Iliade, d’après Homère
Iliade, d’après Homère, adaptation d’Alessandro Baricco, mise en scène de Luca Giacomoni
Pour nous, héritiers bancals de la Grèce antique, la guerre de Troie est l’emblème même de la guerre, et L’Iliade, la « mère » des récits. Moins sans doute pour les très jeunes : ce serait plutôt La Guerre de Étoiles! Il suffit de voir comme le rayon littérature antique est réduit, par exemple, à la FNAC. Mais, avec tout son génie, Homère, prêt à se réveiller à toute occasion, a choisi, avec L’Iliade, le moment dramatique où tous en ont assez de la guerre, Achéens et Troyens, femmes et guerriers, et où il faut qu’elle en vienne à sa fin. De la colère d’Achille, qui l’éloigne du combat et qui met les Grecs en difficulté, puis à son retour, et à la mort d’Hector, l’adaptation d’Alessandro Barrico suit, en dix épisodes, l’essentiel de cette épopée.
Luca Giacomoni installe le cercle du récit : chacun a sa chaise, et se donne un nom, ou plusieurs. L’unique comédienne, au milieu de dix-sept hommes-la Guerre n’a pas un visage de femme, dirait Svetlana Alexievitch-joue à la fois Hélène et Hécube, la beauté, coupable malgré elle d’avoir déclenché cette cascade de malheurs, mais aussi la victime pure, l’ éternelle mater dolorosa. Comment représenter la guerre, autrement que par la peinture d’histoire ou la superproduction hollywoodienne ? Là où elle naît, au plus profond des passions humaines, dans la langue de ces fureurs, et déjà, dans la première bagarre violente au coin de la rue…
Le metteur en scène a travaillé avec des détenus, en collaboration avec le centre pénitentiaire de Meaux, et le service pénitentiaire d’insertion et de probation de Seine-et-Marne. Massimo Giacomoni a construit avec eux et un groupe de comédiens, une version radicale du récit d’Homère, ancrée sur l’adaptation d’Alessandro Barrico qui a fait une splendide synthèse du poème épique. Sans artifice, parfois avec maladresse, ces hommes et cette femme disent cette guerre-là, soutenus par le chant lointain de Sara Hamidi.
Le résultat : un vrai et beau spectacle populaire, accessible à tous, sans concessions, direct, clair, avec ce qu’il faut d’émotion. Tout un public a suivi avec passion cette “série » …On comprend, même en n’ayant vu qu’un épisode, la défaite des Grecs et ce combat singulier-inutile car sans vainqueur ni vaincu!-entre Hector et Ajax. Même si l’on connaît la fin-et encore-les enjeux sont là, comme les passions et la douleur, toujours vifs.
Entre les récits de la déroute des Grecs et la poignée de main des deux adversaires, la scène des adieux d’Andromaque à Hector apporte un moment de tendresse : le héros ôte son casque pour ne pas faire peur à son petit garçon, l’acteur et l’actrice se tenant juste au point de rencontre entre le jeu et le récit.
La force de ce théâtre travaillé avec des amateurs? Il s’interdit tout superflu : pas d’effets, il faut se concentrer sur l’essentiel, dire cette histoire, de toute sa respiration, de tout son corps. Cet engagement et cette tenue font la beauté du spectacle, force et fragilité réunies. On peut voir plusieurs Iliade en ce moment (voir Le Théâtre du Blog) : on leur souhaite d’être aussi intenses. Ce spectacle ne se joue plus ; il valait pourtant la peine d’en parler ; on peut attendre beaucoup de ce qu’on appelle : action culturelle en milieu carcéral, quand elle va, comme ici, au cœur de l’art du théâtre.
Christine Friedel
Spectacle vu au Théâtre Paris-Villette, 211 Avenue Jean Jaurès, Paris XIXème. T : 01 40 03 72 23.
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