Les Ruches, par le Théâtre de l’Unité à Audincourt

Les Ruches, par le Théâtre de l’Unité à Audincourt

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©St. Ruffier

Jean de la Fontaine aimait à se comparer aux abeilles : « Je suis chose légère, et vole à tout sujet ; je vais de fleur en fleur, et d’objet en objet. ». Une poétique du glanage et de la versatilité ! Les Ruches fonctionnent de même, dans un esprit volage.

Cela tient de la découverte, du laboratoire et de l’innutrition. On y rencontre des personnalités aux démarches artistiques contrastées, et le mélange professionnels-amateurs fonctionne à merveille, et on y propose aussi quelques restitutions ; le but n’est pas le résultat, mais le chemin, bien sûr.

A Audincourt, la journée débute dans l’agressivité et la défiance avec : «Je détexte le théâtre». Dans une démarche agonistique, on expérimente des situations de confrontation, origine de tout drame : un personnage se déplace/parle, un opposant survient. Dans une ambiance musicale conspirationniste, façon Game of thrones, la remarquable proposition de Pascal Rénéric a pour objectif, d’assassiner un grand homme spectral, allégorie du théâtre, puis de s’en repentir.

A partir d’un jeu de cartes contenant plus d’une centaine de répliques de pièces célèbres, cet enthousiaste comédien de Philippe Macaigne et Denis Podalydès, aide ses abeilles à se saisir des grands textes, pour les tailler ensuite en lambeaux, les mâcher, les malaxer et les assembler en un « cadavre exquis ».
La parole est reine. Armés de flingues, d’épées et de bâtons, autour d’une grande table, les clans se retrouvent, s’affrontent, puis se séparent sur ces éternels mots simples et tristes : «Je pars.»

Parmi toutes les activités originales, on pouvait trouver cette année une initiation à ces disciplines que sont la « beat box » et les « circle songs », par le talentueux et athlétique Gaspard Herblot : grâce à une technique vocale éprouvante et à une écriture sibylline à base de P, B et K, la bouche devient une véritable boîte à rythmes et à sons. L’effet de ce chœur est saisissant: on sent que les vibrations sollicitent tout le corps.

Avec Christian Sinniger, comédien brut de décoffrage, il fallait aussi se concentrer mais surtout s’ouvrir à l’autre, et à la situation proposée. Les improvisations théâtrales obligent à toujours rester sur le qui-vive, à se montrer réactif et inventif, avec souplesse. Un panel d’exercices ludiques en groupe ou à deux, pour explorer le corps et le dialogue. Entre fantaisies et incohérences, le rire est omniprésent et les filles époustouflantes.

 Chez Geneviève de Kermabon, c’est autre  chose, avec le théâtre de Grand-Guignol, né à la fin du XIXe siècle qui puise dans la grande tradition macabre de l’outrance et de la démesure.  L’adorable dame, à la chevelure de feu et au sourire bienveillant, fait broder ses abeilles sur un canevas : le «baiser de la nuit », une sordide histoire de vengeance  avec jet de vitriol sur le visage de l’ennemi (et ce n’est pas une image !). Ici, familles et amoureux se haïssent. On se balance tout à la figure. Pourtant soupire un personnage: «C’est si bon d’aimer».
Avec des costumes virulents et des chansonnettes au scalpel, les clowns grincent, suant larmes et sang, avec des visages monstrueux, déformés par les bandages, des litchis écrasés et du jus rouge  de betterave.  Les mots et les situations en deviennent encore plus terrifiants ! On tremble devant ces êtres de noirceur et d’humanité…

L’inclassable Yves-Noël Genod, grand poète rêveur, échalas présent-absent, jamais très loin de ses objets connectés, erre avec grâce. Il joue les entremetteurs, mêle le vrai et le faux, et s’inquiète des Présidentielles. Son alvéole où il propose de «se mettre à nu au sens propre et figuré», brode sur les puissants mots d’Hélène Bessette : «Rien n’est beau. Rien n’est gai. Rien n’est propre. Rien n’est riche. Rien n’est clair. Rien n’est agréable. Rien ne sent bon. Rien n’est joli.» Une méthode dépouillée qui bouscule. Les stagiaires, laissés face à une vacuité lourde de promesses, se jettent dans le vide : il s’agit de saisir le «kaïros», ce temps béni de l’instant présent, de l’occasion, l’amour du destin: « amor fati », comme Nietszche le nomme délicieusement.

Yves-Noël Genod cite avec gourmandise Marcel Proust qui «écrit chien», c’est-à-dire qui privilégie l’instinct, au mental. Sur le plateau, naissent ainsi des moments vertigineux de vérité, de grâce, avec des tranches de réel. Résultat : un ballet décousu, impudique et inégal mais avec des pépites. Travailler ainsi, nous dit-il, c’est comprendre que «s’organiser véritablement, n’a jamais été autre chose que s’aimer».

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Jacques Livchine et Hervée de Lafond ©St. Ruffier

Un beau résultat, resserré et efficace comme du théâtre d’agit-prop comme celui du fameux groupe Octobre dont faisaient partie Roger Blin, Jacques et Pierre Prévert, Jean-Louis Barrault… A Montbéliard dans les années 70, il existait justement un des ses avatars: le Théâtre des Habitants, qui œuvrait devant les usines Sochaux. L’après-midi, dans une veine assez proche, une autre alvéole propose de transmettre les règles du théâtre de rue, pratique militante et farcesque, à mains nues.

Attention ! Il ne s’agit pas de passer pour des clowns! Et gare aux forces de l’ordre ! Impostures vivifiantes avec fausses manifs de vieux anarchistes-bolchéviques à la gare TGV, déploiement d’experts qui, suite à l’état d’urgence, prennent des mesures partout dans les rues de la ville, groupe de faux touristes du Kirimati- un pays inventé-s’extasiant devant tout, et n’importe quoi…  Dans des rues peu fréquentées mais avec des échanges généreux.

Le plus beau ? Quand la joyeuse troupe opère à visage découvert : en formation bien ordonnée, vêtue de tee-shirts jaunes estampillés: Théâtre de l’Unité, elle prend soin des badauds, au marché couvert : défilé absurde, baisers, odes à un prénom… En ces temps électoraux, donner du baume au cœur à ses concitoyens, ce n’est pas du luxe !

 Le soir, enfin, un travail choral explore les rêves et cauchemars. Grandes fresques muettes, récits fantasmagoriques : on lit, on met en images, on explore … Vision saisissante d’un grand-père qui approche de dos. Alors, ces Ruches 2017 ont été une fois de plus, une belle occasion de se nourrir et de digérer autrement le théâtre, de voir des artistes facilitateurs se muer en abeilles, d’aller chercher en soi d’autres joies, de nouveaux ressorts… Avec de nombreux habitués, dont certains posent même des congés pour y participer.

 Impossible de ne pas faire son miel parmi les différentes formes et rencontres proposées. Repas en commun, logement « au château », et entremêlement des histoires font partie de l’aventure. Fréquenter la maison du Théâtre de l’Unité, c’est aussi un vrai plaisir : déambuler parmi les souvenirs de ses spectacles, déguster des blinis, boire du Pontarlier, l’alcool anisé local et savourer l’accent franc-comtois… On a même pu y danser, le dernier soir, sur Madonna et Vanilla Ice.
Puis vient la mélancolie des départs : « Je n’ai pas eu le temps d’y prendre goût, pas eu le temps de m’y faire, que déjà, tout était fini ». L’Unité, un lieu de Vie.

 Stéphanie Ruffier

 

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Archive pour 1 mai, 2017

Les Ruches, par le Théâtre de l’Unité à Audincourt

Les Ruches, par le Théâtre de l’Unité à Audincourt

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©St. Ruffier

Jean de la Fontaine aimait à se comparer aux abeilles : « Je suis chose légère, et vole à tout sujet ; je vais de fleur en fleur, et d’objet en objet. ». Une poétique du glanage et de la versatilité ! Les Ruches fonctionnent de même, dans un esprit volage.

Cela tient de la découverte, du laboratoire et de l’innutrition. On y rencontre des personnalités aux démarches artistiques contrastées, et le mélange professionnels-amateurs fonctionne à merveille, et on y propose aussi quelques restitutions ; le but n’est pas le résultat, mais le chemin, bien sûr.

A Audincourt, la journée débute dans l’agressivité et la défiance avec : «Je détexte le théâtre». Dans une démarche agonistique, on expérimente des situations de confrontation, origine de tout drame : un personnage se déplace/parle, un opposant survient. Dans une ambiance musicale conspirationniste, façon Game of thrones, la remarquable proposition de Pascal Rénéric a pour objectif, d’assassiner un grand homme spectral, allégorie du théâtre, puis de s’en repentir.

A partir d’un jeu de cartes contenant plus d’une centaine de répliques de pièces célèbres, cet enthousiaste comédien de Philippe Macaigne et Denis Podalydès, aide ses abeilles à se saisir des grands textes, pour les tailler ensuite en lambeaux, les mâcher, les malaxer et les assembler en un « cadavre exquis ».
La parole est reine. Armés de flingues, d’épées et de bâtons, autour d’une grande table, les clans se retrouvent, s’affrontent, puis se séparent sur ces éternels mots simples et tristes : «Je pars.»

Parmi toutes les activités originales, on pouvait trouver cette année une initiation à ces disciplines que sont la « beat box » et les « circle songs », par le talentueux et athlétique Gaspard Herblot : grâce à une technique vocale éprouvante et à une écriture sibylline à base de P, B et K, la bouche devient une véritable boîte à rythmes et à sons. L’effet de ce chœur est saisissant: on sent que les vibrations sollicitent tout le corps.

Avec Christian Sinniger, comédien brut de décoffrage, il fallait aussi se concentrer mais surtout s’ouvrir à l’autre, et à la situation proposée. Les improvisations théâtrales obligent à toujours rester sur le qui-vive, à se montrer réactif et inventif, avec souplesse. Un panel d’exercices ludiques en groupe ou à deux, pour explorer le corps et le dialogue. Entre fantaisies et incohérences, le rire est omniprésent et les filles époustouflantes.

 Chez Geneviève de Kermabon, c’est autre  chose, avec le théâtre de Grand-Guignol, né à la fin du XIXe siècle qui puise dans la grande tradition macabre de l’outrance et de la démesure.  L’adorable dame, à la chevelure de feu et au sourire bienveillant, fait broder ses abeilles sur un canevas : le «baiser de la nuit », une sordide histoire de vengeance  avec jet de vitriol sur le visage de l’ennemi (et ce n’est pas une image !). Ici, familles et amoureux se haïssent. On se balance tout à la figure. Pourtant soupire un personnage: «C’est si bon d’aimer».
Avec des costumes virulents et des chansonnettes au scalpel, les clowns grincent, suant larmes et sang, avec des visages monstrueux, déformés par les bandages, des litchis écrasés et du jus rouge  de betterave.  Les mots et les situations en deviennent encore plus terrifiants ! On tremble devant ces êtres de noirceur et d’humanité…

L’inclassable Yves-Noël Genod, grand poète rêveur, échalas présent-absent, jamais très loin de ses objets connectés, erre avec grâce. Il joue les entremetteurs, mêle le vrai et le faux, et s’inquiète des Présidentielles. Son alvéole où il propose de «se mettre à nu au sens propre et figuré», brode sur les puissants mots d’Hélène Bessette : «Rien n’est beau. Rien n’est gai. Rien n’est propre. Rien n’est riche. Rien n’est clair. Rien n’est agréable. Rien ne sent bon. Rien n’est joli.» Une méthode dépouillée qui bouscule. Les stagiaires, laissés face à une vacuité lourde de promesses, se jettent dans le vide : il s’agit de saisir le «kaïros», ce temps béni de l’instant présent, de l’occasion, l’amour du destin: « amor fati », comme Nietszche le nomme délicieusement.

Yves-Noël Genod cite avec gourmandise Marcel Proust qui «écrit chien», c’est-à-dire qui privilégie l’instinct, au mental. Sur le plateau, naissent ainsi des moments vertigineux de vérité, de grâce, avec des tranches de réel. Résultat : un ballet décousu, impudique et inégal mais avec des pépites. Travailler ainsi, nous dit-il, c’est comprendre que «s’organiser véritablement, n’a jamais été autre chose que s’aimer».

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Jacques Livchine et Hervée de Lafond ©St. Ruffier

Un beau résultat, resserré et efficace comme du théâtre d’agit-prop comme celui du fameux groupe Octobre dont faisaient partie Roger Blin, Jacques et Pierre Prévert, Jean-Louis Barrault… A Montbéliard dans les années 70, il existait justement un des ses avatars: le Théâtre des Habitants, qui œuvrait devant les usines Sochaux. L’après-midi, dans une veine assez proche, une autre alvéole propose de transmettre les règles du théâtre de rue, pratique militante et farcesque, à mains nues.

Attention ! Il ne s’agit pas de passer pour des clowns! Et gare aux forces de l’ordre ! Impostures vivifiantes avec fausses manifs de vieux anarchistes-bolchéviques à la gare TGV, déploiement d’experts qui, suite à l’état d’urgence, prennent des mesures partout dans les rues de la ville, groupe de faux touristes du Kirimati- un pays inventé-s’extasiant devant tout, et n’importe quoi…  Dans des rues peu fréquentées mais avec des échanges généreux.

Le plus beau ? Quand la joyeuse troupe opère à visage découvert : en formation bien ordonnée, vêtue de tee-shirts jaunes estampillés: Théâtre de l’Unité, elle prend soin des badauds, au marché couvert : défilé absurde, baisers, odes à un prénom… En ces temps électoraux, donner du baume au cœur à ses concitoyens, ce n’est pas du luxe !

 Le soir, enfin, un travail choral explore les rêves et cauchemars. Grandes fresques muettes, récits fantasmagoriques : on lit, on met en images, on explore … Vision saisissante d’un grand-père qui approche de dos. Alors, ces Ruches 2017 ont été une fois de plus, une belle occasion de se nourrir et de digérer autrement le théâtre, de voir des artistes facilitateurs se muer en abeilles, d’aller chercher en soi d’autres joies, de nouveaux ressorts… Avec de nombreux habitués, dont certains posent même des congés pour y participer.

 Impossible de ne pas faire son miel parmi les différentes formes et rencontres proposées. Repas en commun, logement « au château », et entremêlement des histoires font partie de l’aventure. Fréquenter la maison du Théâtre de l’Unité, c’est aussi un vrai plaisir : déambuler parmi les souvenirs de ses spectacles, déguster des blinis, boire du Pontarlier, l’alcool anisé local et savourer l’accent franc-comtois… On a même pu y danser, le dernier soir, sur Madonna et Vanilla Ice.
Puis vient la mélancolie des départs : « Je n’ai pas eu le temps d’y prendre goût, pas eu le temps de m’y faire, que déjà, tout était fini ». L’Unité, un lieu de Vie.

 Stéphanie Ruffier

 

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