Le Roi sur sa couleur, de et par Hugues Duchêne
Zoom # 3 du réel au politique à Théâtre Ouvert:
Le Roi sur sa couleur, de et par Hugues Duchêne
«Ça faisait quelques années, dit ce jeune auteur/metteur en scène, que je voulais écrire une pièce sur le monde du théâtre par rapport à la cinquième République. Ça faisait cinq ans. Depuis l’affaire Olivier Py, en somme. Ces quelques jours de remous médiatiques m’étaient apparus comme le climax des ratages culturels du quinquennat Sarkozy. Pourquoi Olivier Py n’était-il pas renouvelé? A ce moment là, personne n’a osé le dire mais beaucoup ont pensé qu’il y avait sûrement une «querelle de pd» là-dessous :la formule est de lui, je l’ai rencontré en 2012.
J’en ai retenu deux choses :1) «Apparemment, c’était juste une histoire de copinage. Luc Bondy = ami de Valéria= sœur de Carla = mariée à Nicolas.»2) «Je peux vous raconter ma version des faits mais celle qui sait tout, c’est Catherine Pégard, c’est elle qui m’a fait croire qu’elle était mon amie. »
En 2015, Hugues Duchêne est devenu élève-comédien à la Comédie-Française et il a voulu mêler ce théâtre à l’intrigue. Et Ce Roi sur sa couleur (curieux titre?) possède une petite part de fiction surtout au début, et une bonne-louche de théâtre documentaire comme entre autres, les fameux «kapouchnik» mensuels du Théâtre de l’Unité à Audincourt (voir Le Théâtre du Blog). Sur scène, quelques chaises, un console-son, un synthé et surtout six jeunes comédiens: Pénélope Avril, Vanessa Bile-Audouard, Marinna Garci, Théo Comby-Lemaître, Laurent Robert et Hugues Duchêne lui-même.
Cela commence de façon un peu confuse puis on comprend très vite que la pièce a beaucoup à voir avec l’affaire Luc Bondy qui fit beaucoup de bruit dans les milieux culturels et politiques, il y a six ans déjà… Une autre époque pour nombre de jeunes gens! Nous sommes donc en 2011, à l’Elysée, sous le règne du petit Nicolas; son épouse, Carla Bruni et sa demi-sœur Valéria Bruni-Tedeschi parlent en italien et elles font se rencontrer Luc et le président. Rencontre capitale pour celui qui rêvait d’être enfin à la tête du Théâtre de l’Odéon, objet de tant de convoitises dans la profession. Deuxième épisode de cette saga: Olivier, le directeur du Théâtre, reçoit alors Catherine Pégard, ex-rédactrice du Point, nommée conseillère politique du Président.
Gênée, elle le remercie pour son remarquable travail mais lui dit… qu’il est débarqué. En termes plus choisis, cela signifie que son mandat ne sera pas renouvelé, à la suite d’une décision du Ministère de la Culture. Ben voyons ! En fait, Frédéric, le ministre a été prié d’avaler les petites magouilles de Carla et de porter le chapeau ! Quand on lui avait posé la question, il avait répondu assez langue de bois : «Je pense que cela ne lui a pas déplu. »
Puis, on en arrive à une scène pas très claire entre Nicolas et Luc qui fait un parallèle entre Jean-Luc Lagarce et Marcel Duchamp, responsable selon lui de ce qu’il appelle «la société du mépris de soi ». Puis Nicolas lui annonce qu’il veut lui faire donner la direction de la Comédie-Française. Catherine explique qu’elle a nommé Frédéric à la villa Médicis puis au ministère de la Culture. Elle croit savoir qu’il veut prendre la direction de Versailles, alors qu’elle estime y avoir droit en priorité. Elle prend alors la décision de nommer Luc à l’Odéon, pour que le petit monde culturel soit contre Frédéric, et ainsi, l’empêche ainsi d’accéder à Versailles qu’elle veut absolument…
Vous suivez toujours ? Non, bien sûr, et, si on n’est pas de la paroisse, mieux vaut avoir travaillé le dossier ! Assez bavarde, pas toujours passionnante, la pièce avance donc et par petites scènes, cahin-caha, comme l’avait écrit pour la première fois le grand François Rabelais. Puis on entre alors dans le vif du sujet: l’affaire Olivier Py à qui Nicolas Sarkozy offrira comme cadeau de consolation, la direction du festival d’Avignon … à laquelle il avait déjà été candidat. Il aurait pu refuser, mais non!
Et là, d’un seul coup, la pièce s’envole. Mieux charpentée avec des extraits d’articles de presse de journalistes dont Armelle Héliot, Marie-José Sirach… Mais aussi avec des compte-rendus des séances à l’Assemblée Nationale, du Journal de Frédéric Mitterrand, et d’une interview à France-Inter avec Laure Adler en 2011.
A la fin du spectacle, à la cérémonie des Molières, Michel Fau chante une chanson de Carla Bruni sous le regard attendri de ses proches. Inutile de dire que toutes ces compromissions sous le règne du petit Nicolas ont quelque chose de nauséeux, mais heureusement traitées ici avec un comique décapant par Hugues Duchêne…
On voit que le tout jeune auteur a d’abord préparé Sciences Po, avant d’intégrer l’Ecole supérieure d’art dramatique de Lille: les dialogues drôles, incisifs souvent brillants émaillent Le Roi sur sa couleur, sa troisième pièce; les précédentes avaient aussi trait aux petites histoires de la vie politique française.
Sur le plateau, il dirige bien ses petits copains qui ont, comme lui, un plaisir évident à incarner les personnages d’une de ces magouilles qui ne font pas honneur à la République française. Et où, une fois de plus, soumis au pouvoir monarchique de la Présidence, le Ministère de la Culture et son locataire de l’époque ne jouent pas un très beau rôle !
Cette seconde partie, avec ces six complices qui ont une bonne diction et un jeu précis, a un côté espiègle tout à fait réjouissant. Hugues Duchêne tape sec et juste: petites phrases, noms et chiffres sont cités avec exactitude, notamment le salaire exponentiel réclamé et obtenu par Luc Bondy… Que la classe politique, parfois faute de preuves, n’avait pas vraiment dénoncé. Personne ici, et surtout Catherine Pégard, ne sort vraiment grandi de cette médiocrité politique et humaine absolues.
Le texte possède certains moments vraiment très brillants et a de grandes qualités théâtrales mais il n’est pas toujours d’une clarté évidente, quand encore une le public n’est pas de la paroisse… Il faudrait que son auteur, même s’il tient ici un bon filon, le revoit et le resserre un peu. Mais bon, on ne va pas pleurnicher. On pense juste au tabac qu’un tel spectacle aurait fait s’il avait été créé quand a surgi cette lamentable histoire. Mais à l’époque, aucun homme ou femme de théâtre ne s’en est emparé. On ne pourra pas le reprocher à son auteur, il n’avait que vingt ans !
Depuis Luc Bondy est mort, le petit Nicolas, comme bien d’autres de la classe politique, après avoir été remercié deux fois par le peuple français d’abord et ensuite par son parti, donne des conférences bien payées, et François Hollande a cédé la place à Emmanuel Macron… Mais, par les temps qui courent, ce petit spectacle est un vrai cadeau… Il a le mérite d’être vraiment drôle! et cela ne se refuse pas… Merci, Hugues Duchêne!
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 23 mai à Théâtre Ouvert, 4 bis Cité Véron Paris (XVIII ème) . T : 01 42 55 74 40.
Zoom 3 se poursuit jusqu’au 30 mai avec des mises en voix et mises en espace de Valérie Mréjen, Yoan Thommerel, Claudine Galea, David Geselson, et en juin, de Hakim Bah.
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