Du chœur à l’ouvrage, un opéra pour voix d’enfants

Du choeur à l'ouvrage

Du chœur à l’ouvrage, opéra pour voix d’enfants, conception, musique et mise en scène de Benjamin Dupé, livret original de Marie Desplechin, avec L’Instant Donné, ensemble instrumental (alto, violon, violoncelle, contrebasse, guitare, piano, percussions, flûte, cor, clarinette), et la Maîtrise de Caen, dirigée par Olivier Opdebeeck

C’est Marie Desplechin, l’auteure du livret. Bien connue pour, entre autres, ses livres pour enfants, elle a aussi écrit le scénario du Voyage en Arménie de Robert Guédiguian, et d’Au bois dormant pour la compagnie Thierry Thieu Niang.

Un bateau s’est échoué sur une île; il emmenait toute une bande de jeunes garçons, membres d’une maîtrise, partis chanter à un concert de Noël… Les trois chefs de chœur ont disparu. Ils se retrouvent donc livrés à eux-mêmes, et désespérés, n’ont pas d’autre choix pour s’occuper, que chanter, encore et toujours.
Les jeunes choristes se regroupent autour de Romain, l’aîné devient le chef de chœur. Jim, lui, a une voix parfaite, Romain un peu jaloux de cette voix qu’il n’a plus, rêve d’en faire la voix du groupe. Et certains vont refuser d’obéir au chef  et refusent de chanter.
Romain  leur fait alors répéter le fameux Douce nuit un chant de Noël. Puis sa voix se casse.
Les enfants fidèles proposent alors d’organiser un sacrifice: brûler les yeux de Jim pour lui redonner sa voix.  Sacrifice interrompu par les enfants rebelles mais le cercueil de la voix de Jim brûle, et on voit des voiles apparaissent… les secours arrivent!

Marie Desplechin  parle ici de l’enfance mais aussi de l’enseignement difficile de la musique, et des sacrifices exigés quand on veut progresser. Pour cette réalisation, aucun adulte sur le plateau mais trente-deux enfants de huit à treize ans qui sont aussi les personnages de cette histoire imaginée par  l’écrivaine qui s’est inspirée de leur vie et des méthodes de chant choral pour écrire ce livret. Benjamin Dupé lui a composé une musique avec, au second degré, de grands airs d’opéra, des récitatifs et grands chœurs. Avec un surtitrage qui est le bienvenu… vu la complexité de certains  moments  peut-être un peu trop littéraires…

«J’ai proposé à Marie Desplechin, dit le compositeur, d’écrire le livret original. Je lui ai suggéré que le texte que chante cette maîtrise, parle de la maîtrise. Qui sont ces enfants ? Quel est leur rapport intime à la musique ? Quelle est la vie musicale de la maîtrise ? Ce concept, dans lequel personnages et interprètes se confondent (…) permet aussi toutes sortes de jeux et de distanciations  où la musique et son apprentissage deviennent le sujet de la narration : figurer et faire chanter une leçon de solfège par exemple, aussi décalée que peut l’être la leçon d’arithmétique de L’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel et Colette… Travailler sur l’enfance  est un défi pour un compositeur. C’est certainement chercher autant du côté de la fragilité (des voix, par exemple) que de la férocité (des voix, justement). Il y a dans l’enfance une ambivalence, une oscillation perpétuelle entre insouciance et gravité, entre rire et larmes, entre compassion et cruauté, dont je souhaite m’inspirer en termes de matériaux vocaux comme en termes d’agencements formels. ».

Sur un plateau nu ou presque Olivier Thomas a  imaginé une petite maison en bois sur pilotis, magique où tous les enfants entrent tous à plusieurs moments. Comment y tiennent-ils ? On ne vous le dira pas-mais c’est très malin et invisible du public, jusqu’à la fin-quand les murs en latte de bois de la maison s’écroulent…

Mais il y a un autre miracle : comment faire répéter à des enfants une musique pas toujours facile qui n’est pas avare de ruptures de rythmes, de modulations de la voix, de chuintements, voire de légers souffles et bégaiements? Benjamin Dupé les a d’abord écouté chanter puis a composé une partition. Ensuite  ils ont répété, accompagnés par un pianiste puis par l’orchestre. Il a fallu ensuite mettre en scène tous les enfants de cette maîtrise (qui suivent des classes à horaires aménagés, donc un peu habitués à un plateau). Les spectateurs adultes étaient étonnés de la solidité face public des jeunes et brillants solistes..

Et dans le grand Théâtre de Caen, devant un public de quelque huit cent jeunes, ce lundi après-midi-là, uniquement composé de classes du primaire et de collège-qui a suivi très attentif pendant un peu plus d’une heure, dans un remarquable silence.
De quoi bousculer pas mal d’idées reçues…Le succès de ce spectacle doit aussi beaucoup à la remarquable fluidité des mouvements de groupe, très bien dessinés par la chorégraphe Ana Gabriela Castro.

Cet opéra qui participe d’une mise en abyme de l’enfance sans appuyer trop sur le  thème du théâtre dans le théâtre, tient aussi d’une formidable expérience pédagogique; il se baladera en France mais avec d’autres maîtrises, cette fois mixtes, comme à Bondy. Il devrait intéresser à la fois les amateurs d’opéra et toux ceux qui s’intéressent à l’enseignement du chant.  Une occasion aussi d’entendre l’un des nombreuses maîtrises en France comme en Europe leur rôle est souvent méconnu elles ont pourtant été à l’origine de vocations musicales comme celles de Jean-Sébastien Bach, Frantz Schubert, etc..  Celle bien connue de Radio-France ou celle des Hauts-de-Seine, par exemple, qui dispense une formation musicale, vocale, scénique, chorale et… gratuite à quelque 470  enfants et possède aussi un groupe de jeunes, chœur d’enfants officiel de l’Opéra de Paris.

Philippe du Vignal

Spectacle créé au Théâtre de Caen, les 19, 20 et 22 mai. Puis au Nouveau Théâtre de Montreuil/Festival Mesure pour mesure, avec la Maîtrise de Radio-France-Bondy, du 16 au 23 novembre.
Et en 2018 :
A La Criée, Théâtre National de Marseille, en partenariat avec l’Opéra de Marseille, avec la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, les 13 et 15 mars; au Théâtre Durance, scène conventionnée de Château-Arnoux/Saint-Auban, le 23 mars. Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, avec le Grand Théâtre de Provence, les 13 et 14 juin.

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Archive pour 27 mai, 2017

Schweinehund d’Andy Gaukel 
et Myriame Larose, mise en scène d’Andy Gaukel

 

Biennale des arts de la marionnette (suite) :

Schweinehund d’Andy Gaukel 
et Myriame Larose, mise en scène d’Andy Gaukel 


 Issu d’une idée d’Andy Gaukel  (du Kentucky) et Myriame Larose  (de Montréal), cette pièce sans paroles avec projections vidéo d’animation et interprétée par et quelques marionnettes d’une cinquantaine de cms..  Dans la pénombre, un seul et grand praticable, elles sont animées par Myriame Larose et Andy Gaukel, tout en noir et donc presque invisibles, du moins quand on est vraiment face au plateau. Sauf la main du second, énorme, à cause du manque d’accommodation de notre pauvre œil humain à l’obscurité. Vraiment impressionnante cette belle illusion d’optique.

Leur spectacle a trait à l’histoire atroce mais vraie d’un Français, Pierre Seel (1923-3005), un  des quelques survivants des camps de concentration nazis. L’un des rares  aussi à avoir témoigné comme Aimé Spitz (1909-1980) de sa déportation pour homosexualité. En allemand, schweinehund : salopard, est le premier mot qu’adresse à un jeune homosexuel l’officier SS  qui va l’envoyer, comme tant d’autres,  vers l’horreur absolue.

Schweinehund essaye donc de transmettre sans aucune parole l’histoire de Pierre Seel, dont un premier amour fut, après dénonciation, la cause de sa condamnation à l’enfer…Affublés à partir de 1938, d’un triangle rose sur leurs tenues rayées, les homosexuels servaient souvent en effet aux nazis de cobayes pour des expériences pseudo-scientifiques. Mais il y avait aussi bien d’autres triangles stigmatisants: rouge, noir, vert, jaune, ou mixtes pour détenus politiques allemands, français, tsziganes, apatrides, etc. et la trop fameuse étoile jaune pour les juifs, etc.  Et pour la France uniquement, plus de 76.000 personnes de confession juive et 250.000 tsiganes moururent dans les camps !

Myriame Larose et Andy Gaukel,vont faire revivre, disent-ils, «les fragments d’un passé brutal aux souvenirs rassurants d’une autre époque. Il s’agit d’une histoire émouvante qui porte sur l’amour, la perte et la résilience de l’être humain ». Dans une grande pénombre, on voit donc un pauvre homme très maigre à qui on enlèvera son pantalon et à qui on fera subir brimades et humiliations, jusqu’à lui priver de ses jambes. Le marionnettiste faisant ici figure de bourreau. C’est sublimement fait, à tel point que les personnages semblent vite acquérir une vie propre : on retient son souffle.

Mais malgré cette indéniable virtuosité et une évidente sensibilité des auteurs et interprètes, on est un peu perdu dans un scénario pas toujours clair qui nous a semblé partir un peu dans tous les sens. Et c’est dommage, vu la grande qualité des images produites, où la vidéo, notamment avec des vols de colombes est de façon magistrale liée au jeu de la marionnette.

Philippe du Vignal

Mouffetard Théâtre, 73 Rue Mouffetard, 75005 Paris T : 01 84 79 44 44 jusqu’au 29 mai.

Pierre Seel, Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, avec Jean Le Bitoux. Éditions Calmann-Lévy.

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Kafka’s Freaks, performance en solo

 

 Kafka’s Freaks, performance en solo inspirée par l’œuvre de Frantz Kafka

 

kafka-fournosL’œuvre de Frantz Kafka (1883-1924), écrivain tchèque d’expression allemande et figure emblématique de la littérature moderne,  est, avec une philosophie de l’absurde et du désespoir, une terre d’élection dans la sensibilité des gens du théâtre contemporain et depuis une bonne cinquantaine d’années.

Dans ses romans truffés d’allégories, le récit peut devenir le lieu où on peut élaborer une métaphysique concrète et son œuvre présente à l’état pur le paradoxe de la pensée existentialiste. Et nombre de spectacles sont, dans le monde entier, sont inspirées de son univers. Diverses adaptations de ses romans ont  ainsi donné naissance à des spectacles très intéressants. Comme cette performance du comédien et metteur en scène Nicolas Vayionnakis qu’il a conçue à partir de Rapport pour une académie (1917), Un champion de jeûne (1922) et La Métamorphose (1915).
Ces trois récits de Frantz Kafka deviennent ici une sorte de prétexte à montrer sur scène un personnage cloué dans une cage-prison.Nicolas Vayionnakis s’expose ici avec des grimaces, gestes, extases psychiques qui offrent un véritable éventail toujours mouvant d’expressions, dans un tourbillon énigmatique.

Le plateau tient d’une scène «pauvre», c’est à dire dépouillée de tout faste et seuls les éclairages d’Apostolos Tsatsakos  mettent en valeur l’antinomie entre l’objet :cage », et le sujet : corps humain en révolte. La cage rétrécit beaucoup sa possibilité d’être en liberté : l’homme piégé, fou de rage, se manifeste à travers des mouvements presque géométriques  et sans aucune  harmonie.

Nicolas Vayionnakis, maquillage blanc et costume noir, est une sorte d’incarnation de tous les personnages kafkaïens. Le tragique de la condition humaine se présente ici de façon grotesque et macabre dans le regard du comédien qui  réussit à créer ainsi une panique censée gagner le public. Il nous offre avec générosité toute la richesse de son jeu…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Fournos, 168 rue Mavromichali, Athènes. T.: 0030 210 64 60 748

 

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