Rhinocéros d’Eugène Ionesco; Axe d’Agnès Limbos et Thierry Hellin
Biennale internationale des arts de la Marionnette: neuvième édition
La marionnette dans tous ses états, dans toute sa diversité, sera présente jusqu’au 2 juin avec une trentaine de spectacles à Paris, à Pantin et dans neuf autres communes d’Île-de-France, invités par Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, et par ses partenaires, la Maison des métallos (Paris XIème) et la Ville de Pantin (Seine-Saint-Denis).
Cette Biennale internationale, très suivie du public, est aussi devenue un rendez-vous important pour les professionnels. Objectif depuis sa création en 2001 : débarrasser la marionnette des clichés qui l’entourent et montrer la force et la liberté d’expression de pratiques polyvalentes et complexes. Comme le jeu d’acteur, les arts plastiques et numériques, l’écriture dramatique, la danse, etc.
Des êtres en papier, chiffon, bois, ou ombres, et parfois de simples objets, sont le support de bien des aventures non réservées aux seuls enfants. A l’origine, la marionnette ne s’adressait pas au jeune public mais exprimait avec humour, une critique sociale parfois virulente, à l’instar de Guignol, créé à Lyon au XlXème siècle pendant la révolte des Canuts. Un art en perpétuelle recherche, comme en témoignent les spectacles qu’on a pu voir lors de cette soirée inaugurale.
Rhinocéros d’Eugène Ionesco par la compagnie des Hélices (Suisse), mise en scène d’Isabelle Matter
La place du village, son café, son épicerie et ses rues tranquilles. Des étagères encombrées des boîtes poussiéreuses figurent ces lieux emblématiques du pays profond. Avec des étiquettes indiquant le bistrot, l’épicerie, le domicile du logicien…
Les habitants se livrent à leurs activités quotidiennes, puis des boîtes s’ouvrent d’où surgissent de petites poupées menant leur vie ordinaire. Un chat se promène… Manipulées sur table par trois comédiens, les personnages papotent dans la langue absurde d’Eugène Ionesco. Quand survient un rhinocéros.. puis deux, soulevant des tonnes de poussière et écrasant le chat de la voisine!
Incroyable? Au bureau on ne parle plus que de l’événement. Là, les pantins ont grandi, devenus marionnettes à gaine, ils trônent derrière leur pupitre, surveillés par un contremaître maussade. Soudain, Monsieur Bœuf attaque, transformé en rhinocéros et, devant ses collègues de bureau ébahis, il emporte sa femme sur son dos. D’autres ne tarderont pas à se joindre au troupeau monstrueux. La rhinocérite, un mal inconnu, finit par frapper toute la population et seul Béranger, un ivrogne naïf, demeure humain, dépouillé au final de toute enveloppe de marionnette.
Écrite en 1958, la pièce apparaît, ainsi interprétée, sous un jour nouveau. L’humour féroce et la poésie absurde d’Eugène Ionesco y résonnent comme une dénonciation du populisme actuel. Tels les moutons de Panurge, les personnages sombrent alors dans la pensée unique, terreau de tout fanatisme.
De facture très classique, le spectacle s’impose pourtant par son invention dans les moindres détails, avec une belle scénographie fonctionnelle et une lecture intelligente de la pièce d’Eugène Ionesco. Ce Rhinocéros existe aussi en version espagnole, créée dans le cadre d’un échange interculturel avec la Colombie, par la metteuse en scène et marionnettiste Isabelle Matter qui dirige actuellement le Théâtre des marionnettes de Genève.
Axe (De l’importance du sacrifice humain au XXIème siècle), conception et interprétation d’Agnès Limbos et Thierry Hellin (Belgique)
Agnès Limbos, fondatrice de la Compagnie Gare Centrale, vient du théâtre d’objets et Thierry Hekkin, codirecteur d’Une Compagnie, du théâtre de texte. Dans Axe, en droite ligne de la tradition belge, ils conjuguent leur savoir-faire pour dresser le tableau absurde et drôle d’un couple ordinaire aux prises avec des objets dérangés et dérangeants.
Dans leur intérieur petit-bourgeois, assis à une table surmontée d’un lustre à pampilles prétentieux, ils conversent à bâtons rompus mais sans communiquer. Bientôt des bestioles dégoûtantes envahissent la scène, une statuette se met à fondre et perd sa tête… Et il se passe des choses inquiétantes dans le réfrigérateur. La gestuelle des protagonistes s’emballe, puis c’est le décor qui fout le camp !
Ils ont beau essayer de sauver les apparences, mais restent coupables aux yeux de la Cour pénale internationale: allusion évidente aux dictateurs des Carpathes exécutés en public, et en eurovision… Dans une série de tableaux accolés sans logique apparente, les comédiens, réduits à l’état de clowns tristes, s’accrochent tragiquement à leurs repères qui se dérobent… Désaxés, dans un monde qui s’écroule.
Les situations absurdes et grotesques s’inscrivent dans un environnement scénique et une chorégraphie de corps déliquescents bien orchestrés. Malgré une dramaturgie décousue et un comique de répétition parfois trop appuyé, le spectacle servi par des interprètes hors-pair, distille une inquiétante étrangeté… Le spectacle sera présenté au Festival mondial de la marionnette de Charleville-Mézières, les 17 et 18 septembre, puis en tournée en Belgique
Mireille Davidovici
Spectacles vus le 9 mai à la Maison des Métallos Paris, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris XIème
Biennale internationale des arts de la Marionnette: Le Mouffetard, T. 01 84 79 44 44. www.lemouffetard.com