Las Vegas (suite) : MindFreak live ! de Criss Angel
La superstar actuelle de la magie du XXIème siècle, décorée par l’International Magicians Society en 2010. Avec un statut équivalent à celui des rock stars comme Marilyn Manson ou Alice Cooper… Christopher Nicholas Sarantakos a su créer un personnage d’illusionniste, gothique et asexué, jouant volontiers l’ambiguïté et la provocation spectaculaire. Au fil des années, il a su développer une image de magicien de l’extrême, avec une promotion aux coûts très élevés, comme son modèle américain Harry Houdini (1874-1926). Et, dans les années 2000, il a été en compétition avec David Blaine dans des matchs d’épreuves physiques et de fakirisme.
Criss Angel sait utiliser à merveille tous les moyens de communications modernes pour asseoir sa suprématie dans le domaine de l’illusion. Et pour cela, quoi de mieux que Las Vegas et qu’un mausolée en forme de pyramide comme résidence! Depuis 2008, le Luxor Hotel
(quatrième plus grand hôtel du monde, construit en 1993) abrite son roi-pharaon auquel rien ne résiste. Criss Angel, icône contemporaine internationale, l’a immortalisé à jamais, lors de sa spectaculaire lévitation au-dessus du bâtiment. Une performance-symbole qui trône dans le hall du Luxor, sous forme de sculpture….
Le grand théâtre qui accueille son spectacle, est précédé de vastes espaces abritant sa collection de motos, de nombre de photos de lui avec des personnalités du showbiz, et de ses costumes, accessoires et éléments de décors de ses anciens spectacles qui viennent ponctuer ce parcours en forme d’introduction. Le public est donc conditionné pour voir la méga star ! Il y a aussi bien entendu, des produits dérivés: sacs, T-shirt, casquettes, bijoux, verres, porte-clés, badges, etc., et même une ligne de vêtements!
Le Cirque du Soleil ne s’est pas trompé en s’associant à l’illusionniste; il a coproduit avec lui Believe (2008) et ce MindFreak live! créé l’an passé, ds vitrines taillées pour un succès public et commercial ! Le spectacle actuel reprend de nombreux tableaux du précédent mais débarrassés de tout folklore et d’un bestiaire un peu décalé qui le plombaient. Avec pour thème, ceux de la série d’émissions-cultes de l’illusionniste de 2005 à 2010. Criss Angel propose ici une immersion dans son univers « gothique » et dérangé. La mise en scène accentue différentes performances réalisées pour la télévision mais en en sublimant la dramaturgie, grâce à une débauche de technologies.
Dans l’immense salle du Luxor, reste l’imposant cadre de scène de son précédent spectacle avec des lapins stylisés genre Alice au pays des merveilles. Dans la pure tradition des magiciens mégalos, est projetée en une dizaine de minutes, son irrésistible ascension… avec plusieurs extraits vidéos montrant ses débuts avec son groupe de hard rock sur la chaîne MTV, une interview de Randi le fameux escapologiste, l’épisode douloureux de la mort de son père en 1998, et ses défis physiques, comme passer vingt-quatre heures dans l’eau, ou rester suspendu par la peau pendant six heures.
Maestro, un magicien mexicain arrive sur scène avec sa partenaire, et propose au public le tour dit des épées de la mort. Dans un style comique décalé, Il avale une épée comme un fakir, fait ensuite choisir une carte par un spectateur dans un jeu « jumbo », puis le déguise avec un chapeau et lui tend un pistolet pour qu’il « tire » sa carte.
Le spectateur appuie sur la gâchette et fait voler le chapeau du magicien; tombe alors des cintres, une malle qui manque d’écraser Maestro et « tue » accidentellement un technicien derrière l’écran vidéo qui projette un décor de western. Pour finir, une carte apparaît sur l’écran: celle du spectateur…
Fifi la blonde assistante annonce de façon comique Criss Angel et nous voyons arriver sa doublure: un Maestro, déguisé avec perruque et faux abdos, cabotinant et faisant apparaître une colombe… en plastique, puis une vraie colombe sur sa tête.
Suit une autre séance narcissique… avec projection de vidéos présentant Criss Angel avec ses diverses distinctions, sur les plateaux de télé, dans la série Las Vegas, ou des publicités, etc. Bref, cela rappelle l’auto-congratulation de David Copperfield en 2005!
Puis, une vidéo nous montre Criss Angel au lit, réveillé par un bruit d’horloge. Le grand rideau de scène s’ouvre et l’on voit pendre des centaines d’ampoules. Un voile est tendu sur une grande plate-forme vide et le magicien fait son apparition dans un déluge de feu et de fumée sur la musique d’un guitariste, et crie :« Las Vegas, êtes-vous prêt ? »Suit une série d’illusions qui en mettent plein la vue. Une grande boîte transparente vide arrive sur scène, sur laquelle on place un voile…Apparaissent alors quatre jeunes femmes puis une cinquième sur un porte-bagage vide, après avoir sauté virtuellement de l’écran…
Arrive un numéro à l’effet saisissant, dit de transposition : une assistante assise sur une chaise, est recouverte d’une cape. Seules tête et mains dépassent. Une malle est montrée vide et la fille disparaît alors de la chaise, pour se retrouver dans la malle… Escapologie et transposition : Harry Houdini continue à inspiré Criss Angel qui a effectué plusieurs évasions houdiniennes et a ainsi obtenu trois records du monde…
Nous voyons d’abord quelques vidéos de ses exploits et de son séjour à l’hôpital… à la suite d’une chute (belle dramatisation pour la séquence suivante !) Puis, le rideau se lève, et on découvre, tout de noir vêtu, Cris Angel se faire attacher par ses assistants, dans une camisole de force et se faire suspendre par les pieds dans les cintres du théâtre. On projette une image de grande ville et sur six écrans LED latéraux, des visages de papier.
On compte trente secondes et Criss Angel se libère progressivement en tournoyant dans les airs, au rythme de la musique et des images vidéo qui accentuent la dramaturgie de cette performance, puis il tombe au sol dans un grand bruit… Ses assistants le placent alors dans un sac, puis dans une malle fermée. Une partenaire se place au-dessus et effectue une transposition grâce à un rideau. On voit alors Criss Angel libéré, dans un effet pyrotechnique. Une sorte d’hommage à Houdini, avec son évasion dans le célèbre numéro La Malle des Indes…
«Le public, dit Criss Angel, veut voir de la magie révolutionnaire. » Un grand écran en tulle l’enferme dans un château projeté en fond de scène. Un chevalier arrive et se bat à l’épée avec le magicien. Effets effets visuels en 3D sur le tulle, tournant alors à 360° sur une plate-forme dans un effet rappelant le film Matrix, dans un équilibre impossible. Débarrassé du « méchant », Angel court dos au public, et face à l’écran, comme dans un jeu vidéo, l’image avance. Cela finit par une transposition du méchant avec le magicien sur une malle.
Colombes
Une jeune femme ouvre un livre et va faire apparaître des danseurs les yeux bandés. Deux autres femmes, habillées de noir, portent de l’encens. Criss Angel produit du feu avec ses mains, puis une flamme lévite et se transforme en colombe.
Le magicien retire son masque blanc et fait alors apparaître une deuxième colombe, puis des oiseaux dans un foulard rouge. Une colombe disparaît et se transforme en foulard qui s’envole dans les airs et se dirige vers une cage, pour se transformer en oiseau ! Effet de toute beauté !Une multitude de foulards tombe alors des cintres vers le magicien qui fait apparaître une dizaine de colombes. Il transforme une plume en confettis qui se change en une centaine de colombes qui viennent envahir la salle. Un superbe tableau romantique, d’une forte puissance émotionnelle, magnifié par le décor et les effets vidéo.
Maestro va démontrer ses talents de manipulateur et dit qu’il va faire le tour des colombes mais avec des poulets. Il disparaît alors derrière un drap en rampant sur le sol : «Je suis Criss Angel ». Maestro disparaît derrière un rideau à la même texture que celui d’avant-scène, et se transforme alors en vrai Criss Angel.
Puis un « close-up» transmis sur grand écran
:
Criss Angel va s’asseoir à une table, au premier rang de la salle et fait pénétrer et voyager quatre pièces de monnaie dans un verre retourné… Il fait ensuite apparaître une multitude de pièces qui recouvrent entièrement la table, puis sort en cascade des demi-dollars de son nez et finit par le saut d’un élastique à cheveux entre ses doigts, un effet basique que l’on apprend dans les cours de récré ! Dommage…
Triple transposition :
Sur une grande structure sur roulettes, et à trois niveaux, Maestro et Fifi saluent le public. Leur assistante descend d’un niveau et fait remarquer que la partie centrale est vide. Couverts d’un grand tissu, les deux comiques disparaissent de la plate-forme, et trois assistants en noir arrivent dans le cube central, tandis qu’une assistante disparaît de la scène pour se retrouver au-dessus de la structure. Nous retrouvons ensuite Maestro et Fifi à cour et jardin sur le devant de la scène. Une grande illusion très impressionnante par son triple effet en cascade.
Motos Collection
Angel présente ses deux guitaristes et on voit sur écran sa collection de huit motos dont le nom est inscrit sur leur profil : une spectatrice est invitée à choisir au hasard une de ces motos et vérifie bien qu’une plate-forme est vide et décollée du sol. Maestro dispose alors trois pans en carton et une projection vidéo diffuse, en boucle, les images des huit motos et s’arrête sur celle choisie par la spectatrice. Les cartons sont retirés et apparaît immédiatement la moto réelle. Belle mise en scène et idée judicieuse de la vidéo-projection qui rend ce numéro encore plus fort.
Lames de rasoir
Une vidéo nous montre Criss Angel en train de se maquiller façon masque gothique. Un message : Attention apparaît, puis le mot : Mort et la mention :« Ne faites pas ça chez vous ». Il découpe des feuilles de papier avec des lames de rasoir une par une qu’il avale ensuite: scène retransmise sur grand écran. Criss Angel bouge comme une marionnette et place ensuite un fil dans sa bouche, avale de l’eau et la recrache, pour en faire ressortir les lames de rasoir en chapelet sur une musique rock… Un filet de sang noir s’échappe de sa bouche.
Puis suit un numéro avec un lit suspendu. Une musique douce accompagne des images de fleurs projetées sur six écrans LED. Les fleurs se fanent doucement et les images se teintent de rouge. Un personnage masqué de blanc et aux yeux rouges perçants arrive alors, un couteau à la main…Le cauchemar prend alors le pas sur le réel : le lit s’envole et une très imposante scie circulaire, surmontée d’une femme avec un fouet, arrive sur scène. Criss Ang
el tape alors sur cette grande scie avec un marteau pour bien montrer sa réalité et on ligote une de ses assistantes sur la grande plaque métallique. Le magicien et Maestro lancent des boules de papier dans la salle et les deux spectateurs qui tombent sur un logo, sont invités à vérifier cette installation « de la mort », et que la femme est bien prisonnière de la plate-forme suspendue. Sur une musique rock tonitruante de deux guitaristes, la scie descend sur la pauvre partenaire ligotée et la découpe en deux dans un flot de sang arrosant la scène, puis la plaque se sépare, et on voit nettement de chaque côté son buste etses jambes.
Lévitations
Des extraits vidéo montrent différentes lévitations réalisées par l’illusionniste lors de ses émissions Mindfreak. Il en profite pour délivrer un message d’urgence pour la cause des enfants atteints d’un cancer, via son association H.E.L.P. On voit un contorsionniste en équilibre sur deux tiges plantées au sol, sur des images d’enfants malades. Criss Angel, en chemise blanche immaculée, entre alors avec une danseuse, fait tournoyer un voile autour d’elle et la fait apparaître derrière ce même voile en fond de scène. Elle lévite alors dans les airs, Angel la rejoint et la fait disparaître… Double lévitation, suivie du numéro Asrah de Servais Leroy (1865-1953) que tous les magiciens utilisent aujourd’hui sans grande originalité, et plombée par des «secousses» comme toujours !
On voit ensuite les images du magicien en pleurs : son fils a été diagnostiqué cancéreux il y a deux ans. Une chaise roulante vide arrive sur scène. Criss Angel lévite sous un drap jusqu’aux cintres et disparaît. Une assistante arrive alors dans la chaise roulante et Criss Angel surgit dans la salle en tapant dans les mains et invitant tous les spectateurs à « célébrer la vie » avec lui, pendant que des acrobates et danseurs font leur numéro sur une musique entraînante. Une séance tire-larmes comme les aiment les Américains.
Lévitation n°2
Le rideau s’ouvre une dernière fois sur l’illusionniste en équilibre et pieds nus, sur une grande échelle double en bois. Il la descend à la verticale sur les marches et lévite totalement dans les airs en passant dessous, et en faisant des saltos, puis entre ensuite dans une énorme roue transparente, et tourne à l’intérieur tel un hamster, ou un cosmonaute en apesanteur. Il en ressort et une femme vient léviter avec lui. Ils disparaissent dans les cintres et laissent sur la scène, un masque blanc aux yeux rouges brillants. Un tableau très fort visuellement et une lévitation réalisée en pleine lumière, fait rare pour ce genre d’effet. Avec une progression dramatique parfaite, même si le tout perd un peu de puissance, à cause de numéros précédents similaires…
Disparition
L’illusionniste revient sur scène pour parler de son association H.E.L.P et de l’urne prête à recevoir les dons des spectateurs à la fin du spectacle, puis disparaît sur la même plate-forme qu’au début. La boucle est bouclée. Mind Freak live ! assume un côté mégalo avec déploiements d’effets scéniques, sonores, pyrotechniques et technologiques dernier cri. Les spectateurs en prennent plein la vue et les oreilles et le rythme ne descend jamais, bien contrebalancé par des saynètes comiques avec l’excellent Maestro, alias Mateo Amieva Brenes, qui se moque gentiment de l’icône Criss Angel (avec sa bénédiction !). Ce qui apporte un peu d’humanité à ce personnage public qui semble parfois inaccessible et hautain.
On sent bien sûr, ici, la patte du Cirque du Soleil, multinationale du divertissement dont les uniformiser ses spectacles tendent à s’uniformiser avec des dispositifs trop utilisés comme de vastes écrans LED, des musiciens jouant sur scène, des créatures étranges et maniérées, et des numéros de circassiens… Cela rappelle l’excellent Michael Jackson créé au Mandalay Bay en 2013 (voir Le Théâtre du blog), mais marque aussi sans aucun doute le début d’épuisement d’une certaine formule… Que reste-t-il en effet de l’artiste dans ce flot incessant de technologies ? Une présence assez discrète, parfois à la limite de l’accessoire dans certains tableaux, quand il se contente d’être un démonstrateur d’effets. Par contre, l’illusionniste qu’il est encore, atteint un vrai degré d’étrangeté et sait déranger un public dans ses interventions « gothiques »: le meilleur de son spectacle. Le personnage de Criss Angel, construit sur un univers très référentiel, s’épanouit dans une certaine forme d’excès métalo-gothico-gore!
MindFreak live ! ressemble à donc une monstrueuse créature pas vraiment finie : soit un spectacle un peu bancal, avec éléments et tours recyclés de Believe, et une ligne directrice assez sommaire. Mais l’impression générale reste bonne: l’illusionniste sait conjuguer les talents et s’entourer de techniciens et scénographes de premier ordre; comme il n’est pas avare en effets, il donne au public ce qu’il attend : du spectaculaire et de belles émotions (mêmes fabriquées)…
Sébastien Bazou
Spectacle vu à Las Vegas le 15 mars.
Nos lecteurs qui s’intéressent à l’histoire, à la pratique et aux spectacle de magie peuvent utilement consulter en ligne la Lettre d’information d’Artefact dirigée par Sébastien Bazou. Et prendre contact avec lui par courrier :
Artefake 16 rue Henri Gérard,21121 Fontaines-lès-Dijon.
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