Les Chantiers d’Europe

chantiers_d-europeLes Chantiers d’Europe au Théâtre de la Ville/Espace Cardin :

 Cette huitième édition des Chantiers d’Europe (Royaume-Uni, Pays-Bas, Portugal, Grèce, etc.) commence avec une rétrospective à travers de grandes affiches collées sur les murs du théâtre : pour commémorer la Révolution des Œillets qui, en avril 1974, au Portugal et grâce à l’armée mit fin à la plus longue dictature en Europe. « Quarante ans après, a dit Emmanuel Demarcy-Motta, directeur du Théâtre de la Ville, Il faut en rappeler les valeurs : liberté, démocratie, solidarité et justice sociale et continuer à les défendre. Cette soirée est dédiée à Mário Soares, en hommage à celui qui  fut l’un des principaux artisans de l’avènement de la démocratie puis de l’intégration de son pays dans l’Europe. »

L’installation de ces affiches de la période révolutionnaire, a été réalisée par le musée Aljube-Résistance et Liberté à Lisbonne; il y a aussi des documentaires, et surtout une série de très belle photos d’actualité, suspendues dans un des halls de l’Espace Cardin. Et on a eu droit à un petit concert du Portuguais Tiago Pereira,  avec son traditionnel tambour. 

 Dans le jardin, un dôme miniature blanc rappelle avec des films et des documents, les activités artistiques dans  grand dôme géodésique que le Good Chance Theatre britannique installa en 2015, dans la « Jungle » de Calais, A l’initiative de deux dramaturges, Joe Murphy et Joe Robertson, les réfugiés, immigrants  et des artistes venus de toute l’Europe participèrent à  cette aventure : kung-fu, peinture, ombres chinoises, théâtre, chants et récitals de poèmes, sculpture, projection de films, danse, acrobatie…

©Sofie Knijff

©Sofie Knijff

Enfin eut lieu la première en France de Tanizaki, dans le cadre du cycle Amsterdam Express, par la compagnie De Warme Winkel, conception et interprétation Vincent Rietveld, Mara van Vlijmen, Ward Weemhoff, mise en scène finale de  Jetse Batelaan,  Makiko Goto (en néerlandais, sur-titré en français)

De Warme Winkel, ce collectif néerlandais,  a inventé, dit-il, un nouveau genre: «la pièce-oeuvre»  qui parle du travail, de la vie et l’esprit d’un artiste en relation avec notre époque. Il a déjà monté cinq spectacles consacrés à des artistes autrichiens,Thomas Bernhard, Rainer Maria Rilke), Alma Mahler, Stefan Sweig, et Oskar Kokoshka.
Ici, le spectacle met à l’honneur le grand romancier et essayiste japonais Junichiro Tanizaki (1886-1965), avec son livre bien connu, Éloge de l’ombre, une méditation sur l’esthétique orientale : « Quelle peut être l’origine d’une différence si radicale dans les goûts ? Tout bien pensé, c’est parce que nous autres, Orientaux, nous cherchons à nous accommoder des limites qui nous sont imposées que nous nous sommes de tout temps contentés de notre condition présente ; nous n’éprouvons par conséquent nulle répulsion à l’égard de ce qui est obscur, nous nous y résignons comme à l’inévitable”.
Tanizaki s’inspire aussi de La Clef, un très beau roman érotique de l’écrivain japonais. Avec la préoccupation  de construire un spectacle autonome, souvent proche de la performance donc très pictural.

Cela commence de façon assez drôle : un jeune acteur aux grands cheveux blonds surgit, affolé, dans l’escalier qui mène à la salle et demande au public d’aller prendre un café parce que rien n’est prêt. Il y a, dit-il, malentendu car «aux Pays-Bas les spectacles commencent à 21h » mais il  laisse les spectateurs entrer en leur donnant quelques bouteilles d’eau et des gâteaux pour patienter. C’est gros, mais cela marche! Il confie à une jeune femme que leur TGV a déraillé, d’où un retard encore plus important que d’habitude… Bien vu!
Effectivement, il ne se passe pas grand-chose sur le plateau que l’enlèvement par les trois acteurs en jeans, de tout un fatras de livres, cageots en plastique, et matériels électroniques. Et la scène devient alors aussi vide et rigoureuse que celle d’un nô, juste fermée dans le fond par un rideau de papier kraft.

A l’avant-scène, une jeune femme japonaise vient alors se placer dos au public devant un koto, remarquable instrument à cordes pincées, longue cithare horizontale d’environ 1,80m de long à treize cordes. Connu dès le VIIème siècle, il produit un son proche de celui d’une harpe et est utilisé dans le kabuki et le bunraku. Makito Goto en jouera pour notre plus grand plaisir,  une bonne partie du spectacle…

Une fois la scène vidée, les trois complices marchant doucement un peu comme dans le nô, reviennent avec des costumes japonais traditionnels noirs et vont se livrer à un tricotage des textes de Tanizaki qu’ils vont lire debout. Avec un accompagnement gestuel qui se voudrait érotique: l’actrice va se retrouver nue à plusieurs reprises. Et Makito Goto viendra à la fin livrer ses confidences ( avec une voix en français) sur les acteurs hollandais: “On a du mal à savoir s‘ils jouent ou pas”.

L’ensemble est bien géré mais, passées les vingt premières minutes, on voit mal l’intérêt de ce concept de “pièce-œuvre” qui fait vite pschitt comme dirait Jacques Chirac, grand connaisseur de la culture japonaise.“Audacieux” dit la note d’intention. Avec des images souvent assez réussies mais assez ennuyeux, oui… enfin cela donne une occasion de retrouver ce merveilleux écrivain que fut Tanizaki.

On peut espérer que les autres spectacles de ces Chantiers d’Europe seront plus innovants… A noter, entre autres, une performance, le 12 mai: The Money par le Studio Kaleider basé à Exeter au sud de l’Angleterre, un spectacle pour enfants Au-delà de la forêt, le monde par  les Portuguais Miguel Fragata et Inès Barahona, Farmakoni, une lecture-performance par la compagnie grecque d’Anestis Azas…

Philippe du Vignal

Théâtre de la Ville à l’Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris VIIIème,jusqu’au 24 mai. T: 01 48 87 54 42.
Programme complet des Chantiers d’Europe:  www.theatredelaville-paris.com

 

 


Archive pour 10 mai, 2017

Amphitryon de Molière, mise en scène de Christophe Rauck

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Amphitryon de Molière, mise en scène de Christophe Rauck (en russe, surtitré en français)

La pièce, l’une des dernières de Molière (1678) qui s’est inspiré de celle de Plaute, a pour thème les amours compliquées de Jupiter et de la belle Alcmène. Le roi des dieux, amoureux fou d’elle, descend sur terre avec son fidèle Mercure, et prend le visage d’Amphitryon, le mari d’Alcmène. Et Mercure, celui de Sosie, le valet d’Amphitryon. C’est la nuit et la belle croit au retour de son mari et s’offre… à Jupiter pour une longue nuit d’amour. Mais le vrai Amphitryon  revient et Alcmène qui croit avoir passé la nuit avec lui, l’accueille mais sans plus…

Christophe Rauck a voulu monter cette pièce avec les «Fomenkis», les anciens élèves de Piotr Fomenko (1932-2012), l’un des plus célèbres metteurs en scène du théâtre russe, avec quelque soixante mises en scène et un enseignement exemplaire (voir Le Théâtre du blog). Il les rencontra à Moscou, quand il était en tournée en 2007 avec Le Mariage de Figaro et les comédiens du Français.

Cette création, précise-t-il, a aussi été l’occasion d’un échange entre les seize élèves de l’Ecole du Nord et les dix-neuf du GITIS, la grande école russe. Dans cette pièce, Molière n’en finit pas de s’amuser selon les moments, avec différentes formes de vers (alexandrins et octosyllabes), ce qui lui donne une liberté poétique pour raconter cette invraisemblable histoire d’amour entre un dieu et une mortelle. Et, pour la première fois, les acteurs de Piotr Fomenko étaient dirigés par un metteur en scène étranger, et français, avec une pièce de du dramaturge national.

Sur le plateau noir, rien ou presque, sinon une passerelle, et un grand miroir face public qui, avec un bel effet d’optique, permet de voir certaines scènes avec des acteurs allongés au sol mais comme debout. Ce qui rend toute différente la perception de l’espace scénographique et ajoute une note de fantaisie et de poésie à cette pièce déjà hors-normes où Molière se fait un malin plaisir d’explorer les multiples formes du désir: l’intime, le permis, le toléré, l’interdit dans un couple, et le rapport des femmes comme des hommes au pouvoir et à la domination. Autre belle trouvaille d’Aurélie Thomas : la maison est ici figurée par de simples rubans de scotch auto-collés au sol. Ludique et en accord avec la rigueur absolue de sa scénographie. Vieux truc mais qui fonctionne très bien.

La mise en scène et la direction du jeu sont aussi de tout premier ordre. Karen Badalov (Sosie), Ivan Verkhovykh (Mercure), Vladimir Toptsov (Jupiter), et (Ksenaia Koutepova) possèdent un métier fabuleux et une réelle compréhension du texte. Bien entendu, il vaudrait mieux voir la pièce directement jouée en russe: la petite balade visuelle entre la scène et le sur-titrage imposée devient en effet vite un peu lassante. On a plus envie de bien voir les acteurs russes mais, du coup, on perd le texte. Mais, vu le scénario compliqué d’Amphitryon, impossible de faire autrement…

Du côté des réserves : nous ne  partageons pas la passion qu’a Christophe Rauck pour ces foutus micros  H.F. qui, ici, donnent une fois de plus, un côté uniforme et criailleur aux voix, ce que ne méritent pas des acteurs de cette envergure. Mais aux premières en France de ce spectacle, la balance était peut-être encore fragile. Par ailleurs, on aurait aimé que la mise en scène ait plus de fantaisie… Il y a parfois une sorte de raideur, comme si les comédiens russes avaient parfois obéi à quelque chose qu’ils ne ressentaient pas totalement.

C’est un beau spectacle que cet Amphitryon, pas toujours facile à appréhender. Mais l’occasion presque unique de voir une performance d’acteurs virtuoses comme ceux de l’atelier Piotr Fomenko, cela ne se refuse pas…

Philippe du Vignal

Théâtre du Nord, Grand-Place, Lille jusqu’au 17 mai.
Théâtre Gérard Philipe/Centre Dramatique National de Saint-Denis, du 20 au 24 mai.
 

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