Funny Birds

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Funny birds, (Drôles d’oiseaux) projet orchestré par Lucie Valon, collaboration artistique de Christophe Giordano, chorégraphie d’Isabelle Catalan

D’abord, un coup de gueule. Pourquoi ce titre en anglais? Assez! C’est devenu une véritable manie, ces derniers mois. Quelle bêtise, quelle snobisme! Enfin heureusement, le spectacle de Lucie Valon mérite mieux que ce titre stupide.
« Il y a longtemps, Aristophane rêva d’une cité utopique, délivrée de toute corruption ; il écrivit Les Oiseaux, dit Lucie Vallon qui n’a pas été insensible aux petites bombes déjà lâchées par Aristophane, quand elle s’en prend au monde de la finance qui nous piège tous, quelle que soit notre banque.  Exemple entre cent : des particuliers avaient ainsi souscrit des emprunts en francs suisses auprès du Crédit Agricole de Lorraine et leurs  emprunts en euros ont explosé à cause de l’envolée du franc suisse d’environ 30% en 2011!  Leur-très chère!-banque avait juste “oublié” de leur garantir la parité de change. Bravo, le Crédit Agricole…

Sur le plateau, six hommes et femmes, à parité, du genre employés de banque, en costume, chemise blanche et cravate: presque un uniforme. Mais ici, le visage blanchi de clowns, ils parlent plus, qu’il ne s’expriment vraiment, et par courtes phrases. Avec une effroyable histoire: deux euros que chacun est avide de posséder grâce à des négociations boursières où la monnaie, devenue virtuelle, n’est plus un moyen d’échange mais celui de gagner encore et encore plus d’argent,jusqu’à l’addiction. Tour de passe-passe encore plus évident depuis l’apparition de la monnaie électronique dont les Etats perdent le contrôle absolu.

 Ici cette meute déchaînée multiplie et fait faire des petits à ces deux pauvres euros: dix, cent, cent mille… Si bien que, très vite, on ne sait plus à qui appartient ce trésor qui a fait boule de neige! En tout cas, pas le pauvre propriétaire d’origine, qui n’a même plus aucune chance de revoir ses deux pauvres euros! Et du coup, ce sont les mécanismes mêmes de la société qui se dérèglent et les pulsions humaines qui se libèrent : avidité, appétit de luxe et, bien sûr, sexe avec une formidable partouze entrevue derrière des parois vitrées en fond de scène dans un entremêlement de corps à moitié nus, comme si chacun était alors prêt à dévorer l’autre.

« Notre objectif, dit Lucie Vallon, n’est pas d’ajouter une critique du Système à celles qui existent déjà. Nos clowns nous proposent d’entrer dans leur monde, et de nous rendre sensible et charnelle cette violence que nous ne recevons toujours qu’indirectement. Ce fut le cas lors de la dernière crise financière – à quand la prochaine? Nos clowns n’ont pas grand-chose à perdre, ce sont des clochards-traders qui possèdent tout en une seconde et plus rien, en un instant. Ils nous donnent l’occasion de rire du pouvoir absolu et de la pire misère avec leur arrogance et leurs provocations. »

Il y a en effet quelque chose de cela dans ce spectacle hors-normes, brillant mais sans paillette aucune, qui flirte souvent avec la comédie musicale. Ce que ne dit pas Lucie Vallon : la formidable maîtrise de la direction d’acteurs et, en général, de la mise en scène bien accompagnée par l’intelligente scénographie, les costumes de Pia de Compiègne, la chorégraphie d’Isabelle Catalan et le son de Vassili Bertrand. Pour un coup d’essai, c’est en est un; encore parfois frais, le résultat! Mais splendide d’intention et de poésie. Bon, le texte n’est pas toujours au niveau que l’on souhaiterait; il piétine un peu sur la fin, sent parfois trop l’improvisation et l’écriture, dite de plateau qui sévit actuellement. Mais, miracle, pour une fois, on échappe à la vidéo qui envahit tout le spectacle contemporain.

 Lucie Vallon gagnerait sans doute à faire une version agit prop/théâtre de rue de ce remarquable spectacle: ses comédiens sont vraiment à la hauteur pour affronter un public en plein air et  dire cette impression de malaise que nous avons, quand l’argent n’est plus un véhicule d’échanges mais de thésaurisation. En quelques nano-secondes grâce à l’informatique, l’humiliation de l’homme par l’homme comme ici est devenue encore plus patente. »Effectivement, en ce premier quart du XXIème siècle, on est tout proche d’un certain cannibalisme. « Ce que je veux vraiment, c’est leur arracher le cœur et le manger avant qu’ils meurent, « confiait  Dick Fuld, le tout puissant, l’arrogant directeur de Lehman Brothers au salaire démentiel, et qui a fait sauter  la banque! (voir la lamentable histoire des « subprimes »).

Symbole de la crise financière et auteur de la plus énorme faillite de l’histoire des Etats-Unis, il a fait basculer les marchés, avec des dettes monumentales et des conséquences jusqu’en Europe… C’est clair et on y est: crise ou pas crise, les banquiers ont maintenant le pouvoir. Et les Etats n’ont pas d’autre choix que de les aider en cas de graves ennuis financiers, sinon c’est tout un pays qui s’en va à la dérive…Lucie Vallon s’est inspirée de tout cela et sait bien nous le dire, sans insister, même si nous ne sommes pas des as de l’économie et des mystères banquiers dans une mise en scène exceptionnelle d’intelligence et d’efficacité, et grâce à l’énergie qu’elle a su donner à ses acteurs: Charlotte Andrès, Stéphanie Farison, Alban Gérôme, Christophe Giordano, Mathieu Poulet, Charlotte Saliou. Chapeau.

Allez, encore quelques belles phrases pour la route citées par Lucie Valon: « On ne respectera plus la parole donnée, ni la justice, ni le bien, disait le vieil Hésiode. Au contraire, on honorera celui qui fait le mal, l’homme devenu démesure. La force tiendra lieu de droit. Le sentiment de l’honneur disparaitra. Par ses discours tortueux et par ses faux serments, le méchant nuira à l’homme de bien. L’envie au regard haineux, qui sème le trouble et se réjouit du malheur d’autrui, harcèlera les malheureux mortels (…) Conscience et équité abandonneront es hommes et s’en iront rejoindre les immortels. Aux mortels resteront les chagrins amers et contre le mal ne sera nul remède.» C’était au VIIIème siècle avant J.C. …

Si ce spectacle passe en tournée près de chez vous, ne le ratez surtout pas.

Philippe du Vignal

Le spectacle s’est joué jusqu’au 28 avril au Théâtre de la Cité Universitaire, 17 boulevard Jourdan Paris XIVème. T : 01 43 13 50 60.

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