Amphitryon de Molière, mise en scène de Christophe Rauck
Amphitryon de Molière, mise en scène de Christophe Rauck (en russe, surtitré en français)
La pièce, l’une des dernières de Molière (1678) qui s’est inspiré de celle de Plaute, a pour thème les amours compliquées de Jupiter et de la belle Alcmène. Le roi des dieux, amoureux fou d’elle, descend sur terre avec son fidèle Mercure, et prend le visage d’Amphitryon, le mari d’Alcmène. Et Mercure, celui de Sosie, le valet d’Amphitryon. C’est la nuit et la belle croit au retour de son mari et s’offre… à Jupiter pour une longue nuit d’amour. Mais le vrai Amphitryon revient et Alcmène qui croit avoir passé la nuit avec lui, l’accueille mais sans plus…
Christophe Rauck a voulu monter cette pièce avec les «Fomenkis», les anciens élèves de Piotr Fomenko (1932-2012), l’un des plus célèbres metteurs en scène du théâtre russe, avec quelque soixante mises en scène et un enseignement exemplaire (voir Le Théâtre du blog). Il les rencontra à Moscou, quand il était en tournée en 2007 avec Le Mariage de Figaro et les comédiens du Français.
Cette création, précise-t-il, a aussi été l’occasion d’un échange entre les seize élèves de l’Ecole du Nord et les dix-neuf du GITIS, la grande école russe. Dans cette pièce, Molière n’en finit pas de s’amuser selon les moments, avec différentes formes de vers (alexandrins et octosyllabes), ce qui lui donne une liberté poétique pour raconter cette invraisemblable histoire d’amour entre un dieu et une mortelle. Et, pour la première fois, les acteurs de Piotr Fomenko étaient dirigés par un metteur en scène étranger, et français, avec une pièce de du dramaturge national.
Sur le plateau noir, rien ou presque, sinon une passerelle, et un grand miroir face public qui, avec un bel effet d’optique, permet de voir certaines scènes avec des acteurs allongés au sol mais comme debout. Ce qui rend toute différente la perception de l’espace scénographique et ajoute une note de fantaisie et de poésie à cette pièce déjà hors-normes où Molière se fait un malin plaisir d’explorer les multiples formes du désir: l’intime, le permis, le toléré, l’interdit dans un couple, et le rapport des femmes comme des hommes au pouvoir et à la domination. Autre belle trouvaille d’Aurélie Thomas : la maison est ici figurée par de simples rubans de scotch auto-collés au sol. Ludique et en accord avec la rigueur absolue de sa scénographie. Vieux truc mais qui fonctionne très bien.
La mise en scène et la direction du jeu sont aussi de tout premier ordre. Karen Badalov (Sosie), Ivan Verkhovykh (Mercure), Vladimir Toptsov (Jupiter), et (Ksenaia Koutepova) possèdent un métier fabuleux et une réelle compréhension du texte. Bien entendu, il vaudrait mieux voir la pièce directement jouée en russe: la petite balade visuelle entre la scène et le sur-titrage imposée devient en effet vite un peu lassante. On a plus envie de bien voir les acteurs russes mais, du coup, on perd le texte. Mais, vu le scénario compliqué d’Amphitryon, impossible de faire autrement…
Du côté des réserves : nous ne partageons pas la passion qu’a Christophe Rauck pour ces foutus micros H.F. qui, ici, donnent une fois de plus, un côté uniforme et criailleur aux voix, ce que ne méritent pas des acteurs de cette envergure. Mais aux premières en France de ce spectacle, la balance était peut-être encore fragile. Par ailleurs, on aurait aimé que la mise en scène ait plus de fantaisie… Il y a parfois une sorte de raideur, comme si les comédiens russes avaient parfois obéi à quelque chose qu’ils ne ressentaient pas totalement.
C’est un beau spectacle que cet Amphitryon, pas toujours facile à appréhender. Mais l’occasion presque unique de voir une performance d’acteurs virtuoses comme ceux de l’atelier Piotr Fomenko, cela ne se refuse pas…
Philippe du Vignal
Théâtre du Nord, Grand-Place, Lille jusqu’au 17 mai.
Théâtre Gérard Philipe/Centre Dramatique National de Saint-Denis, du 20 au 24 mai.
Enregistrer
Enregistrer