Richard III de Shakespeare, version de Nicolas Kolyada
Festival Passages à Metz:
Richard III de Shakespeare, version de Nicolas Kolyada (en russe surtitré)
Le metteur en scène russe (voir Le Théâtre du Blog) a présenté son Richard III et Iva agency international a servi d’intermédiaire avec le Ministère de la Culture d’Ekaterinbourg pour faire venir ses… trente-deux comédiens! Avec un théâtre au style «populaire », Nicolas Kolyada cherche avant tout à amuser et à donner du plaisir au public, en lui faisant vivre des aventures qui les arrachent à la routine de leur vie quotidienne. (voir ici notre entretien avec le metteur en scène ces prochains jours).
Mal-aimé des pouvoirs publics comme du milieu théâtral et par ce qu’on appelle en Russie « le théâtre d’entreprise», Nicolas Kolyada n’a jamais cédé à aucun compromis et peut s’autofinancer avec un répertoire qui s’étend à tous les genres, mais aussi et surtout grâce aux performances de ses comédiens et à la fidélité du public. Son théâtre vit uniquement de la billetterie et ne fait jamais relâche, même en tournée! Il donne sept spectacles par semaine, et deux représentations le samedi et le dimanche… Heureux de rendre ses confrères jaloux, il fait de nombreuses tournées à l’étranger et vient de publier par ses propres moyens, ses œuvres complètes en huit volumes!
Acteur, metteur en scène, dramaturge, il possède deux salles, l’une de cent vingt places, l’autre de quarante, mais a créé une maison d’édition pour donner leur chance aux écrivains de l’Oural dont il apprécie le talent. Il dirige aussi des ateliers de théâtre et un centre de dramaturgie contemporaine. Nicolas Kolyada a déjà présenté en France (voir Le Théâtre du Blog) Le Revizor, Hamlet, Un tramway nommé désir, La Cerisaie et Baba Chanel dont il est l’auteur. Mais, en revisitant les grands textes classiques qu’il met en scène, il en devient en quelque sorte le co-auteur. Ainsi sa version de Richard III est révélatrice de sa manière de se les approprier en les marquant de sa griffe personnelle.
Comme un démiurge, il invente en effet costumes, scénographie, lumières et surtout la musique qui joue un grand rôle chez lui, et qu’il compose à partir de morceaux empruntés à toutes les époques et à tous les styles… Non illustrative, elle est inhérente au mouvement même de l’action scénique qui se déroule selon une composition savamment rythmée. Il est l’inspirateur de cette action qui dépend, avant tout, des acteurs que Nicolas Kolyada évite toutefois de trop contrôler. Il oriente, corrige s’il le faut, avant de les lâcher sur la scène où ils sont alors les vrais maîtres du jeu. Son art du théâtre tient d’une synthèse entre invention et métier, arbitraire et discipline, respect du texte et liberté créatrice. Chaque création-collective-naît du rapport entre scène et salle mais il ne la charge pas de significations.
Il s’inspire de l’histoire, ancienne et moderne, et de l’actualité, mais il a le bon goût d’en refuser les signes apparents. Son Richard III pourrait avoir des moustaches et fait beaucoup penser au grand forestier décrit par Ernst Junger (1895-19,98)…Oleg Yagodine, son acteur fétiche, domine la scène de bout en bout mais n’existe que par la masse qui l’entoure…
On peut trouver dans cette mise en scène une métaphore du fascisme, mais plus largement de tous les ingrédients d’une société de masse qui, sous couvert de modernité, retrouve les lois de la jungle. Une violence barbare émane en effet du personnage avec éructations, gesticulations, mais aussi danses et chants frénétiques qui semblent venir de rites ancestraux.
Nicolas Kolyada a donc créé Richard III, il y a trois ans, en hommage à Oleg Yagodine à qui il voulait faire cadeau de ce rôle. Il peut, dit-il, jouer avec le même engagement Richard III, que n’importe quel personnage d’un conte pour enfants et ajoute qu’il n’y a pas de hiérarchie dans son répertoire, où tous les genres ont aussi leur place, car il veut plaire aussi bien aux petits enfants qu’aux « babouchkis », aux intellectuels qu’aux ouvriers…
Dans ce théâtre ludique et joyeux, on ne trouvera ni message ni leçon: il se situe à l’opposé du théâtre de la Taganka que Loubimov avait impulsé dans le sillage de l’agit-prop. Nicolas Kolyada nous a cité une phrase attribuée à Constantin Stanislavki, qui, avant de mourir, reconnaissait tardivement que le théâtre devait être, avant tout, un jeu et «divertir» le public. Il ne faut pas attribuer à ce mot une signification péjorative mais, au contraire, l’entendre comme la recherche d’un plaisir partagé entre acteurs et spectateurs. Et Nicolas Kolyada insiste souvent sur la réception des enfants comme modèle d’intégrité: celui d’un retour à un état de grâce que nous perdons au fil du temps, à cause des aliénations sociales…
Gérard Conio
Le spectacle s’est joué du 5 au 7 mai au Festival Passages à Metz
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