Parlemonde # 1 à la La Scène Nationale de Montbéliard


Parlemonde # 1  à La Scène Nationale de Montbéliard 

Becoming_03Yannick Marzin, le directeur et son équipe proposent depuis 2011 une sorte de plate-forme de création avec des projets artistiques mais aussi éducatifs  conduits par des artistes venus de différents pays; cette année a été conçu un projet avec le Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage (CASNAV),  et 80 jeunes « allophones » (farsi, russe, italien, arabe, soninke, araméen, espagnol, serbe, bambara, tchèque, Italie, albanais, portugais…). Ces artistes  ont travaillé avec eux pendant sept mois de résidence, en immersion dans ces Unités Pédagogiques pour «Élèves Allophones Arrivants» de trois établissements scolaires et d’un centre d’accueil. But final : proposer les jeudi 4 et vendredi 5 mai, six créations.

Cela va de la vidéo à la musique avec Le Bruissement des langues, pièces visuelles et sonores de Frédéric Dumont auxquelles que nous n’avons pas pu assister mais aussi à des autoportraits photographiques, expositions, documentaires et spectacle. Le public de Montbéliard dont les jeunes qui ont participé à cette remarquable opération, a pu en voir le résultat dans la cour de l’ancien hôtel particulier Sponeck et au théâtre tout proche qui abrite la Scène Nationale. A aussi eu lieu le premier jour, une rencontre professionnelle autour des enjeux de la création avec des jeunes allophones.

Wil Mathijs,  réalisateur flamand, a ainsi travaillé avec les quinze élèves d’une classe UPE 2A, du collège Lou Blazer, depuis novembre dernier, sur le thème de l’identité. Ils ont ainsi réalisé plusieurs mini-documentaires sur le monde qui les entoure et sur leur vie. Avec, par groupe, la recherche d’un thème, l’écriture d’un scénario et une initiation à la réalisation et à la prise de son, au cadrage et au montage.  Cela se passe dans la cour de l’hôtel Sponeck sur un écran où on peut voir sur les images  ainsi réalisées…

Orientations (un partage des chemins), a été imaginé par David Subal, à la fois chorégraphe et artiste autrichien,  installé près de Dijon. Avec quinze  élèves de la classe UPE2A du lycée Raoul Follereau à Belfort. Soit d’abord, la visite de quelques appartements dont l’un merveilleux avec des collégiens discrets, à raison de trois personnes  à chaque fois. Celui auquel nous avons eu droit est d’un extrême raffinement, avec deux niveaux,  aux quatrième et cinquième étages d’une belle et vieille maison en plein cœur du vieux Montbéliard. Soit d’abord au quatrième, une salle à manger  éclairée par de petites fenêtres mais resplendissante de lumière, avec une ancienne et banale table carrée en bois métamorphosée grâce à une peinture noire mate; il y a de petites œuvres d’art, et une cuisine séparée par une cloison vitrée. Et plus loin, quelques chambres.

Au dessus, une seule et même grande pièce dans un ancien grenier donc sous le toit, avec de belles lucarnes, elle aussi merveilleusement éclairée. Avec juste un lit ancien en fer, un canapé, quelques chaises, un bureau, un grand rideau blanc pour faire office de séparation et d’écran pour vidéo. Bref, un grand raffinement ;  dans une paix absolue, on écoute avec plaisir deux lycéennes répétant pour l’occasion, un air de guitare, sous la direction du maître de maison.

Pas besoin de se forcer, on se croirait dans un film mais on vous laissera le choix du réalisateur… C’est tout mais c’est beaucoup que cette œuvre conceptuelle à la limite du théâtre qui, comme la suivante, n’est pas si loin de Verena Nusz, la compatriote de David Subai,  ou de l’américain Joseph Kosuth. Si on a bien compris, la démarche artistique est ici de produire du sens, la dimension esthétique étant celle que nous, les visiteurs du matin, nous pouvions lui trouver.

Etape suivante, toujours pour un nombre très limité de participants : 2 ! Sur une belle petite place du même centre ville, une grosse voiture noire cossue où on nous invite à entrer. Cela rappelle la fameuse 2 CV Théâtre de Jacques Livchine et Hervée de Lafond, directeurs du Théâtre de l’Unité qui précédèrent Yannick Marzin à la Scène Nationale.
A la place du conducteur, une lycéenne serbe qui bénéficie d’un stage en 1ère S, nous explique, dans un très bon français, comme elle a découvert notre pays… où le jour ne se lève pas aussi vite qu’à Belgrade.  Elle raconte son départ par avion à 5h du matin et la fatigue qu’elle a dû surmonter en cette première journée de classe. En immersion totale. Avec beaucoup d’émotion dans la voix, elle raconte avec intelligence qu’elle pensait que c’était mieux en France, pour s’apercevoir plus tard que c’était simplement différent…

A côté d’elle, un jeune Portugais venant lui d’Argentine  nous donne aussi ses premières impressions sur cette France si proche de son pays et qu’il ne connaissait pas.
Fin de cet entretien passionnant au bout de quinze minutes. Dommage ! On aurait bien aimé un petit supplément mais d’autres candidats à cette ballade immobile attendaient…

Installations Sponeck_09Autre belle installation  de David Subai: une dizaine de portes de récupération installées avec leurs châssis sur le gravier du jardin Sponeck. Quand on entre par l’une de ces portes-symbole évident de l’exil et de l’accueil dans un pays européen-on peut entendre, diffusées en boucle quelques mots de confidence dits par ces lycéens, et qui font souvent froid dans le dos mais sont une belle invitation à la tolérance: « Dix ans en mars que j’ai quitté la Syrie. J’ai laissé tout ce que j’avais à Damas. Les avions sont arrivés. On est monté dans une voiture et on est parti aussi vite que possible. Je me souviens que je ne me suis pas retournée pour voir la Syrie une dernière fois » !   Ou : «Le destin ne frappe pas à la porte, dit, avec une voix calme et douce, une jeune fille africaine, c’est nous qui avons frappé à la porte du destin.»
Pette exposition de photos de maisons et de paysages de leur pays natal accrochées aux murs et d’objets-fétiches emportés avec eux par ces enfants émigrés. Aussi simple et précis qu’émouvant.

Sébastien Fayard, artiste et comédien français vivant à Bruxelles, a proposé, lui, aux élèves de la classe de CM2 de l’école Coteau Jouvent à Montbéliard,  de faire une recherche autour de certains mots et de s’arrêter sur les malentendus possibles générés par leur double sens. Souvenir, souvenir : notre maman il y a déjà bien longtemps, nous disait que le français est une langue difficile et citait souvent la fameuse phrase : « Les poules couvent dans le couvent »….

 Mélina a ainsi fait une cocotte en papier mais à l’image d’une cocotte-minute… Shahineze «s’occupe de ses oignons » et les épluche donc avec un couteau de cuisine, Alessandro «baisse le thon», avec une boîte de thon à la main, Isaïn mesure «moins d’un maître»,  Eliane va dormir sous les jambes écartées  de sa « tante»…

 Ils ont dû d’abord trouver des mots puis des accessoires visuels pour leur faire dire leur double sens et les mettre en scène, sous forme d’autoportraits photographiques. Ici, tout le processus de création est donc mis en œuvre avec beaucoup d’humour sur ces affiches rectangulaires en tissu plastique blanc accrochées dans le jardin de l’Hôtel Sponeck. Emerveillés-et il y avait de quoi-les enfants découvraient en groupe et pour la première fois ces photos… Une expérience dont ils se souviendront longtemps.

Sédiments à l’italienne 

L’après-midi, avec  cette pièce/performance, Charlotte Lagrange, jeune dramaturge et metteuse en scène, issue de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg, a imaginé une sorte de parcours/description/analyse du paysage urbain de Montbéliard dont les collégiens sont familiers et qu’ils parcourent chaque jour. Un environnement de paroles de brouhahas et de pas dans la rue,  de bruits de trains, de circulation routière mais aussi de panneaux visuels : «Montbéliard, centre ville : 6 kms »  ou de graffitis.  Soit une sorte d’éloge de la banalité avec aussi des phrases courtes et parfois dures : «Je me souviens de toi, je te veux pas dans mon quartier.» Je suis fort je peux résister. » « Tu es capable d’apprendre le français comme les autres.» « Je sais que c’est dur mais c’est la vie.» «Il y a beaucoup de mouvements et tout le monde, ils aiment leur pays.»

L’originalité de ce travail : faire travailler les élèves à la fois, comme dans un studio radiophonique où on peut donc reprendre le texte pour atteindre la quasi-perfection et l’enregistrer ensuite, puis dans un second temps, faire circuler comme ils le font chaque jour dans une ville, un groupe d’une vingtaine de collégiens sur un plateau de théâtre pendant trente cinq minutes pendant que défile la bande-son.  Avec  un impeccable enchaînement qui tient d’une sorte de performance, et un accent l’accent mis aussi sur la qualité plastique des différents tableaux. Aucun doute là-dessus, Charlotte Lagrange a une parfaite maîtrise d’un grand plateau et sait diriger un grand nombre de jeunes amateurs. Et les lycéens et collégiens qui assistaient à cette unique représentation gratuite étaient très admiratifs. Nous aussi. Si les petits cochons ne la mangent pas, elle sera en mesure de monter des œuvres plus importantes.

Philippe du Vignal

MA Scène nationale-Pays de Montbéliard, Hôtel Sponeck  54 rue Clémenceau  25200 Montbéliard. T. : 03 81 91 73 94

 

 

 

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