Apologie 415 d’Efthymis Filippou et Les Batteurs d’Adrien Béal
Apologie 415 d’Efthymis Filippou, mise en scène d’Argyro Chioti,
»Commun», «vivre ensemble» : apparemment, «faire société» n’est pas si simple dans un monde qui semble se déliter. Fatalité ? Non, un petit îlot résiste… Le théâtre n’a pas pour vocation de guérir les souffrances sociales, au moins peut-il nous aider à les comprendre et à les panser.
Chiche ! Le Théâtre de la Bastille relève le défi : et si on travaillait sur le chœur ? C’est l’endroit exact où l’individuel et le collectif s’imbriquent, indispensables l’un à l’autre, «tous pour un, un pour tous». Pour quatre fois encore, six spectacles déclinent la question et le jeu du chœur: comédiens amateurs et professionnels, musiciens, artistes tout simplement, donnant corps, mouvement et voix à l’affaire, le public étant invité à la partager dimanche prochain 21 mai à 19h. Ces spectacles qui ouvraient la semaine, illustrent déjà la diversité du projet.
Apologie 415
En une ronde lente, inspirée de danses populaires grecques, un chœur de cinq femmes chante une mélopée répétitive. À côté, un inquisiteur interroge un homme, puis une femme, avant des les autoriser à entrer ou non, dans le chœur. La femme y arrivera, au prix de sa voix, qu’elle est contrainte de changer et justement parce qu’elle y est , cette voix va détonner. Un grain de sable dans l’uniformité de la tyrannie…
Cette inquisition et ce couac font penser, bien sûr, à la place de la Grèce en Europe. L’auteur, coscénariste entre autres de The Lobster, film grec réalisé par Yórgos Lánthimos (2015) et la metteuse en scène, directrice du Vasistas Theatre Group, font clairement référence à la tragédie antique, tout en inventant une dramaturgie actuelle. Dans sa simplicité géométrique, la scénographie contribue à cette vision : un carré de pots à feu, le cercle du chœur, la ligne de démarcation qui le sépare du lieu du jugement, et c’est tout. Le spectacle, en grec sur-titré, captive son public et ne le lâche plus. Une belle découverte…
Les Batteurs d’Adrien Béal,
Deux des six spectacles de Notre chœur cherche ailleurs comment se constitue le chœur: les musiciens, que souvent, l’on ne voit pas, sauf pour quelques moments héroïques, sont cachés par leurs caisse claire, cymbales, grosses caisses et divers tambours placés derrière le chanteur ou le guitariste. Six batteurs sur le plateau nous offrent les diverses figures du «jouer ensemble», ce qui ne leur arrive jamais dans l’exercice habituel de leur instrument. Ça commencera par les invites, les hésitations à se joindre à l’un puis à deux, puis au groupe. Arriveront duels et rivalités et le moment de trêve que donne la pédagogie de la batterie. Chacun expliquant son métier au public et le jeu de l’accord parfait, que l’on peut défaire et refaire à volonté, d’un coup d’œil à son partenaire et où aucun des six ne perd son identité ni son style. Un spectacle surprenant, à la fois théorique et concret, un pas-de-côté réussi pour le metteur en scène dont Le Pas de Bême est encore en tournée.
Ce mini-festival a aussi donné lieu à un colloque Désobéissance aux discordances, avec Sandra Laugier, enseignante à Paris 1-Sorbonne, et Créer un «nous», l’harmonie de Platon à Leibnitz, avec Francis Wolff, professeur émérite de philosophie à l’E.N.S.-Paris. Il reste quatre spectacles, quatre expériences à découvrir, dans cette poussée de créations printanières.
Christine Friedel
Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème), jusqu’au 21 mai. T. : 01 43 42 14 14.