La Valse,Symphony in C, Schéhérazade
La Valse, musique de Maurice Ravel, chorégraphie de Stefania Ballone, Matteo Gavazzi et Marco Messina, Symphony in C, musique de Georges Bizet, chorégraphie de George Balanchine, Schéhérazade sur le poème symphonique de Nicolas Rimsky Korsakov, chorégraphie d’Eugenio Scigliano
Mauro Bigonzetti sera resté à peine six mois à la direction du Ballet de l’Opéra de Milan mais aura eu le temps de pousser plusieurs jeunes danseurs de la compagnie vers la chorégraphie, certains avec succès, comme le prouve le récent programme de la Scala, avec un triptyque : deux créations et une reprise. Précédant la Symphony in C de George Balanchine, déjà au répertoire et magnifiquement dansé par une troupe en excellente forme, Stefania Ballone, Matteo Gavazzi et Marco Messina, danseurs du corps de ballet, proposaient une version commune de La Valse de Maurice Ravel !
Une partition toute autre que facile quand on se souvient des dissonances, accélérations et rythme fragmenté, jusqu’au vertige final de cette partition composée par Maurice Ravel en 1920, encore sous le choc de la guerre de 14-18 ! Et, autre difficulté, comment nos trois chorégraphes pouvaient-ils harmoniser en un seul ballet, leurs différents univers? Le résultat, en tout cas, ne laisse en rien supposer que ce fut cette création. Stefania Ballone, la plus experte des trois, explique: «Nous avons beaucoup travaillé en amont, discuté, comparé, imaginé des scénarios, sans jamais oublier qu’il fallait au moins partager une vision commune. Finalement, nous sommes revenus vers notre première idée: rendre visible la partition musicale!»
En effet, en ne s’encombrant d’aucune histoire à raconter et en ignorant l’élément fatal contenu dans la musique (respecté dans la plupart des chorégraphies précédentes, à commencer par celle de Bronislava Nijinska en 1929, celle de Frederick Ashton en 1958 ou celle de George Balanchine en 1951, nos artistes «scaligeri», eux, ont privilégié une version abstraite qui tire sa seule force des dynamiques et tensions musicales, en cherchant à traduire à leur manière ce qu’Igor Stravinski disait en voyant George Balanchine chorégraphier sa musique: «Il faut regarder la musique et entendre la chorégraphie» !
Cela commence dans le silence, seul moment où chacun des trois chorégraphes a créé son propre morceau. Les douze danseurs occupent, en petits groupes, cet immense plateau presque nu avec comme unique décor une grande rampe en fond de scène d’où ils s’élanceront de temps en temps. Les costumes, signés Irene Monti, la costumière de la Scala, s’inspirent des sculptures en bronze de danseuses exotiques créées par Demetre Chiparus (1866-1947) et restituent discrètement l’atmosphère des années 20. Ce voyage dans l’univers de la valse donne un point de vue inhabituel sur Ce voyage dans l’univers de la valse, outre qu’il donne un point de vue inhabituel sur La Valse de Maurice Ravel, mais constitue aussi une promesse quant à l’avenir de la création chorégraphique italienne.
George Balanchine avait chorégraphié, en 1947, Symphony in C de Georges Bizet, sous le titre Le Palais de cristal pour le Ballet de l’Opéra de Paris dont il avait assumé la direction en l’absence de Serge Lifar chassé de l’Opéra et exilé à Monte-Carlo à la suite d’accusations de collaboration avec les nazis durant la seconde guerre. Symphony in C est un condensé de tout ce que le chorégraphe russe devenu américain aime et exige: vitesse, vivacité, musicalité ! Justement les principales qualités de l’Ecole italienne…
Ce ballet est truffé de difficultés techniques : équilibres délicats, profonds pliés, que la compagnie traverse avec brio. Les danseuses ont des attaques de pointes impressionnantes ; quant aux danseurs, ils se révèlent des partenaires idéaux : ils soulèvent leur ballerine sans aucun effort, et s’effacent au besoin pour la mettre en valeur et s’élancent avec une élégante vigueur quand arrive leur solo.
La soirée se concluait avec une autre création, Schéhérazade, du chorégraphe Eugenio Scigliano sur le poème symphonique de Nicolas Rimsky Korsakov. Sans oublier la célèbre version créée en 1910 par Michel Fokine pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev et dont il garde l’intrigue, le chorégraphe toscan insiste, non sur la sensualité des femmes du harem comme l’avait fait Michel Fokine, mais plutôt sur la violence qui leur est infligée par le sultan Shariar et par son frère (une sorte de Iago). Ceux-ci, ayant feint un départ pour la chasse, reviennent précipitamment; ils surprennent les femmes en pleine orgie et voient la favorite Zobéide se consoler auprès de l’Esclave d’or, autre victime du sultan. Ils accomplissent alors un massacre…
Eugenio Scigliano a construit son ballet en «flasback» avec une Zobéide errant parmi les vȇtements ensanglantés des femmes du harem ,comme si elle revivait le drame. Dans cette vision féministe, le rôle de Zobéide ainsi que celui des autres personnages exige des interprètes un tempérament dramatique. Heureusement, les danseurs de la Scala n’en manquent pas : que ce soit Alessandra Vassallo (Zobéide), Beatrice Carbone (l’ombre de Shéhérazade qui est le fil rouge du récit), Nicola del Freo (l’Esclave d’or), Gioacchino Starace (le sultan Shariar) ou Marco Agostino (Rahma).Ils possèdent tous une belle présence et se coulent sans effort dans la gestuelle néo-expressionniste du chorégraphe…
Sonia Schoonejans
Spectacle créé au Teatro alla Scala, via Filodrammatici, 2, 20121 Milan, du 13 avril au 17 mai.
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