avril ; Festival Fabbrica, à Florence, les 4 et 5 mai ; Théâtre Garonne, à Toulouse, du 10 au 13 mai. Le Parvis à Tarbes, le 16 mai.
Colours Dance Festival à Stuttgart, les 22 et 23 juillet et Bolzano Danza (Italie) le 26 juillet.

 

CHROMA don’t be frightened of turning the page , de et par Alessandro Sciarroni

 c,0,243,1380,1024-cr,1380,720-q,85-857d0dJambes nues, en caleçon et chaussettes colorées, le danseur arpente en diagonale un tapis de danse blanc, au milieu d’un dispositif quadri-frontal. Il restreint ses pas au fur et à mesure de ses va-et-vient, et finit par réduire son aire de jeu, de telle sorte qu’il doit ensuite tourner sur lui-même. Il observera ce mouvement giratoire jusqu’au terme du spectacle.

 Dans cette rotation, il se livre à de multiples variations, accompagné par une musique répétitive, d’abord grêle, puis de plus en plus insistante.  Dans cette montée sonore, ses mouvements de bras prennent de l’ampleur, son rythme s’intensifie, puis un jeu de lumières démultiplie, colore et transforme son ombre circulaire, projetée au sol.

Le spectateur, d’abord surpris, se laisse vite entraîner dans ce mouvement perpétuel fascinant. Les postures se succèdent avec une extrême précision : aucun temps mort, aucun répit pour le performeur comme pour le public.

  Alessandro Sciarroni, artiste associé au Centquatre  poursuit un projet de longue haleine, baptisé Turning (Tourner) : «Dans CHROMA, dit-il, je ne veux pas poser de signification spécifique sur l’action de la rotation, pour ne pas enfermer la pièce ni restreindre la perception du spectateur.» Il rejette aussi tout amalgame avec les derviches tourneurs. En effet, il part, dans cette pièce, à la recherche, au-delà du simple mouvement, d’un vertige plus sensoriel et matériel que spirituel.

Un objet insolite.

Au Cenquatre jusqu’au 9 avril.

Ascoli Piceno (Italie) le 13 mai ; Dro (Italie) le 29 juillet ; Bassano del Grappa (Italie) du 25 au 27 août.

Séquence danse au Centquatre, 5 rue Curial 75019. T. : 01  53 35 50 00, 

Le Printemps indien au Théâtre du Soleil: Mithuna

 

Le Printemps indien au Théâtre du Soleil:

 Mithuna chorégraphie d’Annette Leday

 mithuna-dannette-ledayDans le sillage d’Une chambre en Inde, mise en scène d’Ariane Mnouchkine (voir Le Théâtre du Blog), le Théâtre du Soleil accueille une programmation tournée vers ce pays. Mithuna, en sanskrit, désigne le fait de constituer une paire, un couple, et évoque une rencontre possible entre Orient et Occident, entre deux danseurs indiens et une danseuse française.  

Chorégraphe, comédienne et traductrice de malayalam (langue parlée du sud de l’Inde), Annette Leday développe des créations mêlant techniques de danse et de théâtre indiennes et occidentales. Formée pendant des années au kathakali, dans l’Etat du Kérala, elle a créé une compagnie composée d’artistes indiens et français. 

Sur la plateau nu, des plantes vertes et des bancs vides. Chacun des trois danseurs va, dès son entrée en scène, se trouver confronté aux deux autres, le temps d’une rencontre fortuite. Hélène Courvoisier, aux postures majestueuses, regardera un peu de travers Unnikrishnan Naïr et Sadanam Manikandan,  et ceux-ci singent son style apprêté.

Hormis la danse qui les unit, tout diffère entre eux et il leur faudra un temps d’observation avant de trouver un chemin commun. Un temps de latence où les deux hommes toisent la femme, dont le visage fermé contraste avec les yeux et les sourcils mobiles des danseurs de kathakali. Hélène Courvoisier s’exprime davantage par ses mouvements que par des mimiques …

 Après ce préambule, un peu long, la danse prend son essor. Des pas de deux s’esquissent entre  la danseuse et chacun de ses partenaires qui, d’abord timides puis plus affirmés, trouvent des terrains d’entente. Les premières approches, maladroites, prêtent à rire puis des va-et-vient entre leurs styles si différents s’instaurent, riches d’invention. Sur les Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach,  ou au rythme du chenda  (tambour indien), les bonds et les postures basses, ancrées au sol, du kathakali tentent de se marier avec les fentes asymétriques et les arabesques sinueuses de la danse européenne contemporaine.

Les Indiens ne peuvent rivaliser avec les pointes de la danseuse qui, elle, en revanche, n’a pas leur maîtrise du regard et des mains. Mais le dialogue est possible… De cette complicité nait une certaine légèreté. On pense alors à Rudyard Kipling qui, en son temps, désespérait d’une telle rencontre dans The Ballad or East and West : «L’Est est l’Est, et l’Ouest est l’Ouest. »

 Mireille Davidovici

Printemps indien avec Kunti Karna, Terres de cendres et Karuppu, (trois spectacles en tamoul sur-titré en français), créations collectives de la troupe de L’Indianostrum.
Et Une Chambre en Inde, jusqu’au 21 mai, puis du 16 juin au 2 juillet, au Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes,  T. 01 43 74 24 08, jusqu’au 9 avril.

 

 

Adieu André-Louis Perinetti

 

Adieu, André-Louis Perinetti

IMG_0621 Il était né en 1933 et, après avoir fait un peu de droit, entra à l’université du Théâtre des Nations en 1962, puis devint directeur d’atelier un an plus tard, et enfin directeur général en 1966. Nommé ensuite, en 1968, à la tête du Théâtre de la Cité Internationale, avec mission  de faire bouger les choses dans un paysage théâtral encore assez fermé. Et ce fut une belle réussite.

Il y mit en scène notamment Le Rapport dont vous êtes l’objet de Vaclav Havel pour la première fois en France et de jeunes auteurs français comme Victor Haïm, Serge Béhar, René Ehni…  Mais surtout, accueillit  plusieurs spectacles du fameux Grand Magic Circus et ses animaux tristes de Jérôme Savary,  ce qui donna un sacré coup de jeune au Théâtre de la Cité U.

Ensuite, il fut nommé à la Direction du Théâtre National de Strasbourg en 1972 à 75, puis à celle du Théâtre National de Chaillot, jusqu’en 1981. Dans un contexte difficile: la salle Jean Vilar était en effet fermée pour une réhabilitation commencée sous son prédécesseur Jack Lang, et le budget était très réduit.

Mais André-Louis Perinetti avait du flair, et, excusez du peu, il eut le mérite d’avoir invité entre autres, Victor Garcia, Jorge Lavelli et, de nouveau, Jérôme Savary mais il fit aussi connaître à beaucoup Tadeusz Kantor avec Les Mignons et Les Guenons de Witkiewicz qui se joua en bas du grand escalier de Chaillot, devant l’actuel bar du contrôle. Et, nous en souvient-il, devant un public clairsemé: l’immense Tadeusz Kantor était encore mal connu en France… André-Louis Perinetti avait aussi été, à l’UNESCO, président de la chaire Théâtre et Cultures des civilisations  en 1997, et membre du directoire du Laboratoire de Recherche sur les arts de la scène au C.N.R.S.

Philippe du Vignal

 

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