Jacques Lecoq, un pont fixe en mouvement de Patrick Lecoq

 

Livres et revues:

Jacques Lecoq, un pont fixe en mouvement de Patrick Lecoq

 

9782330066154Le titre reprend une phrase du fondateur de la célèbre école : “La vie est le déséquilibre rattrapé d’un point fixe en perpétuel mouvement ». Jacques Lecoq, né en 1921 « une très bonne année pour le vin », précisait-il!, et disparu en 1999).  L’Ecole internationale de théâtre a fêté à la fin 2016, ses soixante ans! Avec plus d’un millier d’élèves de quelque trente nationalités… Le seul nom de Lecoq, dans les milieux du spectacle en France comme à l’étranger, étant une référence absolue, synonyme de rigueur et d’intelligence pédagogique.Jacques Lecoq, encore adolescent, pratique beaucoup la natation puis aussi le vélo mais surtout la gymnastique, et s’inscrira à la Fédération d’athlétisme pour devenir moniteur auprès de Jean-Marie Conty, un polytechnicien mais aussi athlète et… ami du comédien et metteur en scène Jean-Louis Barrault. En 1944, Jacques Lecoq sort diplômé de l’Ecole française d’orthopédie et de massage. Cela, sans aucun doute, correspond déjà à son profond intérêt pour le corps en mouvement, et pour la gestuelle, conçue comme une discipline de vie, ce qui sera plus tard à la base de son enseignement.

Le plus remarquable dans ce parcours de vie atypique: sa ténacité, sa constance et sa volonté d’aller de l’avant au fil des années. Mais aussi la curiosité de cet homme pour les expériences novatrices à l’étranger. On connaît moins de lui ses dessins d’une grande qualité où on sent l’influence d’Henri Matisse. Il a  croqué entre autres et sûrement sur le vif, en privilégiant la ligne, comme dans cette série de Rencontres amoureuses, les corps nus de jeunes femmes à la plage. Jacques Lecoq montera ensuite avec des amis un petit spectacle d’une trentaine de minutes, Le Chemin de croix des prisonniers de guerre, et d’autres jeux dramatiques qui seront les embryons de la future Maison de la Culture de Grenoble.

Puis le grand Jean Dasté l’engagera comme acteur et éducateur physique de sa troupe. Jacques Lecoq découvrira avec sa compagne Musy Hafner (1920-1986) le fameux masque noble, inspiré du masque nô que Jacques Copeau admirait. Il donnera à l’Ecole des jeunes comédiens de Grenoble son premier cours d’éducation au mime… Grâce à Musy Hafner et à Walter Felsenstein, directeur de l’Opéra Comique, il ira faire des démonstrations de mime à Berlin-Est. On voit dans le livre la photo mythique que connaissent bien les professionnels du théâtre, de L’Exode d’André Obey avec huit personnages masqués. C’est une des richesses de ce livre  exemplairement bien documenté avec de nombreuses et formidables photos, dessins et affiches de spectacles.

Jacques Lecoq eut aussi, on le sait moins, une période   italienne à Padoue au Théâtre de l’Université  où il enseignera le mime et l’improvisation, mais aussi la confection de masques , début d’une carrière pour le grand Sartori qui fabriquera toute une série de masques neutres  et pour la commedia dell’arte. Jacques Lecoq travaillera aussi en 1951 avec Giorgio Strehler et Paolo Grassi; il sera ainsi professeur de mime à l’école du Piccolo Teatro pendant deux saisons, puis reviendra définitivement à Paris en 1956 mais ira de nouveau en Italie pour faire la chorégraphie de plusieurs spectacles, avec, entre autres, des tragédies grecques.

Puis, grand tournant, il enseignera à l’Ecole Charles Dullin à Paris et travaillera avec Léon Chancerel, élève de Jacques Copeau. Quelle cohérence dans ce parcours et cette démarche artistique! “ J’arrivais du sport, de l’éducation physique et de son rêve humaniste. J’avais trouvé en Italie la terre ou planter mon aventure et où faire une expérience théâtrale complète. Copeau, plus le sport, plus l’Italie: trois références à partir desquelles j’ai pu faire une école.”
Situé rue du Bac à Paris dans un studio de danse,  elle comprenait un enseignement axé sur la gymnastique expressive, le geste mais aussi sur le masque neutre et expressif, et le mime. L’enseignement et la pratique de cette dernière discipline, étant nous en souvient-t-on, source de malentendus dans le milieu théâtral. Pourtant,  être allé “chez Lecoq” comme on disait,  était pour de nombreux comédiens, un passage obligé, l’enseignement qu’il offrait, était en effet introuvable à l’époque en France.

Et, à partir de 1960, il recruta de nouveaux professeurs, comme Pierre Byland pour l’acrobatie dramatique, Philippe Avron pour le jeu, puis Antoine Vitez pour l’approche des textes…
Oui, mais voilà, être un génial pédagogue aux stages professionnels très courus  ne suffit pas quand on veut rester indépendant et ne rien demander à l’Etat. Et l’on cherche un lieu où installer son école. Heureusement Jean Mercure, directeur du Théâtre de la Ville eut l’intelligence et la générosité-de lui offrir en 1971, sa salle de répétition comme lieu provisoire de travail. Bien entendu le Ministère de la Culture, le plus souvent incompétent et plus que frileux en matière d’enseignement artistique, a été incapable de trouver une solution! Seul Robert Abirached, quand il était à la tête de la Direction des spectacles, avec générosité, l’aida financièrement pour acheter un peu de matériel…

 Jacques Lecoq put s’installer ensuite au Centre américain et enfin au Central, une ancienne et magnifique salle de boxe, au 57 rue du Faubourg Saint-Denis où l’école est toujours. Il fera paraître son dernier livre Le Corps poétique en 97 et mourra deux ans plus tard, quelques jours après avoir donné son dernier cours. Fay Lecoq, sa deuxième épouse continuera à diriger l’Ecole jusqu’à sa mort en 2012. Et Pascale Lecoq, sa fille lui a succédé.  Soit une durée de vie assez rare dans le domaine artistique (plus de soixante ans!) pour une école privée.

Ce livre, à la fois riche et très rigoureux, a dû faire l’objet d’un gros travail préparatoire et comporte de nombreux et beaux documents: dessins, pastels, de Jacques Lecoq et. et  photos d’exercices et spectacles dirigés par lui qui a eu une grande influence sur l’enseignement du théâtre en France comme à l’étranger.

Un beau livre vraiment, et bien écrit sur cet artiste et pédagogue exceptionnel, par son fils, ce qui est tout aussi exceptionnel…

 Philippe du Vignal

 Editions Actes Sud. 32€.

 

Une goulée de souvenance de Maurice Alexandre

316730481Une autre parcours, lui aussi atypique décrit dans ce petit livre où Maurice Alexandre retrace la vie de Léo Ferré, né en 1916 et disparu en 1993: un peu rapide et  » hybride, patchwork, ce n’est pas un livre savant ni hagiographie, dit l’auteur. C’est un kaléidoscope de sensations sur le parcours d’un être différent, complexe et fascinant. »

Il n’a absolument pas la rigueur-et Maurice Alexandre ne le revendique pas-de Léo Ferré, une vie d’artiste de Robert Belleret, paru l’an dernier. Il fourmille d’anecdotes souvent croustillantes sur les professionnels de la musique que Léo Ferré a rencontrés au cours de sa vie mais manque ici un véritable fil rouge.

L’auteur en effet papillonne souvent, ce qui donne un côté effectivement kaléidoscopique à cet ensemble mal construit. « Agrémenté » (sic)  de dessins pas très soignés de Yolande Alexandre sur l’enfance du poète chanteur…
Ces quelques deux cents pages se lisent avec plaisir, à condition de n’être vraiment pas trop exigeant…

Ph. du V.

Editions Marie Honfleur. 15€

 

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Archive pour 22 mai, 2017

Jacques Lecoq, un pont fixe en mouvement de Patrick Lecoq

 

Livres et revues:

Jacques Lecoq, un pont fixe en mouvement de Patrick Lecoq

 

9782330066154Le titre reprend une phrase du fondateur de la célèbre école : “La vie est le déséquilibre rattrapé d’un point fixe en perpétuel mouvement ». Jacques Lecoq, né en 1921 « une très bonne année pour le vin », précisait-il!, et disparu en 1999).  L’Ecole internationale de théâtre a fêté à la fin 2016, ses soixante ans! Avec plus d’un millier d’élèves de quelque trente nationalités… Le seul nom de Lecoq, dans les milieux du spectacle en France comme à l’étranger, étant une référence absolue, synonyme de rigueur et d’intelligence pédagogique.Jacques Lecoq, encore adolescent, pratique beaucoup la natation puis aussi le vélo mais surtout la gymnastique, et s’inscrira à la Fédération d’athlétisme pour devenir moniteur auprès de Jean-Marie Conty, un polytechnicien mais aussi athlète et… ami du comédien et metteur en scène Jean-Louis Barrault. En 1944, Jacques Lecoq sort diplômé de l’Ecole française d’orthopédie et de massage. Cela, sans aucun doute, correspond déjà à son profond intérêt pour le corps en mouvement, et pour la gestuelle, conçue comme une discipline de vie, ce qui sera plus tard à la base de son enseignement.

Le plus remarquable dans ce parcours de vie atypique: sa ténacité, sa constance et sa volonté d’aller de l’avant au fil des années. Mais aussi la curiosité de cet homme pour les expériences novatrices à l’étranger. On connaît moins de lui ses dessins d’une grande qualité où on sent l’influence d’Henri Matisse. Il a  croqué entre autres et sûrement sur le vif, en privilégiant la ligne, comme dans cette série de Rencontres amoureuses, les corps nus de jeunes femmes à la plage. Jacques Lecoq montera ensuite avec des amis un petit spectacle d’une trentaine de minutes, Le Chemin de croix des prisonniers de guerre, et d’autres jeux dramatiques qui seront les embryons de la future Maison de la Culture de Grenoble.

Puis le grand Jean Dasté l’engagera comme acteur et éducateur physique de sa troupe. Jacques Lecoq découvrira avec sa compagne Musy Hafner (1920-1986) le fameux masque noble, inspiré du masque nô que Jacques Copeau admirait. Il donnera à l’Ecole des jeunes comédiens de Grenoble son premier cours d’éducation au mime… Grâce à Musy Hafner et à Walter Felsenstein, directeur de l’Opéra Comique, il ira faire des démonstrations de mime à Berlin-Est. On voit dans le livre la photo mythique que connaissent bien les professionnels du théâtre, de L’Exode d’André Obey avec huit personnages masqués. C’est une des richesses de ce livre  exemplairement bien documenté avec de nombreuses et formidables photos, dessins et affiches de spectacles.

Jacques Lecoq eut aussi, on le sait moins, une période   italienne à Padoue au Théâtre de l’Université  où il enseignera le mime et l’improvisation, mais aussi la confection de masques , début d’une carrière pour le grand Sartori qui fabriquera toute une série de masques neutres  et pour la commedia dell’arte. Jacques Lecoq travaillera aussi en 1951 avec Giorgio Strehler et Paolo Grassi; il sera ainsi professeur de mime à l’école du Piccolo Teatro pendant deux saisons, puis reviendra définitivement à Paris en 1956 mais ira de nouveau en Italie pour faire la chorégraphie de plusieurs spectacles, avec, entre autres, des tragédies grecques.

Puis, grand tournant, il enseignera à l’Ecole Charles Dullin à Paris et travaillera avec Léon Chancerel, élève de Jacques Copeau. Quelle cohérence dans ce parcours et cette démarche artistique! “ J’arrivais du sport, de l’éducation physique et de son rêve humaniste. J’avais trouvé en Italie la terre ou planter mon aventure et où faire une expérience théâtrale complète. Copeau, plus le sport, plus l’Italie: trois références à partir desquelles j’ai pu faire une école.”
Situé rue du Bac à Paris dans un studio de danse,  elle comprenait un enseignement axé sur la gymnastique expressive, le geste mais aussi sur le masque neutre et expressif, et le mime. L’enseignement et la pratique de cette dernière discipline, étant nous en souvient-t-on, source de malentendus dans le milieu théâtral. Pourtant,  être allé “chez Lecoq” comme on disait,  était pour de nombreux comédiens, un passage obligé, l’enseignement qu’il offrait, était en effet introuvable à l’époque en France.

Et, à partir de 1960, il recruta de nouveaux professeurs, comme Pierre Byland pour l’acrobatie dramatique, Philippe Avron pour le jeu, puis Antoine Vitez pour l’approche des textes…
Oui, mais voilà, être un génial pédagogue aux stages professionnels très courus  ne suffit pas quand on veut rester indépendant et ne rien demander à l’Etat. Et l’on cherche un lieu où installer son école. Heureusement Jean Mercure, directeur du Théâtre de la Ville eut l’intelligence et la générosité-de lui offrir en 1971, sa salle de répétition comme lieu provisoire de travail. Bien entendu le Ministère de la Culture, le plus souvent incompétent et plus que frileux en matière d’enseignement artistique, a été incapable de trouver une solution! Seul Robert Abirached, quand il était à la tête de la Direction des spectacles, avec générosité, l’aida financièrement pour acheter un peu de matériel…

 Jacques Lecoq put s’installer ensuite au Centre américain et enfin au Central, une ancienne et magnifique salle de boxe, au 57 rue du Faubourg Saint-Denis où l’école est toujours. Il fera paraître son dernier livre Le Corps poétique en 97 et mourra deux ans plus tard, quelques jours après avoir donné son dernier cours. Fay Lecoq, sa deuxième épouse continuera à diriger l’Ecole jusqu’à sa mort en 2012. Et Pascale Lecoq, sa fille lui a succédé.  Soit une durée de vie assez rare dans le domaine artistique (plus de soixante ans!) pour une école privée.

Ce livre, à la fois riche et très rigoureux, a dû faire l’objet d’un gros travail préparatoire et comporte de nombreux et beaux documents: dessins, pastels, de Jacques Lecoq et. et  photos d’exercices et spectacles dirigés par lui qui a eu une grande influence sur l’enseignement du théâtre en France comme à l’étranger.

Un beau livre vraiment, et bien écrit sur cet artiste et pédagogue exceptionnel, par son fils, ce qui est tout aussi exceptionnel…

 Philippe du Vignal

 Editions Actes Sud. 32€.

 

Une goulée de souvenance de Maurice Alexandre

316730481Une autre parcours, lui aussi atypique décrit dans ce petit livre où Maurice Alexandre retrace la vie de Léo Ferré, né en 1916 et disparu en 1993: un peu rapide et  » hybride, patchwork, ce n’est pas un livre savant ni hagiographie, dit l’auteur. C’est un kaléidoscope de sensations sur le parcours d’un être différent, complexe et fascinant. »

Il n’a absolument pas la rigueur-et Maurice Alexandre ne le revendique pas-de Léo Ferré, une vie d’artiste de Robert Belleret, paru l’an dernier. Il fourmille d’anecdotes souvent croustillantes sur les professionnels de la musique que Léo Ferré a rencontrés au cours de sa vie mais manque ici un véritable fil rouge.

L’auteur en effet papillonne souvent, ce qui donne un côté effectivement kaléidoscopique à cet ensemble mal construit. « Agrémenté » (sic)  de dessins pas très soignés de Yolande Alexandre sur l’enfance du poète chanteur…
Ces quelques deux cents pages se lisent avec plaisir, à condition de n’être vraiment pas trop exigeant…

Ph. du V.

Editions Marie Honfleur. 15€

 

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