Le petit Chaperon rouge de Joël Pommerat

 

Le petit Chaperon rouge de Joël Pommerat, d’après le conte populaire, texte et mise en scène de Joël Pommerat (spectacle tout public à partir de six ans)

© Elisabeth Carecchio

© Elisabeth Carecchio

 Le maître de cérémonie, récitant et commentateur de ce conte légendaire, placé à cour ou à jardin, laisse ensuite advenir les scènes qu’il a décrites. La petite-fille, sa mère et sa grand-mère se partagent des instants vivants et éclairés. L’univers s’annonce sombre: une âme solitaire et inquiète voit se glisser dans l’obscurité, en elle et alentour, des ombres inconnues, équivoques. Le petit Chaperon rouge, à l’enfance un peu triste et d’un ennui pesant, connaît une immense solitude, consciente de son existence perdu dans un vaste monde encore inconnu….

 La mère d’abord, peu rassurante, nerveuse et juchée sur de hauts talons qui claquent trop bruyamment, ne consacre ni  temps ni attention à sa petite fille en demande d’amour. Silhouette à la fois décidée et mystérieuse, à la longue chevelure rousse ondoyante, elle joue pourtant avec sa fille, s’amusant à mimer la bête furieuse qu’elle incarne et l’enfant troublée est partagée entre effroi et fascination.

Debout, la mère se plie en deux, bras et mains à terre, dessinant une bête sauvage à quatre pattes puis se redresse d’un seul coup, et lève haut les pattes en l’air, simulant une agression arrêtée in extremis sur l’enfant : «Non, il faut arrêter», crie la petite, ou bien: «Encore, Maman, fais encore la bête!» L’inconstance des sentiments a valeur de leçon pour cette apprentie d’une vie à peine éclose qui s’essaie à la volonté de connaissance et au désir volatil auquel on s’abandonne.

 La jeune fleur en bouton veut en découdre avec l’Autre et avec le monde, et tenter des expériences inouïes pour les dépasser, faire «une» avec l’existence, et être soi : «Elle aperçut aussi deux grands yeux qui avaient l’air d’observer dans sa direction. Elle pensa qu’elle n’avait jamais rien vu d’aussi beau et elle eut tout de suite envie de s’approcher. Ce n’était pas une chose ordinaire qu’elle avait devant elle. (…) »

 La vie recèle des énigmes et étrangetés troublantes comme la capacité d’éveil. L’homme raconte les états du Chaperon rouge, devenu avant l’heure, autobiographe : «La petite fille pensa qu’elle en avait peur, c’est vrai, mais que cette chose ne ressemblait en rien à la bête monstrueuse qu’elle s’attendait à rencontrer dans les bois, comme le lui avait prédit sa maman, au contraire. » S’amuser à cache-cache dans la clairière d’une forêt et jouer avec son ombre, une silhouette agrandie et une vision fugitive d’elle-même en devenir, ou le reflet d’une peur compulsive déguisée: telle est l’heureuse découverte existentielle. Sans parler du loup, ombre noire aux hurlements et cris maudits : il faut donc, un jour ou l’autre, frayer avec la bête et consentir plus ou moins à ses caprices.
Et la petite fille ressent de la fierté d’avoir pu faire une telle rencontre sans effroi. Très étonnée, elle éprouve ce plaisir nouveau et tant attendu: se sentir grande. «Et elle se dit que, plus jamais, elle n’aurait de raison d’avoir à nouveau peur.» Mais l’histoire suit son cours  quand l’enfant  se frotte à l’inédit, comme la visite  à une grand-mère éloignée dans un lointain boisé. La petite devient grande à son tour, faisant tourner sans fin la grande roue de la vie.

Les acteurs sont aussi attachants que la bête féroce qu’on ne capture jamais : Isabelle Rivoal (la Mère étrange), Ludovic Molière (L’homme qui raconte) et Valérie Vinci (la Petite-fille et la Grand-mère). La transmission des parents et grands-parents passe nécessairement par les petits-enfants qui ferment la boucle pour mieux recommencer ailleurs. On ne se lasse pas de revoir ce loup, type même de la bête sauvage dévorante, gueule et dents carnassières, crocs et griffes, animal nocturne et féroce au regard maudit et difficile à approcher comme à chasser… Treize ans après la création de ce spectacle, nous avons encore le plaisir de frayer encore avec ce loup, si proche de nous, et si lointain en même temps…

Véronique Hotte

Jusqu’au 20 mai, Théâtre des Bouffes du Nord,  37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème). T: 01 46 07 34 50.

Le texte est publié chez Heyoka Jeunesse-Actes Sud-Papiers.

 

 

 

 

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