Colloque Rodin : l’onde de choc

 

Colloque  Rodin : l’onde de choc

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Vers 1913 terre cuite

 Les participants de ce colloque organisé en résonance avec Rodin, l’exposition du centenaire au Grand Palais, ont examiné  sous un nouveau jour, la réception et le rayonnement de l’œuvre du sculpteur (1840-1917) dans le monde, et notamment en Europe.

A chaque génération, des artistes se sont en effet inspirés de son œuvre, quitte parfois en prendre le contrepied, ou à en prélever des éléments, pour l’inclure dans une autre logique formelle. Sous la présidence de Catherine Chevillot, directrice du musée Rodin, ce fut une réunion européenne joyeuse, variée, traversée par le savoir et la passion.

«Entre la grandeur de la France et la petite France, il faut choisir, écrivait Stéfan Sweig. La France est grande, quand elle ouvre sur son sol des foyers cosmopolites, réunissant artistes et penseurs. J’ai vu ce répandre… cette plaie des plaies, le nationalisme qui a empoisonné la fleur de notre culture européenne. Connaissez-vous la nationalité de ceux qui œuvrèrent à la Grotte de Lascaux ? »

Historiens d’art et archivistes français avaient été rejoints par leurs confrères des pays voisins: Danemark, Allemagne, Belgique, Italie, Suède, Croatie, Finlande, Pologne, Angleterre… Cette Europe de la culture qui passe trop souvent inaperçue, offrit des pensées vivantes, et on parla avec ses connaissances mais aussi avec son cœur. « En art, disait Emmanuel Kant, l’émotion est à l’origine de la pensée plastique ». Il  y a en effet une raison de l’art, différente de celle de l’économie. Chaque discours  est fondé sur un découpage et un montage, mais l’émotion, spontanée, précède la parole. Chaque penseur de l’art dispose ainsi en propre d’un potentiel plastique qu’il lui revient de « travailler ».

Pour Nicolas Villodre, de la Cinémathèque de la danse, « Deux récentes expositions, l’une à Berlin (August Rodin und Madame Hanako), l’autre à Londres (Rodin et la danse, The Essence of movement) ont montré le goût du sculpteur pour la gestuelle moderne, et la danse dite « primitive », « libre » avec des danseuses comme Loie Fuller, Isadora Duncan, Ruth Saint-Denis. Et ses sculptures, même quand elles ne viennent pas de la danse, dégagent une sensation rythmique. Un élément vient toujours déséquilibrer leur aplomb. Si geste il y a, il est fondu, recomposé, chaque démembrement du corps étant capté, griffonné, modelé, avant de donner naissance aux mouvements synthétiques d’un ballet virtuel. »

Bruno Ferrari, conservateur du musée de Gand, évoqua les liens d’Emile Verhaeren et d’Auguste Rodin qui, dit-il, était attiré par les postures de Dante (comme Samuel Beckett qui est comme une sorte d’Auguste Rodin inversé, avec les minces personnages de ses films).  Selon lui, le sculpteur ne se limitait pas à exposer des figures tourmentées dont certaines surgissent d’un socle presque informe, peuplé de forces se mêlant les unes aux  autres.  Comme dans un ouragan de pierre. Mais des œuvres comme, par exemple, La Main de Dieu, naissent du tohu-bohu d’un sol de marbre. La pierre, dans ses entrailles, génère le surgissement d’une main…

Rainer-Maria Rilke perçut, dès 1907, ce cheminement : « Cette époque a, en elle, une substance qui coule, informe, insaisissable. Il fallait que cet homme la saisisse. Il a saisi tout ce qui était vague, en mutation en formation. » Cette « substance qui coule », n’est-ce pas le flux commun à la sculpture d’Auguste Rodin, et à la danse d’Isadora Duncan? Pour elle, cela précède comme rythme, à la composition du mouvement. Mais cette puissance, source de mutations, n’appartient à aucun art. C’est un à-priori historique de plusieurs arts. Et Emmanuel Kant, le penseur de l’à-priori, décrit dans La Faculté de juger cet ouragan comme le creuset d’une nouvelle manière de penser. 

Dominique Brabant, de l’Université catholique d’Eichstadt-Ingolstadt, cite le philosophe et essayiste allemand Gunther Anders qui parle de « pré-forme ». « Les œuvres d’Auguste Rodin et d’Isadora Duncan naissent en divergeant, de l’écoulement de cette substance sans forme. D’où leurs résonances. Il y a des points communs entre cette sculpture et cette danse.» Leur goût partagé de la liberté s’exprime, par exemple, avec Les Bourgeois de Calais (prisonniers mais se libérant dans des postures décentrées) mais aussi avec L’Etude révolutionaire d’Isadora Duncan. La libération, comme geste et corps modelés…

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Isadora Duncan entre 1916 et 1918• Crédits : Arnold Genthe @New York Public Library

Avec Rodin, avec Isadora Duncan, advient en effet une nouvelle dramaturgie et une conception novatrice de l’expression. Un visage représente une douleur, une angoisse, une joie qui demeurent en même temps invisibles dans un corps. La sculpture comme la danse ne commencent pas par le visage pour exprimer mais s’approchent, se tiennent au niveau du fond d’un corps. Et elles captent non pas une image de douleur, d’angoisse mais une intensité. L’expression est ici première. En séparant la douleur de sa représentation, de sa montée au visage, elle dénaturalise l’affection.

Le socle et  le creux accueillent la douleur comme intensité. La sculpture, comme la danse, vient de cette rencontre avec l’expression intensive du marbre et du corps. Dans cet « informe », il y a des luttes sourdes entre l’angoisse, la tristesse, la beauté et la vitalité. Arthur Rimbaud parlait d’un horrible travail (Lettre à Jacques Démeny, 1871). Mais Isadora Duncan et Auguste Rodin ne sont pas d’horribles travailleurs. Leur élan et leur accumulation de forces, filtrés par la concentration, offrent des nuances, des « retouches infimes » comme le dit Stéfan Zweig.

Auguste Rodin et Paul Cézanne attaquent la solidité des choses. Le peintre parle « d’effondrement de l’assise géologique », et l’œuvre du sculpteur révèle un socle ondulant, des vagues de marbre qui attirent à lui les intensités retenues par la terre. Les couleurs et intensités montent là d’où  naissent de nouvelles formes, irrégulières, un peu déformées. Et il revient à l’homme et à la femme, d’accueillir le monstre et sa secrète tendresse.  Avec  ces deux artistes, nait un nouveau monde: il existe un lien extraordinaire entre la libération des couleurs chez Paul Cézanne, le socle plastique chez Auguste Rodin, et le milieu (de lumière) chorégraphique, extrait du milieu physique, étudié pour la première fois par Auguste Comte.

« L’ensemble du mouvement impressionniste, dit Gunter Anders, a dissout l’univers substantiel en un processus, celui des ondes de la lumière. » Mais cette dissolution représente seulement un premier temps. et il faut que cela tienne, insistait Paul Cézanne. Il faut engendrer un corps d’ondes. Ce qui ne va pas sans danger et cette mise en rapport rythmique d’intensités, de couleurs, suppose patience, goût du détail et audace des contrepoints. Ainsi, chaque sculpture de Rodin apparait deux fois. Avec la gravitation « naturelle » de son poids sur le sol. Mais aussi avec une autre gravitation, interne au marbre, une perspective intime qui souffle discrètement une élévation, une suspension. Pourquoi deux des Bourgeois de Calais tiennent-ils merveilleusement sur une demi-pointe ? Ces statues touchent… et ne touchent pas le sol. Qui touche, et ne touche pas le sol ? La danse! Celle qui nait aux côtés d’Auguste Rodin…

 Tobias Kampf, de l’Université de la Ruhr, mit en relation l’œuvre du sculpteur avec la Lebesnreform (« réforme de la vie »). Passionné, très cultivé, cet historien de l’art et philosophe, bon connaisseur de Husserl, aime la danse et travaille à son rapprochement avec l’histoire de l’art.  Selon lui, cette réforme de la vie n’est pas un courant constitué mais une vision répartie entre plusieurs expériences artistiques: celle d’Isadora Duncan avec ses « écoles de vie », le Bauhaus avec, entre autres, Paul Klee et le scénographe Oskar Schlemmer, et enfin Monte Verita ou au bord du Lac Majeur, une colline se peupla alors d’artistes et de penseurs  : l’écrivain Herman Hesse, Émile-Jaques Dalcroze, Isadora Duncan, Vassily Kandinsky, Hugo Ball, Francis Picabia, Rudolf Steiner, le philosophe Martin Buber… et les chorégraphes Mary Wigman et Rudolf  Von Laban.

Rodin et Isadora Duncan partirent, non pas d’un corps d’ensemble mais « de points quelconques ». Des germes s’ouvrent : croissance du marbre, croissance de mouvements. Qu’est-ce qui fait naître les corps ? Le temps, l’air du temps  chez Sandro Botticelli,  et Samuel Beckett, tout au long de son œuvre, parlera aussi de germes…

Bernard Rémy

Colloque organisé avec le soutien du musée Rodin, de la Réunion des Musées nationaux, de l’Ecole du Louvre et des Amis du musée Rodin,  Auditorium du Grand Palais, Paris VIIIème,  les 22 et 23 mars. Rodin, l’exposition du centenaire au Grand Palais,  jusqu’au 31 juillet.

 


Archive pour avril, 2017

L’amour la gueule ouverte, hypothèses sur Maurice Pialat

 

L’amour la gueule ouverte, (hypothèses sur Maurice Pialat) d’Alban Lefranc, mise en scène d’Olivier Martinaud

9782330047122_1_75-224x300 La Scène Thélème à Paris possède une salle de restaurant et une autre de spectacle…Occasion pour un public parfois peu familiarisé avec le théâtre, de venir le découvrir. En octobre dernier,  Olivier Martinaud, avec Laurent Sauvage, inaugurait cet espace, dans une mise en scène-lecture réussie de Mes Prix Littéraires de Thomas Bernhard, voir (Le Théâtre du Blog).
Nous le retrouvons dans un autre registre, avec ce texte, « créé, dit-il,  pour qu’à partir d’un film, d’une photographie, d’une œuvre d’art, d’une musique ou d’un lieu»,  un écrivain produise un texte « qui témoigne de cette rencontre (…) en résonance avec leur travail ».

Hypothèses sur Maurice Pialat, sous-titre du livre, exprime bien la teneur d’une écriture où, dit le texte : «tel un sculpteur, Alban Lefranc travaille la matière de l’œuvre et de l’homme pour faire surgir une vérité aussi rude et juste que son modèle ».  Seul, debout, Olivier Martinaud, s’empare de cet essai, dans un étrange dialogue, proche d’un  face-à-face avec un Maurice Pialat qu’il vouvoie : « Si vous aviez pu parler à dix ans, si vous aviez osé, vous auriez dit ceci à votre armée de camarades invisibles : vous voyez bien qu’ici est tout à fait insuffisant. Vous savez bien (ne faites pas semblant) que nous ne sommes pas au monde, ou pas assez, ou trop seul à y être, ou trop rarement. »

Sur la petite scène, Olivier Martinaud, très présent, dans un costume sobre et décontracté, nous impressionne. Avec sa voix, son regard et son corps, l’acteur construit un univers sensible et singulier, où l’écrivain, et le cinéaste et peintre Maurice Pialat, vont, avec une angoisse existentielle et des passions partagées, se retrouver. Non sans brutalité! Une émotion de plus en plus profonde envahit le public, surpris et fasciné par ce qu’il voit et entend, au fil des mots: «Il faut tomber amoureux sans cesse, c’est le seul moyen. Non pas baiser mais tomber amoureux, raide amoureux à cracher son dernier sang. Dès que vous arrêtez, vous mourrez.» Maurice Pialat, insaisissable et indépendant, avait pris ses distances avec nos illustres écrivains comme, entre autres, Gustave Flaubert qui   »méprise ses personnages. »  Et il avait aussi remarqué qu’il n’y avait aucune naissance dans toute A La Recherche du temps perdu de Marcel Proust!

« Il y a votre esprit de sérieux. L’art n’est plus une plaisanterie : il y a de la vie et il y va de bien plus » insiste avec raison, Alban Lefranc. La difficulté de cette lecture singulière? Transmettre à voix haute, et dans une langue littéraire, qui ne manque pas de théâtralité,  le portrait d’un cinéaste doué, à la vive sensibilité : «On vous a vu poser à l’artiste maudit, brûler vos toiles, pour épater vos femmes ». Et réputé pour ses coups de gueule : «Vous abandonnez le tournage, trois, cinq, six jours. On vous cherche dans les rues de la ville, (…). On sait que vous ne vous prenez pas pour n’importe qui, on vous a vu déterrer le cadavre de votre mère, vous vous empoignez avec Jean Yanne ».

Alban Lefranc avec une grande finesse d’écriture et Olivier Martinaud dans sa belle interprétation, ont su rendre  charnelle et violente, la dimension poétique et politique du texte :«C’est une imposture, cette histoire des cinéastes français qui braillent et qui disent : on ne peut pas faire de cinéma social en France, mais, quand est-ce qu’ils ont essayé ? »

Puis nous passons, avec grâce et intelligence, à la projection de L’Amour existe, premier film de Maurice Pialat (1960), documentaire de dix-neuf minutes sur les banlieues, récompensé par le prix Louis Delluc, et à la Mostra de Venise, A l’époque, le film est déjà perçu  comme un «objet cinématographique non identifiable!» et aussi comme «engagé, inventif et personnel (…) », une véritable ode au changement, à la joie, litanie sentimentale contre la morosité des villes nouvelles bétonnées. »

 Cette « anti-biographie » et le film qui la clôture posent des questions d’une réelle actualité, et sont d’une étonnante poésie Nous allons ici à la rencontre d’un artiste libre et révolté, disparu en 2003, avec un spectacle politique qui réveille l’esprit et nécessaire en ces temps de grande confusion, et où l’émotion est au rendez-vous…

 Elisabeth Naud

La Scène Thélème,17 rue Troyon, Paris XVIIème. T: 01 77 37 60 99, jusqu’au 8 avril..

Le texte est édité aux éditions Helium, Actes Sud, collection Constellation.

 

 

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SAMO (A Tribute to Basquiat ) de Koffi Kwahulé

 

SAMO (A Tribute to Basquiat ) de Koffi Kwahulé, mise en scène de Laëtitia Guédon 

 

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©Tristan Jeanne-Valès

 

« J’aurai la patience d’un roi pour me hisser jusqu’à la couronne de mon destin », clame un acteur, agitant ses gants de boxe sur une musique aux sonorités de ghetto blaster, lancée par Blade MC Alimbaye. Ce performer mêlera tout au long du spectacle ses arrangements hip-hop à ceux du jazz distillés en direct par le saxophoniste Nicolas Baudino.

Ambiance de l’underground new-yorkais des années quatre-vingt où vécut Jean-Michel Basquiat (1960-1988), d’origine haïtienne et porto-ricaine,  graffitant les murs de Soho avec ses acolytes Al Diaz et Shannon, sous le pseudonyme de SAMO, acronyme de Same Old Shit (Cette même vieille merde). Messages lapidaires poétiques et politiques, dans une Amérique contestataire en pleine effervescence.

 «La royauté, l’héroïsme et les rues », répondait Jean-Michel Basquiat au très influent critique d’art Henry Geldazahler qui lui demandait de qualifier son travail. Laëtitia Guédon recrée l’univers de cet artiste-star noir américain, dans un spectacle habilement architecturé entre texte, musique, danse et vidéo. Elle avait rencontré l’écriture de Koffi Kwahulé  avec Bintou,  qu’elle avait mis en scène, de façon tout à fait prometteuse, en 2009. Pour SAMO, hommage à Basquiat, elle lui a passé commande d’une pièce où mots et musiques s’imbriquent. Imprégnée de jazz, après s’être concerté avec les musiciens du spectacle, l’auteur a écrit un texte où deux voix se croisent, celles du jeune  Jean-Michel Basquiat, (Yohann Pisiou), et de son père, Gérard Basquiat (Blade MC Alimbaye).

 Souvenirs d’enfance de l’un, reproches et violence de l’autre,  samplés sur la  boîte à rythme, sont soutenus par les phrases interminables de John Coltrane, les silences heurtés de Thélonius Monk ou les improvisations de Nicolas Bodino… Puis les circonvolutions du danseur et chorégraphe Willy Pierre-Joseph rappellent les errances du jeune peintre, mais aussi ses talents de danseur quand il se produisait au Mudd Club, sous le pseudonyme Mister SAMO, ou dans le petit orchestre déjanté, GRAY, qu’il fonda avec Vincent Gallo et d’autres. Yohann Pisiou et lui forment un duo de choc.

 La vidéo de Benoît Lahoz ne prétend pas reproduire les œuvres de Jean-Michel Basquiat mais, en mouvements abstraits, entre en interaction avec les acteurs et musiciens.  Sont aussi projetés  des fragments de phrases, extraits des tags de Jean-Michel Basquiat par Koffi Kwahulé,

Loin du biopic, SAMO saisit sur le vif un homme dans son époque, en se focalisant sur les prémisses de la tumultueuse et courte carrière d’un artiste aux talents multiples et métissés. Un spectacle promis à une belle carrière… qu’on pourra peut-être revoir aux Plateaux Sauvages, (ex-Vingtième Théâtre), nouvel établissement culturel de la Ville de Paris (XXème), que dirige maintenant Laetitia Guédon.

 Mireille Davidovici

La Loge, 77 rue de Charonne, Paris XIème, jusqu’au 14 avril ; Théâtre Victor Hugo, Bagneux, le 21 avril et Quai des Arts, Argentan, le 27 avril.

 

 

 

Chills (Frissons ) par le cirque cambodgien

 

Chills (Frissons ) par le cirque cambodgien de l’association Phare Ponieu Selpak

 

IMG_617Le sourire khmer n’a rien d’une légende,  et s’il éclot de la pierre des temples (comme celui de Bayon, à Angkor, il est aussi le symbole du courage et du charme d’un pays qui fait tout pour s’en sortir. Les khmers rouges avaient réquisitionné l’ancien lycée français de Phnom Penh, lieu selon eux d’un savoir “bourgeois“ qu’ils voulaient éradiquer,  et en avaient fait l’effroyable S21, un centre de détention et de torture!

Mais aujourd’hui, on voit partout s’ouvrir des écoles, courir des bandes d’enfants et d’adolescents en uniforme bleu marine et blanc, ou bien en toge safran. Ici les monastères bouddhistes sont aussi des lieux d’enseignement gratuits.

Parmi les nombreuses O.N.G. qui prennent en charge les enfants orphelins ou en danger, l’association Phare Ponieu Selpak «clarté des arts », fondée, entre autres, par la Française Véronique Decrop, s’engage pour leur formation, par le dessin, le théâtre, la musique et le cirque, tout en leur permettant de suivre une scolarité générale.

Une parfaite réussite dont Chills est la démonstration éblouissante. Ce cirque moderne, sans animaux et virtuose, propose une petite fiction : il était une fois une bande de collégiens, dont un froussard, terrorisé par les fantômes. Moquez-vous : les rouleurs de mécanique trembleront à leur tour devant les mauvais esprits. Le plus jeune voudrait séduire la musicienne ? Les rouleurs en question l’en empêcheront, occasion de bagarres très acrobatiques et de jongleries aussi précises que pleine d’humour.

Et le tout est à l’avenant, avec des fantômes, incroyables contorsionnistes, un «petit», jongleur hors pair,  un froussard, bel humoriste à froid, et tous ces circassiens, remarquables acrobates et équilibristes qui arrachent au public des oh ! et des ah!

16730173_1338128249587561_2916559601639436405_nMât chinois, envols de tissus, sauts et défis à la pesanteur, équilibres invraisemblables : pas un temps mort, pas une seconde de trop, avec des numéros rythmés à la perfection. La musique, jouée sur des instruments traditionnels, l’improvisation théâtrale : ici, tout est moderne, vivant et respire la joie de jouer chez ces artistes qui, en complicité immédiate avec le public, ne s’attardent pas sur la performance. Et pour ne rien gâcher, avec un dénouement de la pièce “moral“ : tout bien réfléchi, les mauvais esprits ne peuvent nous faire du mal que si l’on veut bien…

Une autre équipe de cette troupe vient de clore avec Eclipse, une tournée dans la région Rhône-Alpes-Auvergne. Guettez ce cirque cambodgien connu en France qui a en effet une qualité comparable aux Sept Doigts de la main, cette compagnie québécoise qui vient de triompher au Bataclan, à Paris,  avec Réversible.

Christine Friedel

Spectacle vu à Phnom Penh, le 20 mars.
Festival du mime de Périgueux, les 27 et 28 juillet.  Autres dates encore possibles : informations  auprès du collectif Clown d’ici et d’ailleurs, qui organise les tournées.
diffusion@ccai.fr.

 

Memories of Sarajevo/Dans les ruines d’Athènes

 

Cabaret Europe: Memories of Sarajevo/Dans les ruines d’Athènes, mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot

©JMedelli

©JMedelli

Berliner Mauer : vestiges était un spectacle avec un dispositif visant à impliquer les spectateurs et avait aussi trait à l’Europe (voir Le Théâtre du Blog).
Nous avions remarqué la belle dynamique de cette mise en scène mais aussi ses manques et ses longueurs. On  souhaitait donc voir un autre travail de ces jeunes metteuses en scène-toutes deux sorties du Cons-mais dont la conception serait plus travaillée, et dont le temps et l’espace seraient aussi beaucoup mieux maîtrisés… Peu après cette première expérience, Julie Bertin et Jade Herbulot ont fondé leur compagnie, Le Birgit Ensemble.

Et voilà maintenant un échantillon en une heure de Memories of Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes, futurs spectacles qui font partie d’une tétralogie, Europe mon amour, où les deux amies veulent  parler de ces crises majeures et pas vraiment soldées que connait l’Europe à partir des années 90, avec d’abord, la guerre de Bosnie, puis le tsunami économique qui a secoué et secoue encore la Grèce. Avec les redoutables  effets sur la confiance  envers les institutions européennes! Des Grecs d’abord mais aussi des citoyens des autres pays. «Entre géopolitique, histoire et mémoire, disent-elles, la dramaturgie et la scénographie du spectacle confronteront les instances politiques à la réalité des habitants. »

On oubliera le titre en anglais de ces deux petites formes-une mode ridicule et en inflation! Les dieux du snobisme doivent savoir pourquoi!-présentées dans une péniche, donc un espace des plus limités-mérite heureusement mieux. Sur une scène bi-frontale, avec une cinquantaine de spectateurs de chaque côté, des guirlandes d’arbre de Noël,  et un piano droit, une batterie et leurs  interprètes. Et quelques belles et jeunes comédiennes/chanteuses, et un seul acteur, pour un  grande heure, dans une sorte de ballade à travers la tragédie de Sarajevo et le déroulement de l’actuelle crise grecque.

Ce mini-cabaret commence par un coup de rouge, et une savoureuse mise en bouche avec le célébrissime Hymne à La joie qu’elles chantent en chœur, puis cela continue avec des chansons, et l’histoire de cette belle jeune fille nommée Europe, des extraits de discours comme à la radio, en langue originale (dans le fond) et en français au micro (un peu trop fort pour ce petit lieu mais bon, la balance se fera). Le tout assez foutraque, c’est à dire aussi fou qu’absolument maîtrisé, avec une série de petites scènes au jeu parfois physique, qui s’enchaînent avec cohérence, avec une diction impeccable et des plus raffinées, avec souvent un curieux phrasé tout en nuances, très étudié, précis, doux et sensuel, mais ausi dur, tendu, à d’autres moments, quand on entend Alexis Tsipras, premier ministre grec, parler des décisions en terme de budget… soumises au bon vouloir de de l’Europe, et donc surtout de l’Allemagne.

Il y a aussi une courte parodie d’Angela Merkel, pas trop appuyée et assez drôle. La petite équipe,  bien soutenue par ses musiciens, est physiquement au plus près du public, et dans une grande connivence avec lui. Si bien qu’on est vite sous le charme…  Jade Herbulot et Julie Bertin ont l’art et la philosophie de dire les choses sur l’Europe, dans un spectacle à la fois généreux, intelligent et souvent plein d’humour. Que demande le peuple?

Mais avec une apparente légèreté, et sans  avoir l’air d’y toucher, loin, très loin des grandes et prétentieuses machines en trois heures sans entracte, avec vidéos et fumigènes. (On ne vise personne mais suivez notre regard!) Et  cela fait grand bien. Au prochain festival d’Avignon, Julie Bertin et Jade Herbulot, avec une équipe plus importante, présenteront les formes complètes de ces  « petites formes ». On peut parier que si, elles ne sont pas trop longues et si elles ont la même force et le même humour, elles devraient faire un tabac. Donc, à suivre…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 1er avril à la péniche La Pop, face au 40 quai de la Loire, Paris 18ème.
Festival d’Avignon, Gymnase Paul Giéra, du 9 au 15 juillet (sauf le 12).  

 

 

 

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Les Gravats par le Collectif la Mouline

 

Les Gravats par le collectif La Mouline

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©Didier Goudal

« Nos vies disent, ces quatre compères, ne seraient que cette tentative désespérée d’inventer une dignité jusqu’au dernier moment puisqu’il en est un fatal et définitif, la mort. Ne jamais faiblir. Alors comment raconter cette lutte, ce travail, cette invention permanente du vivant qui va irrémédiablement vers ce repos obligé, surtout quand on est vieux. Comment? Eh! Bien en fanfare, en chanson ou en poèmes, en témoignage, en image, en info, en documents.

  »Il faut absolument que ça s’arrête ! Rien ne se passe ici, c’est fini, l’histoire est longue et la vie très courte. Devant moi le désert ! » Ils chantent tous les trois, et dansent sur leur fauteuil. Puis, avec quelques éclats d’humour noir, Jean-Pierre Bodin arrache des os à Jean-Louis Hourdin…

« Les vieux anars, dit-il, qui fêtent la vie avant de calencher, qui font la nouba pendant la nuit(…) Une grande improvisation avec déambulateurs, fauteuils roulants, lits médicalisés, support perf, avec les couches culottes, les bas à varices, les béquilles, avec leurs cercueils, qui dansent avec des enfants qui leur racontent des histoires pour les endormir et qui continuent à jouer la comédie avec des postiches, avec des perruques, des fausses barbes, des masques, qui font de la musique avec des os sur un squelette, qui se servent de leur dentier pour faire des castagnettes, qui se dressent pour résister face à tous ceux qui les humilient. »

« Je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort(… ) L’homme n’est que poussière, c’est parti à petit feu, sans qu’on s’en aperçoive ! (…) Pour moi, une personne âgée, c’est quelqu’un qui a quinze ans de plus que moi ! Le 17 avril, je me vois mourir, je me découvre morte. Tous les jours, un petit effort, c’est bien.»

Une obsession que nous partageons tous. Mais les trois compères s’amusent, et nous avec…

Edith Rappoport

Spectacle vu le 1er avril, au Moulin du Roc de Niort. T: 05 49 77 32 32.

Le Fils de Marine Bachelot Nguyen

© Thierry Laporte -

© Thierry Laporte -

 

Le Fils de Marine Bachelot Nguyen, mise en scène de David Gauchard

Une femme s’adresse au public : «Vous savez ce que c’est d’être mère ? » Et de nous conter par le menu, la naissance de ses fils, son mariage, son métier de pharmacienne tenant boutique avec son époux. Une femme d’aujourd’hui, dans une ville de province, à la vie bien ordonnée entre famille et travail… allant à la messe le dimanche avec mari et enfants…  Deux fils qui grandissent, si différents l’un de l’autre. Elle s’engage dans des mouvements catholiques traditionnalistes,  et va aux manifestations contre le spectacle de Roméo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu puis ira aux marches contre le mariage pour tous. Avec le sentiment d’appartenir à une bonne société bien pensante…

Une adresse simple, factuelle. Tantôt la comédienne dit : je, tantôt elle prend du recul, avec un récit à la troisième personne. Mais banal, le personnage cerné par l’auteure s’avère complexe et cela, dès le début du récit : «Les enfants,  elle était envahie par eux. Elle les aimait et les détestait.» Pétrie de contradictions et d’angoisses, elle apostrophe de temps à autre  le public, en quête d’approbation : «Et vous vous allez à la messe ? » «Et vous, vous parlez de sexualité avec vos enfants ? » …

Au fil du récit, on sent, à la tension du jeu de la comédienne, monter le drame final. La jeune femme ne l’aura pas  vu venir car, aveuglée par ses certitudes, elle est persuadée d’être dans le droit chemin, de lutter pour la bonne cause. Sa croisade contre le Mal, au nom de valeurs qui suintent la haine d’autrui, lui vaudra le pire des châtiments.

Rien de moraliste dans cette pièce, commande  de la compagnie l’Unijambiste, en réponse  à  l’essor de l’intégrisme catholique. Une analyse  froide et scrupuleuse des mécanismes à l’œuvre dans l’engrenage qui conduit à des engagements politiques nauséabonds, en toute inconscience.  « Cette fiction a un fort ancrage documentaire (…) Un travail de recherche sur les mouvements catholiques intégristes en France et sur d’autres mouvements plus policés et ambigus, a accompagné et précédé l’écriture du texte, note l’auteure. » 

 A la précision et l’efficacité du texte, répond une mise en scène sobre et rigoureuse. Et Emmanuelle Hiron, au jeu d’une grande intensité, tient le public en haleine pendant une heure vingt. La présence d’un jeune claveciniste qui apparaît de temps à autre sur le plateau, pas vraiment justifiée, apporte un contrechamp, une respiration dans le jeu serré et subtil de la comédienne qui, au plus près du personnage et de ses émotions, sait, en même temps, s’en tenir habilement à distance.

Cette mère de famille ordinaire, qui pourrait être notre sœur ou notre collègue, nous semble, à nous aussi, à la fois familière et lointaine. Du bel ouvrage, sans autre prétention que de nous révéler la face sombre et tragique de la bien-pensance.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu à la Maison des Métallos le 2 avril.
Festival Mythos à Rennes. T. : 02 99 79 00 11, les 6 et 7 avril.
Espace Malraux/ Chambéry (73) T. 04 79 85 55 43 , les 3, 4,10, 11 et 12 mai .
La Manufacture à Avignon T. 04 90 85 12 71 du 6 au 26 juillet.

 

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L’Exception et la Règle de Bertolt Brecht

L’Exception et la Règle de Bertolt Brecht
 

©CarineBoeuf

©CarineBoeuf

«En ces temps de mise en examen, illustres ou nombreuses… C’est selon, nous voilà avec notre nouveau spectacle, replongés dans Brecht, avec L’Exception et la Règle ! (…) La justice n’est pas la même pour tout le monde…, Il ne faut jamais accepter l’inacceptable, même lorsque c’est la règle !» déclare  les comédiens, infatigables lutteurs, de la compagnie Jolie Môme.
 Au sommet de la pyramide qui surplombe les spectateurs, deux musiciens prononcent les paroles de Brecht interprétées par les protagonistes de ce voyage infernal à travers un désert où un marchand assassine son coolie qui lui offrait sa gourde, ayant cru qu’il allait l’attaquer avec une pierre. A Urga, avant de traverser le désert, le marchand, à la recherche de puits de pétrole, licencie son guide mais garde son coolie qu’il brutalise avec la dernière méchanceté. «L’homme faible meurt, l’homme fort se bat, celui qui ne se méfie pas n’est qu’un imbécile. Quelle maladie pourrait être aussi dangereuse que l’homme ?»
 
Le coolie a le bras cassé par son maître, et il a perdu sa vie à la gagner. Son épouse, privée de ressources, intente un procès qu’elle va perdre. «Quel motif, le coolie aurait-il eu de donner à boire à son maître ? » Les comédiens, en bas de la pyramide, sont de naïves et attendrissantes marionnettes. On s’amuse beaucoup à voir remuer les lèvres des musiciens qui les doublent. Ici, de bons, de grands, d’infatigables comédiens font honneur à  la compagnie Jolie Môme.
 
En ouverture, Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature, exposait à la représentation du 2 avril, les dix exigences pour la Justice…

Edith Rappoport
 
Théâtre de la  Belle Étoile, 14 Rue Saint-Just, 93200 Saint Denis, jusqu’au 22 avril. T: 01 49 98 39 20.

 

 

Boutelis, mise en scène de Johan Lescop

Boutelis, mise en scène de Johan Lescop

 

©lighuen desanto

©lighuen desanto

Où sommes-nous ? La boîte noire n’a jamais si bien porté son nom. Tout est ourlé d’obscurité. La scène flotte dans l’indétermination du rêve, là où le symbole auréole chaque objet, où les désirs prennent d’étranges formes, et où l’inconscient dicte sa loi. Une mystérieuse chambre réduite à ses meubles fétiches : lit, coiffeuse, armoire … des apparitions.

Cet univers, terriblement beau, familier, s’avère en même temps menaçant, comme dans les contes de fées. Ses êtres endormis, ses faux jumeaux et ses animaux en lisière du fantastique, semblent contaminés par l’imagerie de Cendrillon, de La Belle et de la Bête, comme par celle du maître incontesté de l’animation japonaise, Hayao Miyazaki.

Cette histoire nous entraîne dans le sillage d’une voltigeuse à robe bleue, que six hommes portent, emportent et dérobent. Elle rêve de vent dans les mollets, et d’échapper à la pesanteur du monde. La psychanalyse n’est pas notre tasse de thé, assure Stéphane Fillion, jongleur. Quel sublime refoulement ! Car, du nom « Lapsus, » très freudien du collectif, jusqu’à l’esthétique de cauchemar éveillé d’un David Lynch, tout ici nous murmure que nous naviguons dans l’inconscient de cette jeune femme rêvant de légèreté, et au cœur du dispositif, repoussant des chimères chevelues qui lui ressemblent toujours un peu. Filles et garçons sont sans cesse en train de s’ajuster, de jouer des coudes : le « genre » vacille sur ses talons…
Substitutions et glissements subtils nous tiennent en haleine, à l’instar de ce cerf-volant qui surgit. On croit sans cesse avoir rêvé une image. Ici, Le Cauchemar de Johann Heinrich Füssli, là un monstre immémorial… Avec des lumières joliment travaillées dont la finesse est  visible, en particulier dans un numéro de jonglerie à base de miroirs mais aussi lors d’entrées-sorties étonnantes, ou quand surviennent des noirs profonds : on a alors la sensation de battements de cils. Infra-basses et grésillements nous donnent l’impression d’un montage elliptique, exhibant des non-dits et des silences.  

 Nous avions déjà découvert avec plaisir, au festival d’Avignon, sur l’île Piot, ces jeunes artistes d’Occitanie qui ont, pour joyeux dénominateur commun, l’amitié et le plaisir de jouer ensemble. Leur premier spectacle Six pieds sur terre (toujours en tournée) investissait un monde post-apocalyptique, où la reconstruction s’opérait à partir de briques et d’œufs. Dans une ambiance plus enfantine, plus rieuse…

Boutelis désigne en arabe une paralysie du sommeil, la sensation d’être immobilisé ou étranglé par un être, et leurs créateurs ont choisi une forme plus sombre où l’espace semble sans cesse interroger les êtres : comment sortir de soi et d’ici? Comment s’échapper ? La réflexion sur les fantasmes, le grand mystère de l’Autre qui nous gêne, nous manipule, nous enlève ou nous soutient, y est subtile.  Avec des questions d’identité traitées avec un onirisme spéculaire puissant. Nous avons goûté les ajustements de ce couple siamois qui cherche sa voie sur un monocycle et ce beau personnage d’homme aux talons.

Il y avait un surplus d’émotion perceptible. quand un équilibre fragile se jouait devant nos yeux, un au-delà de la beauté. On l’oublie souvent, mais le spectacle est sensible aux événements qui innervent les acteurs, et ce jour-là, la compagnie jouait sans l’un des siens. Les indispensables aménagements de certains tableaux, l’attention toute particulière lors des numéros de portés étaient le signe d’une grande cohésion dans l’équipe, avec une belle fluidité au-rendez-vous. En latin, « lapsus » évoque l’action de trébucher, de commettre une erreur, mais ici, aucun faux-pas visible : il y a une magnifique attention aux partenaires.
Pour le spectateur, la magie opère! De jeunes spectateurs, assez mûrs pour ne pas s’effrayer, peuvent voir ce voyage à la bande-son parfois grinçante, peuplé de spectres dansants et d’androgynes surgissant de l’armoire. Avec un humour  souvent convoqué, mais aussi des peurs enfantines archétypales, omniprésentes, qui nous transportent. Ce réel distordu, absolument fascinant, nous laisse nous raconter des histoires : rêveurs éveillés, à voir !

 Stéphanie Ruffier

Spectacle vu au Carré de Sainte-Maxime (Var).

L’Atelier à Spectacle de Vernouillet (28), le 13 avril ; La Nacelle d’Aubergenville (78), les 12 et 13 mai ; Théâtre André Malraux, Chevilly-Larue, (94) le 16 mai;  Théâtre Jean Arp, Clamart, (92) les 18 et 19 mai; Théâtre Claude Debussy, Maisons-Alfort, (94) le 21 mai, et à l’Espace L’Occitanie fait son cirque en Avignon, du 12 au 22 juillet.

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Vigilante (Justiciers), texte et mise en scène de Jonathan Christenson

 

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Vigilante (Justiciers),  texte et mise en scène de Jonathan Christenson

Le massacre des Donnelly, une famille d’immigrants irlandais arrivée  en Ontario au XIXe siècle fut chez nous un des crimes les plus sanglants.  Les Donnelly souhaitaient  fuir la violence et la haine entre protestants (les Whiteboys) et catholiques  (les Blackfeet) qui avait empoisonné leur  vie en Irlande, mais cette rivalité avait  continué à effrayer  toute leur  communauté au Canada, mais les autorités n’ont jamais découvert les  motivations du massacre…

Ce qui a envenimé les rumeurs concernant la soi-disant sauvagerie des Donnelly, ces fils  justiciers, qui ne pensaient qu’à  se venger de ceux qui avaient  entretenu la rivalité haineuse entre les deux religions. Cet esprit de vengeance a aussi alimenté des œuvres de fiction écrites autour de la vie de ces jeunes monstres qui n’ont jamais été déclarés coupables de quoi que ce soit mais qui, grâce à l’imagination féconde de Jonathan Christenson, directeur du Catalyst Theatre, ont  enfin trouvé l’occasion de se justifier.

Vigilante n’a rien d’un récit historique mais d’une histoire ambiguë: une sorte de légende  où ici les fils Donnelly, transformés en zombies vengeresses très masculines, vêtues et maquillées en jeunes fantômes punks, sont des plus effrayants, quand ils arrivent sur scène. Plus grands que  nature, plus puissants que des super-héros,  ils recréent le monde à leur image, pour calmer leur soif de vengeance… et nous offrir un spectacle très original.

Johathan Christenson, auteur, metteur et scène, compositeur et scénographe, n’a jamais prétendu rétablir la vérité des faits. Et ce grandiose opéra/concert rock punk-baroque propose des réponses fantaisistes à des questions épineuses… Sur une scène dépouillée, bordée de grosses poutres qui délimitent les ruines d’une maison à moitié détruite, un chœur de huit comédiens éclairés par des spots, émerge de nuages de fumée, possédé par une musique puissante qui  électrise la peau des spectateurs, et fait trembler la salle! 

vigilanteindexCinq  musiciens sur scène font résonner les percussions, crier les guitares et siffler la flûte, instruments qui évoquent à la fois la colère et la douceur lyrique de la tradition irlandaise quand les acteurs/chanteurs évoquent  des  moments de tendresse entre les  jeunes époux…Une paix  vite remise en cause, avec l’apparition d’anciens whiteboys qui se sont installés en Amérique, et devenus des propriétaires qui refusent de vendre des terrains  à la famille Donnelly.

Chansons agressives, chorégraphie énergique, gestualité masculine évoquent les harcellements, les blagues ambigües et bagarres d’une rare violence qui ont lieu, chaque fois qu’ils se rencontrent. Des provocations presque dansées, lancées à la tête de l’ennemi, stimulent la confrontation. Et les jeunes  Donnelly, au  corps  trapu et musclé, encouragés par leur mère qui ne cesse de leur répéter qu’ils doivent défendre leur famille, sont chauffés  à blanc par la rage, quand  leur père est  condamné à mort par un tribunal local, pour ce qui était un «accident». 

Les voix deviennent alors hurlements et sifflements, dans une confusion de tonalités qui les transforment presque en instruments de musique aux sonorités  effrayantes. Désormais, la famille se  livre à des actes de vengeance, et devient le signe même du mal dans le monde, mal qu’il faut éradiquer. Quelle tristesse!  Ce n’est pas ce qu’ils auraient voulu… mais ils étaient incapables de  maîtriser leur rage!

La musique évoque leurs grondements de colère et la tension insupportable, quand des blessés s’écroulent et que la mère, puissante voix de la famille, encourage les fils à se venger. Ils mettent alors le feu chez ceux qu’ils estiment coupables, et une violence meurtrière  englobe alors  le monde, évoquée d’une manière hyper-stylisée et poétique, grâce aussi aux lumières et aux sonorités vocales et instrumentales. Un  grand feu vient tous les incinérer, acte purificateur d’un monde infernal qui ouvre la porte au retour de ces zombies pour qu’ils puissent le transformer  en opéra épique! 
Un merveilleux et impeccable travail d’ensemble aux accents irlandais, un spectacle fascinant  qui  tombe bien, à un moment où guerre et terrorisme sont devenus les expressions courantes de la rage et de la haine auxquelles nous devons faire face !

Cet opéra teinté de violence est aussi une formidable thérapie qui mérite notre attention à tous!

Alvina Ruprecht

Centre National  des Arts, à Ottawa, jusqu’au 18 avril. Ensuite, tournée à  travers le Canada.

 

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