Moisson de Dimitris Dimitriadis, mise en scène de de Dimitris Tarloou

 

Moisson de Dimitris Dimitriadis, mise en scène de de Dimitris Tarloou

 

ReapingLa pièce (2011), met le focus sur les relations humaines et sur la manière de communiquer l’un avec l’autre. La situation dans laquelle nous vivons étroitement liés à des objets, comme entre autres, le téléphone portable, nous oblige à suivre une philosophie de communication indirecte mais presque jamais directe. Même quand  cette communication est très difficile, voire impossible comme lors  d’une catastrophe, les nouvelles arrivent quand même, et souvent. Le dicton : pas de nouvelles, bonnes nouvelles, n’a plus lieu d’être.

Dans Moisson, il y a comme un trou obscur dans la mémoire, et passent alors inaperçues la déception et la misère intérieures de celui qui aime, comme de celui qui hait. Ici, cinq personnages présents, et deux autres absents qui se manifestent par le téléphone portable, incarnant ainsi selon l’auteur, des unités symboliques. Instrument exprimant alors sa présence d’objet «extatique » qui dépasse les limites de ses possibilités d’être, en même temps, un sujet. 

Ce personnage hors-scène va faire irruption dans la vie des cinq vacanciers et vite détruire l’harmonie qui régnait dans ce luxueux hôtel d’Acapulco qui garantissait paix et bien-être de vacances.  Il y a ici un vide qui crée une situation interne où chacun des personnages va se sentir porteur d’un mal incurable, celui d’une existence en péril.

Dimitris Tarloou met l’accent sur  le conflit entre l’harmonie de cet  endroit et l’espace intérieur de ces femmes et hommes apparemment loin de ses besognes et tracas du quotidien.  Il a suivi le texte de Dimitris Dimitriadis et ses didascalies, et a représenté la peur d’une menace inconnue par des figures mouvantes en guise des corps fantasmatiques, ce qui ajoute encore au suspense.  

Anna Mascha(Zouzou), Périclès Moustakis (Roumi), Nicos Psarras (Assour), Alexia Kaltsiki (Likra) et Maro Papadopoulou (Bona), incarnent les membres d’un groupe qui a pour seul souci de passer quelques jours dans… l’insouciance. Mais chaque acteur défend aussi sa propre personnalité.

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Théâtre National, rue Aghiou Konstantinou 22-24, Athènes, T. : 0030 – 210 52 88 170

 


Archive pour mai, 2017

L’ombre de Stella de Pierre Barillet

 

L’ombre de Stella de Pierre Barillet, mise en scène de Thierry Harcourt

 

(C)Giovanni Cittadini Cesi

(C)Giovanni Cittadini Cesi

Son nom ne dira sans doute pas grand-chose aux jeunes gens mais Pierre Barillet (93 ans) et  Jean-Pierre Grédy (96 ans) sont les auteurs depuis 1950, de très grand succès avec, toujours pour personnage central, une vedette féminine de théâtre ou de cinéma: Le Don d’Adèle qu’aima beaucoup Louis Aragon! Fleur de Cactus avec Sophie Desmarets d’abord, puis Lauren Bacall, Ingrid Bergman (si, si c’est vrai !), puis récemment Catherine Frot. Jacqueline Maillan créa aussi Lily et Lily, Line Renaud Folle Amanda, une pièce reprise il y a quelque mois et ou encore Catherine Deneuve dans Potiche de François Ozon. Et L’Or et la Paille, intelligemment remis en scène il y a deux ans ce même théâtre par Jeanne Herry (voir Le Théâtre du blog pour ces pièces).

Mais Pierre Barillet a aussi écrit mais seul, deux monologues/portraits intimes de vedettes : l’un imaginaire, celui de Stella Marco,  et l’autre de Nadine Picard, une comédienne que Pierre Barillet avait bien connue. Il dresse ici, en positif comme en négatif, le portrait d’une star dans cette période plus que trouble que fut l’Occupation allemande. Telle que la vit Mylène, une petite actrice, sans cachets, qui a dû accepter, pour vivre, d’être la secrétaire particulière/nounou et grande amie de Stella. Mais soumise à ses caprices, elle est aussi devenue son souffre-douleur. Abonnée aux seconds rôles, et amère de n’avoir pas eu la carrière qu’elle aurait bien méritée, elle, la fille de concierge…

Partagée entre l’admiration, l’amour persistant malgré tout, sous un vieux fond de haine et de jalousie pour sa copine qui a, elle, admirablement réussi… On lui propose d’écrire ses Mémoires contre une belle somme: “J’ai rigolé. Quels Mémoires ? Les Mémoires d’une ombre ? Parce que c’est ce que je suis : une ombre. L’ombre de Stella.  (…)  J’ai essayé de le calmer : « Mais je ne sais pas écrire!» Alors, lui: «Justement. Faut surtout pas que ce soit écrit. Vous parlez dans le magnétophone. Vous racontez tout ce qui vous passe par la tête, au fur et à mesure que les souvenirs vous reviennent… vous me donnez les cassettes, et vous ne vous occupez plus de rien !”

En une heure quinze, Denis d’Arcangelo, le créateur travesti de Madame Raymonde, est ici Mylène, une dame en tailleur-pantalon et talons hauts noirs, d’un certain âge mais très classe, qui raconte cette époque. Médusant de vérité-diction et gestuelle impeccables-il  nous dit, entre deux verres de champagne, ce que fut la vie de Stella et la sienne: l’avant-guerre, la déroute des années 44 (mais pas pour  la vedette qui n’a pas craint les petites compromissions avec l’Occupant!) jusqu’à la Libération où elle fut dénoncée par …On vous laisse deviner.

Vie souvent luxueuse avec chez Maxim’s et autres boîtes branchées de l’époque que fréquentaient aussi de jeunes et sympathiques officiers allemands. Elle tourne Typhon à Macao, joue Phèdre… Bref, elle ne souffre pas trop des restrictions qui accablaient les Français (pénurie de tout: vêtements, nourriture, tickets de rationnement obligatoires pour aliments souvent douteux, voire trafiqués, etc.). C’est une époque que le jeune Pierre Barillet a bien connue: celle aussi d’actrices célèbres et aujourd’hui oubliées comme Marie Bell, Alice Cocéa, Jany Holt… dont il s’est sans doute inspirées, bref, toute une époque dans une France bouleversée, sans repères, dont il parle aussi dans Quatre années sans relâche.

Loin des intrigues bien ficelées mais parfois faciles, et des mots d’auteur qui caractérisent les pièces citées plus haut, il y a dans ce récit souvent cruel, quelque chose de juste et vrai qui touche le public, curieux de connaître ces années d’avant, et pendant, la guerre (voir le succès populaire de La Bicyclette bleue de Régine Desforges).
Et pour une fois, pas mal de jeunes gens dans la salle! Très attentifs à cette histoire et qui découvrent ce que leurs grands-parents ont dû subir: vies dures dans les villes, voire atroces pour beaucoup, étoile jaune pour les Juifs, exactions de la Gestapo, règlements de compte et  dénonciations, familles dispersées lors de la débâcle, maris « disparus » en Allemagne, bombardements, alertes et descentes rapides dans les caves, mais passionnantes et souvent plus compliquées que celle qu’a pu délivrer jusqu’ici l’Histoire officielle.

Ici cette sorte de fresque du milieu théâtral et artistique qui touche à l’intime comme au collectif, au tragique comme à la comédie, est finement dirigée et avec une grande intelligence scénique par Thierry Harcourt qui va à l’essentiel. Un plateau nu avec des pendrillons noirs, un bizarre pupitre-magnétophone (pas très crédible mais bon!), un fauteuil tournant et une petite table pour  la bouteille de champagne et une flûte à portée de main. C’est tout…

On a souvent usé et abusé des monologues ces derniers temps, mais celui-ci, écrit avec soin par Pierre Barillet, est bien mis en scène par Thierry Harcourt, même si il aurait pu faire l’économie d’une dizaine de minutes. Et Denis d’Arcangelo mène seul le bal, sans vidéos, sans voix amplifiée! Et pendant soixante-quinze minutes. Chapeau! Cette belle performance d’acteur mérite vraiment le détour.

Philippe du Vignal


Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin Roosevelt, Paris VIIIème, jusqu’au 11 juin.

A lire: le très bon livre d’Alain Riding sur cette douloureuse époque: Et la fête continue, aux éditions Flammarion.

 

 

Français, encore un effort si vous voulez être républicains

 

©Marc Vanappelghem

©Marc Vanappelghem

Français, encore un effort, si vous voulez être républicains, de Donatien Alphonse François de Sade, mise en scène d’Hervé Loichemol

 Donatien Alphonse François, marquis de Sade,  né en 1740, meurt à la prison de Charenton en 1814, après avoir passé plus de trente ans en détention, pour cause de libertinage et d’actes blasphématoires. Marié mais amant de nombreuses courtisanes et comédiennes, il sera accusé d’empoisonnement et de sodomie sur ces dames. Scandale ! Poursuivi par les autorités, enfermé,  il s’échappe mais revient toujours à la case prison.

Sade publiera La Philosophie dans le boudoir en 1795. Considéré comme l’aboutissement du Siècle des lumières, homme névrosé mais lucide, il n’obtient le plaisir que par la douleur subie ou infligée. Conscient de sa pathologie, il en fait un instrument de critique et de connaissance, «découvrant, dit Henri Lemaître, «le monde tel qu’il est, sous les habitudes inconscientes de l’homme.»

Exemple paradoxal d’athéisme, de révolte et d’analyse aigüe de soi, le marquis de Sade refuse Dieu au nom de la vie, conteste l’ordre politique dans Français encore un effort si vous voulez être républicains et éclaire les pulsions obscures. Et quand il écrit Juliette et la philosophie dans le boudoir, il pense que celui qui cède à autre chose que lui-même,  déchoit, en errant dans la nuit des sens et de la pensée, hors de toute volonté autonome et de sentiment de liberté. Raison et cruauté sont complices: au sommet même de la jouissance, ses personnages énoncent des dissertations qui rythment les récits de Sade. Prisonniers apparents de leurs vices et de la société qui les rejette, ils s’en délivrent, en prouvant la radicale fausseté du jugement porté contre eux.

 Or la raison absolue n’est pas l’unique valeur et la volupté mène aussi à la cohérence universelle, à l’accord de l’homme et des choses, à l’amour de l’homme pour l’autre. Construire peu à peu sa liberté revient à refuser le sadisme comme soumission. Cela passe par une esthétique de la provocation et de la transgression : soit un vrai chemin vers la liberté.

  Hervé Loichemol, directeur de la Comédie de Genève, met en scène trente ans après sa création en 1987, Français, encore un effort si vous voulez être républicains. Anne Durand fait une conférence sur la philosophie de Sade,  présent à ses côtés. «La “conférencière” que j’interprète, expose la philosophie du Maître, sous les yeux du Maître… Dans un contexte révolutionnaire, Sade propose de revoir les devoirs de l’homme envers Dieu, envers les autres hommes, envers lui-même, en suivant plutôt le modèle de la Nature, si importante pour les philosophes des Lumières. Les lois réprouvent, mais la Nature, elle, nous inspire. De fil en aiguille, la démonstration renverse les valeurs du bien et du mal. «Il est impossible, pour Sade, que « le citoyen d’un Etat libre se conduise comme l’esclave d’un roi despote.» (…) «Il n’y a vraiment de criminel que ce que réprouve la loi».

 Anne Durand, à la voix acidulée et ironique, en robe de soirée et perruque blanche royale, est une jolie courtisane acquise aux idées du divin marquis. « Mais, dit-elle, il ne faut pas jouer cette ironie  qui ne fonctionne que si elle est assumée très sérieusement. Mon personnage défend donc les propositions du Maître et sa philosophie libertine poussée dans ses conséquences les plus terrifiantes, avec la plus grande sincérité». Sade, ici, ne cesse, depuis son fauteuil, d’admirer sa gestuelle chorégraphiée,  et ses phrases  à lui qu’il ne cesse de boire pour son plaisir.

Tapis colorés et restes abîmés d’un immense drapeau bleu blanc rouge ont le parfum souriant  de notre actualité… Sur une table nappée de blanche avec  verres à pied et carafes de vin, des plats délicieux se succèdent, entre serveurs et convives sans distinction les appréciant le plus naturellement qu’il soit… Débattons de notre présence au monde face à Dieu, face aux autres hommes et face à nous-mêmes. Examinons ce qui est considéré comme violence et comme meurtre : le raisonnement provocateur se fait ici par l’absurde, et la débatteuse n’en est pas dupe.

Sur les notes de piano de Stéphane Leach, avec Anne Durand, Hugues Duchêne, Jean-Marie Thiedey, Romain Delamart et Nicolas Hanoteau, une soirée des plus facétieuses…

 Véronique Hotte

La Manufacture des Œillets-Centre Dramatique National, 1 place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine. T. : 01 43 90 11 11, jusqu’au 21 mai.

 

 

 

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La Valse,Symphony in C, Schéhérazade

La Valse, musique de Maurice Ravel, chorégraphie de Stefania Ballone, Matteo Gavazzi et Marco Messina, Symphony in C, musique de Georges Bizet, chorégraphie de George Balanchine, Schéhérazade sur le poème symphonique de Nicolas Rimsky Korsakov, chorégraphie d’Eugenio Scigliano

 IMG_0697Mauro Bigonzetti sera resté à peine six mois à la direction du Ballet de l’Opéra de Milan mais aura eu le temps de pousser plusieurs jeunes danseurs de la compagnie vers la chorégraphie, certains avec succès, comme le prouve le récent programme de la Scala, avec un triptyque : deux créations et une reprise. Précédant la Symphony in C de George Balanchine, déjà au répertoire et magnifiquement dansé par une troupe en excellente forme, Stefania Ballone, Matteo Gavazzi et Marco Messina, danseurs du corps de ballet, proposaient une version commune de La Valse de Maurice Ravel !

 Une partition toute autre que facile quand on se souvient des dissonances, accélérations et rythme fragmenté, jusqu’au vertige final de cette partition composée par Maurice Ravel en 1920, encore sous le choc de la guerre de 14-18 ! Et, autre difficulté, comment nos trois chorégraphes pouvaient-ils harmoniser en un seul ballet, leurs différents univers? Le résultat, en tout cas, ne laisse en rien supposer que ce fut cette création. Stefania Ballone, la plus experte des trois, explique: «Nous avons beaucoup travaillé en amont, discuté, comparé, imaginé des scénarios, sans jamais oublier qu’il fallait au moins partager une vision commune. Finalement, nous sommes revenus vers notre première idée: rendre visible la partition musicale!»

En effet, en ne s’encombrant d’aucune histoire à raconter  et en ignorant l’élément fatal contenu dans la musique (respecté dans la plupart des chorégraphies précédentes, à commencer par celle de Bronislava Nijinska en 1929,  celle de Frederick Ashton en 1958  ou celle de George Balanchine en 1951, nos artistes «scaligeri», eux, ont privilégié une version abstraite qui tire sa seule force des dynamiques et tensions musicales, en cherchant à traduire à leur manière ce qu’Igor Stravinski disait en voyant George Balanchine chorégraphier sa musique: «Il faut regarder la musique et entendre la chorégraphie» !

  Cela commence dans le silence, seul moment où chacun des trois chorégraphes a créé son propre morceau. Les douze danseurs occupent, en petits groupes, cet immense plateau presque nu avec comme unique décor une grande rampe en fond de scène d’où ils s’élanceront de temps en temps. Les costumes, signés Irene Monti, la costumière de la Scala, s’inspirent des sculptures en bronze de danseuses exotiques créées par Demetre Chiparus (1866-1947) et restituent discrètement l’atmosphère des années 20. Ce voyage dans l’univers de la valse donne un point de vue inhabituel sur Ce voyage dans l’univers de la valse, outre qu’il donne un point de vue inhabituel sur La Valse de Maurice Ravel, mais constitue aussi une promesse quant à l’avenir de la création chorégraphique italienne.

  George Balanchine avait chorégraphié, en 1947, Symphony in C de Georges Bizet, sous le titre Le Palais de cristal pour le Ballet de l’Opéra de Paris dont il avait  assumé la direction en l’absence de Serge Lifar chassé de l’Opéra et exilé à Monte-Carlo à la suite d’accusations de collaboration avec les nazis durant la seconde guerre.  Symphony in C est un condensé de tout ce que le chorégraphe russe devenu américain aime et exige: vitesse, vivacité, musicalité ! Justement les principales qualités de l’Ecole italienne…

Ce ballet est truffé de difficultés techniques : équilibres délicats, profonds pliés, que la compagnie traverse avec brio. Les danseuses ont des attaques de pointes impressionnantes ; quant aux danseurs, ils se révèlent des partenaires idéaux : ils soulèvent leur ballerine sans aucun effort, et s’effacent au besoin pour la mettre en valeur et s’élancent avec une élégante vigueur quand arrive leur solo.

La soirée se concluait avec une autre création, Schéhérazade, du chorégraphe Eugenio Scigliano sur le poème symphonique de Nicolas Rimsky Korsakov. Sans oublier la célèbre version créée en 1910 par Michel Fokine pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev et dont il garde l’intrigue, le chorégraphe toscan insiste, non sur la sensualité des femmes du harem comme l’avait fait Michel Fokine, mais plutôt sur la violence qui leur est infligée par le sultan Shariar et par son frère (une sorte de Iago). Ceux-ci, ayant feint un départ pour la chasse, reviennent précipitamment; ils surprennent les femmes en pleine orgie et voient la favorite Zobéide se consoler auprès de l’Esclave d’or, autre victime du sultan. Ils accomplissent alors un massacre…

Eugenio Scigliano a construit son ballet en «flasback» avec une Zobéide errant parmi les vȇtements ensanglantés des femmes du harem ,comme si elle revivait le drame. Dans cette vision féministe, le rôle de Zobéide ainsi que celui des autres personnages exige des interprètes un tempérament dramatique. Heureusement, les danseurs de la Scala n’en manquent pas : que ce soit Alessandra Vassallo (Zobéide), Beatrice Carbone (l’ombre de Shéhérazade qui est le fil rouge du récit), Nicola del Freo (l’Esclave d’or), Gioacchino Starace (le sultan Shariar) ou Marco Agostino (Rahma).Ils possèdent tous une belle présence et se coulent sans effort dans la gestuelle néo-expressionniste du chorégraphe…

Sonia Schoonejans

Spectacle créé au Teatro alla Scala, via Filodrammatici, 2, 20121 Milan, du 13 avril au 17 mai.

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Apologie 415 d’Efthymis Filippou et Les Batteurs d’Adrien Béal

 

IMG_0696Apologie 415  d’Efthymis Filippou, mise en scène d’Argyro Chioti,


  »Commun», «vivre ensemble» : apparemment, «faire société» n’est pas si simple dans un monde qui semble se déliter. Fatalité ? Non, un petit îlot résiste… Le théâtre n’a pas pour vocation de guérir les souffrances sociales, au moins peut-il nous aider à les comprendre et à les panser.

Chiche ! Le Théâtre de la Bastille relève le défi : et si on travaillait sur le chœur ? C’est l’endroit exact où l’individuel et le collectif s’imbriquent, indispensables l’un à l’autre, «tous pour un, un pour tous». Pour quatre fois encore, six spectacles déclinent la question et le jeu du chœur: comédiens amateurs et professionnels, musiciens, artistes tout simplement, donnant corps, mouvement et voix à l’affaire, le public étant invité à la partager dimanche prochain 21 mai à 19h. Ces spectacles qui ouvraient la semaine, illustrent déjà la diversité du projet.

Apologie 415

En une ronde lente, inspirée de danses populaires grecques, un chœur de cinq femmes chante une mélopée répétitive. À côté, un inquisiteur interroge un homme, puis une femme, avant des les autoriser à entrer ou non, dans le chœur.  La femme y arrivera, au prix de sa voix, qu’elle est contrainte de changer et justement parce qu’elle y est , cette voix va détonner. Un grain de sable dans l’uniformité de la tyrannie…
  
Cette inquisition et ce couac font penser, bien sûr, à la place de la Grèce en Europe. L’auteur, coscénariste entre autres de The Lobster, film grec réalisé par Yórgos Lánthimos (2015) et la metteuse en scène, directrice du Vasistas Theatre Group, font clairement référence à la tragédie antique, tout en inventant une dramaturgie actuelle. Dans sa simplicité géométrique, la scénographie contribue à cette vision : un carré de pots à feu, le cercle du chœur, la ligne de démarcation qui le sépare du lieu du jugement, et c’est tout. Le spectacle, en grec sur-titré, captive son public et ne le lâche plus. Une belle découverte…

 

Les Batteurs d’Adrien Béal,

Deux des six spectacles de Notre chœur cherche ailleurs comment se constitue le chœur: les musiciens, que souvent, l’on ne voit pas, sauf pour quelques moments héroïques, sont cachés par leurs caisse claire, cymbales, grosses caisses et divers tambours placés derrière le chanteur ou le guitariste. Six batteurs sur le plateau nous offrent les diverses figures du «jouer ensemble», ce qui ne leur arrive jamais dans l’exercice habituel de leur instrument. Ça commencera par les invites, les hésitations à se joindre à l’un puis à deux, puis au groupe. Arriveront duels et rivalités et le moment de trêve que donne la pédagogie de la batterie. Chacun expliquant son métier au public et le jeu de l’accord parfait, que l’on peut défaire et refaire à volonté, d’un coup d’œil à son partenaire et où aucun des six ne perd son identité ni son style. Un spectacle surprenant, à la fois théorique et concret, un pas-de-côté réussi pour le metteur en scène dont Le Pas de Bême est encore en tournée.

Ce mini-festival a aussi donné lieu à un colloque Désobéissance aux discordances, avec Sandra Laugier, enseignante à Paris 1-Sorbonne, et Créer un «nous», l’harmonie de Platon à Leibnitz, avec Francis Wolff, professeur émérite de philosophie à l’E.N.S.-Paris.  Il reste quatre spectacles, quatre expériences à découvrir, dans cette poussée de créations printanières.

Christine Friedel

Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème), jusqu’au 21 mai. T. : 01 43  42 14 14.

 

Jessica and me

 

Jessica and me, chorégraphie et interprétation de Cristiana Morganti

La nostalgie est créatrice d’émotion, surtout chez un public majoritairement de la même génération : celle qui a sanctifié Pina Bausch et ses danseurs depuis plus de vingt ans. Cristiana Morganti  a partagé l’aventure du Tanztheater de Wuppertal puis s’en est éloignée mais habite Wuppertal et participe à la reprise de certains spectacles .

Mêlant parole et danse, elle livre son vécu d’artiste face à une interlocutrice imaginaire, Jessica, qui l’interroge avec un magnétophone à cassettes.  Avec  sa cigarette et ses mouvements, cela rappelle  des spectacles du passé, pour notre plus grand plaisir !

Cristiana Morganti évoque ses débuts de jeune danseuse classique à l’Accademia Nazionale di Danza de Rome et ses liens de travail avec la chorégraphe allemande. Elle nous parle aussi de la souffrance du corps qui doit s’adapter au temps qui passe : «Ce qui était facile, est devenu difficile», dit-elle. L’humour  apporte une belle légèreté à cette confession intime et authentique. A mesure que le spectacle évolue, elle change de costume, pour finir  en long tutu qui sert d’écran à une étonnante projection… que nous ne dévoilerons pas ici.
Et juste avant de venir saluer, elle quitte ce cocon protecteur : Cristiana Morganti nous a ainsi fait partager pendant une heure dix, de petits moments d’émotion, où elle traduit la fragilité dont Pina Bausch se nourrissait pour créer de grandes œuvres…

Jean Couturier

Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses Paris XVIIIème. T : 01 42 74 22 77,  jusqu’au 24 mai.

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Biennale Internationale des Arts de la Marionnette

 

Biennale Internationale des Arts de la Marionnette :

 

Le Pavillon des Immortels heureux  de Marcelle Hudon

 Autour de cubes de bois, trônent de curieux petits personnages automates pour un concert. Une ballerine à tête de cochon tape des pieds sur un plancher puis s’immobilise, ses bras en fil de fer autour du corps. Les pulsations produisent une musique percussive et aléatoire. Un autre espace s’éclaire pour un duel à l’épée entre deux guerriers à têtes de feuille et aux membres de bois fin. Puis un petit théâtre d’ombres s’agite au fond de la salle, et, si on tourne la tête, on découvre alors des squelettes aux gestes saccadés comme dans un mauvais rêve. Un personnage étrange aux bras grands ouverts agite sa tête comme une balle de ping-pong, des papillons volent …

Ces sculptures minimalistes créées par Marcelle Hudon et Maxime Rioux à Montréal ont une grande force d’évocation. Dans cet univers plastique très réussi, les gestes de ces automates ont la justesse des mouvements humains. D’un réalisme surprenant, ils sont induits, de manière aléatoire, par des ondes sonores envoyées depuis la régie, provoquant des mouvements sur les marionnettes. Ce qui suppose de minutieux réglages et de longues recherches : ajustement des ressorts, calcul du poids des marionnettes,  mise au point du mouvement, souplesse…

Un seul regret dans ce bel enchantement d’une petite vingtaine de minutes, il ne s’agit pas du concert annoncé, mais plutôt d’une performance sonore.

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 Max Gericke ou pareille au même de Manfred Karge mise en scène de Jean-Louis Heckel

Le directeur de la Nef Manufacture d’utopies à Pantin, s’est attaqué au texte de Manfred Karge, membre du Berliner Ensemble, après Michel Raskine qui l’avait créé pour la première fois en France. Écrit en 1991, la pièce s’inspire d’un fait divers de l’Allemagne des années 30 : Ella Gericke, à la mort de son mari, décide de se faire passer pour lui, notamment à son travail. Elle devient grutier et vit par procuration. Le drame d’Ella Gericke, la question de l’identité, du vrai et du faux, renvoient au cauchemar que traverse l’ Allemagne dans ces années noires. 

Hélène Viaux incarne cette femme détruite, avec un mélange de fragilité, de résilience et une dose de folie. Toujours sur le fil du rasoir, elle s’empare avec brio d’un texte difficile, parfois peu « théâtral”. Dans un coin du plateau, Clarisse Catarino joue à l’accordéon des morceaux des années 30. En fond de scène, des mannequins nus ou habillés, figurent les personnages qui hantent Ella.

La comédienne les fait vivre en s’adressant directement à eux, sans perdre de vue son public. Mais tout cela reste statique et le seul talent d’Hélène Viaux ne suffit pas à animer la scène, organisée de manière très classique avec un lit, une table, des chaises, éclairés au moment où ils sont en jeu. Mais loin d’un travail sur l’objet ou la marionnette  et faute d’une véritable manipulation, ces mannequins manquent de vie. Ce grand texte, difficile, n’a pas trouvé ici les bons ajustements, malgré le travail d’une comédienne engagée et touchante. Mais bon, c’était la première de cette nouvelle création.. Donc à suivre.

Julien Barsan

Spectacles vus le 11 mai à la Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris XIème T. 01 47 00 25 20.
Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris 5e T. 01 84 79 44 44, 
www.lemouffetard.com

 

Des peintres au charbon de Lee Hall

 

Des peintres au charbon de Lee Hall, inspiré de The Pitmen Painters de William Feaver, traduction de Fabrice Melquiot, mise en scène de Marc Delva

fbcad8b3ca2320a7bfae84ad2b8592bc C’est au départ une histoire vraie: en 1934, un groupe de mineurs, appartenant à l’Association pour l’Education  des Ouvriers, se retrouve malgré lui à suivre des cours d’histoire de l’art.

Ils rencontrent un professeur, Robert Lyon de l’Université Duhram de Newcastle-Upon-Tyne, passera ensuite à la pratique avec eux. Ces mineurs vite passionnés, vont alors peindre leur vie quotidienne dans leurs tableaux mais auront aussi une réflexion sur l’art et donc sur la société anglaise de l’époque.  Ce qui inspira à un critique et professeur William Feaver un livre célèbre en Angleterre, Les Mineurs peintres dont le titre en français/jeu de mots:  Des peintres au charbon a quelque chose d’un peu vulgaire. Bon tant pis…

Dans cette pièce qu’avait montée Marion Bierry en 2009, «Les mineurs  dit Marc Delva, se pensent aux  antipodes du monde des arts et se découvrent peu à peu un appétit pictural insatiable. Tiraillés entre leur nouvelle découverte, leur nouvelle soif,  et leur conviction qu’ils appartiennent à un monde  imperméable à l’art, le monde ouvrier. (…)Les questions politiques contemporaines de la pièce, liées au contexte historique des années 30, sont importantes et pour nous, l’occasion de généraliser le propos, pour aller vers la question plus large, plus politique encore, de notre place et de notre rôle dans la société actuelle, par le prisme de l’art. » On veut bien mais le texte de Lee Hall souvent bavard (deux heures!) et assez caricatural, tient parfois  du théâtre de boulevard, avec des effets téléphonés, et où la revendication sociale sous-brechtienne a quelque chose de plaqué et de pas franc du collier qui plombe un peu sa pièce.

Marc Delva a réuni ses copains pour reprendre avec eux leur travail d’école mais cette fois sur un vrai plateau. Le public entre accueilli par un mineur casqué, le visage couvert de charbon…  dans un sas aux murs très noirs simulant l’entrée de la mine, plein de bruits de machine avec des fumigènes !!!!? Puis on est prié de s’asseoir sur les gradins d’un dispositif bi-frontal sur la scène même, et sans autres sièges sans dossier garnis de minces coussins.

On devrait selon Marc Delva se sentir «dans un rapport intime  avec  les  comédiens« et cela devrait aussi permettre une mise en abyme: des cadres vides de tableaux surplombant par moments le premier rang du public, les rendant œuvre d’art à leur tour.» Ce qui rendrait donc selon lui, le spectateur plus actif. Mais dommage, cette scénographie bi-frontale qui n’en a que le nom, ne fonctionne pas vraiment et a quelque chose d’un peu naïf: le rideau de la salle n’est pas fermé et crée un trou noir désagréable.

Sur le plateau, juste un écran, une grande table, quelques chaises tubulaires d’une salle de cours ou d’exposition, ou un tapis rouge vite déroulé pour figurer une galerie branchée et surtout une équipe de jeunes comédiens bien dirigés par Marc Delva. Cela criaille beaucoup trop au début mais ensuite cela va mieux, et ces mineurs, mal costumés (trop bien habillés!) n’ont pas l’âge de leurs personnages, mais-miracle du théâtre-sont vite crédibles, en particulier: Paul-Emile Petre (le professeur Robert Lyon) qui, dans un rôle de composition assez étonnant, s’impose très vite, Hugo Bardin  remarquable en Ben Nicholson, le mineur qui résiste aux sirènes d’un contrat juteux d’une galerie privée dirigée par Helen Sutherland, la directrice de galerie et belle plante (Elodie Galmiche très solide) et Sola Forte (Le P’tit gars).

Le scénario a quelque chose de juste mais en même temps d’assez racoleur et Lee Hall ne craint pas les scènes caricaturales comme entre autres, l’arrivée de la galliériste, les discussion sur l’art entre leur prof et les mineurs, ou les hésitations à quitter la mine de Ben Nicholson pour faire une carrière de peintre donc quitter ses racines, sans être sûr de voler de ses propres ailes. Il y a quelque chose qui sonne un peu faux dans ce discours préci-précha…

Mais malgré cela, Marc Delva réussit à tenir le cap même s’il a parfois des difficultés à concilier le réalisme des situations et le symbolisme qu’il recherche dans sa mise en scène. D’où sans doute parfois un manque de rythme, et des scènes qui traînent en longueur. Mais, bon à 29 ans, il sait bien diriger des comédiens, et c’est l’essentiel ; il y a, à la fin, une belle scène où enfin les véritables et émouvants tableaux peints par ces mineurs défilent (mais  trop vite !), pendant qu’ils chantent la chanson de John Lennon Working class heroes.

Puis, en guise de conclusion un petit avertissement projeté en silence sur l’écran : AUCUNE UNIVERSITÉ NE FUT FONDÉE À ASHINGTON. WOODHORN COLLIERY A ÉTÉ FERMÉ EN 1981. EN 1995, LE LABOUR, LE PARTI TRAVAILLISTE, A SUPPRIMÉ DE LA CONSTITUTION L’APPEL POUR «LE PARTAGE DES MOYENS DE PRODUCTION, LA DISTRIBUTION ET L’ÉCHANGE».

Le public,pas très nombreux, semble apprécier le jeu des acteurs mais être aussi un peu découragé par les longueurs inutiles de la pièce… A vous de voir si cela vaut le déplacement ou pas.

Philippe du Vignal

Théâtre 13, 30 rue du Chevaleret, Paris XIIIème, jusqu’au 28 mai. T: 01 45 88 16 30
Le texte de la pièce est édité à l’Arche.

 

 

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Pourquoi j’ai jeté ma grand-mère dans le Vieux-Port

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Pourquoi j’ai jeté ma grand-mère dans le Vieux-Port, de Serge Valetti, mise en scène d’Etienne Pommeret et Patrice Verdeil

 

Pourquoi? Sauf pour les chercheurs scientifiques, c’est en général une mauvaise question, mais pour le petit-fils de Dolorès, une bonne question. Réponse : parce qu’elle voulait être enterrée debout afin de punir ses jambes qui l’avaient fait souffrir toute sa vie.
 Petit aperçu d’un caractère trempé, d’une vie compliquée;  avec son humour tout puissant, Serge Valetti, en faisant revivre sa grand-mère, évoque une Marseille populaire, pauvre mais digne (comme on disait, et pourquoi ce «mais » ?), où l’ouvrier Mohamed et Tonton Marcel sont une seule et même personne, où le fils (devenu père: il faut suivre!) aurait pu être pape, et, Dieu merci, ne l’a pas été, évitant à son descendant d’être «fils de pape».

Un monde où les galopins galopent, où l’on engueule Dieu, bref, presque une image folklorique. Seulement presque:  dans ce  vécu, tout un chacun peut se retrouver (sauf s’il a été élevé avec une cuiller en argent dans la bouche, et sans accent). Et aussi parce que Serge Valetti a une plume bien à lui, poétique et drôle, originale, foncièrement « populaire ».
Pourquoi j’ai jeté ma grand-mère, un spectacle que Patrice Verdeil a déjà beaucoup joué ce spectacle qu’il reprend à l’Epée de bois : signe de son attachement à ce texte, une mine qui réserve encore des trouvailles, à lui comme au public .

Etienne Pommeret dirige son  acteur  avec délicatesse comme toujours, et avec discrétion.  Mais la scénographie reste inaboutie : un peu de théâtre d’ombres, un peu d’images… Ce récit joué  reste «entre deux chaises », au sens littéral du terme:  il aurait sans doute fallu plus de moyens pour jouer vraiment avec les ombres de ce petit théâtre familial. Mais bon, tel quel, le spectacle nous ramène, mine de rien, tendrement, à l’essentiel des choses de la vie.

Christine Friedel

Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 21 mai. T. 01 48 08 39 74

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Iliade, d’après Homère

 

Iliade, d’après Homère, adaptation d’Alessandro Baricco, mise en scène de Luca Giacomoni

 

©Charlotte Gonzales

©Charlotte Gonzalez

Pour nous, héritiers bancals de la Grèce antique, la guerre de Troie est l’emblème même de la guerre, et L’Iliade, la « mère » des récits. Moins sans doute pour les très jeunes : ce serait plutôt La Guerre de Étoiles! Il suffit de voir comme le rayon littérature antique est réduit, par exemple, à la FNAC. Mais, avec tout son génie, Homère, prêt à se réveiller à toute occasion, a choisi, avec L’Iliade, le moment dramatique où tous en ont assez de la guerre, Achéens et Troyens, femmes et guerriers, et où il faut qu’elle en vienne à sa fin. De la colère d’Achille, qui l’éloigne du combat et qui  met les  Grecs en difficulté, puis à son retour, et à la mort d’Hector, l’adaptation d’Alessandro Barrico suit, en dix épisodes, l’essentiel de cette épopée.

Luca Giacomoni installe le cercle du récit : chacun a sa chaise, et se donne un nom, ou plusieurs. L’unique comédienne, au milieu de dix-sept hommes-la Guerre n’a pas un visage de femme, dirait Svetlana Alexievitch-joue à la fois Hélène et Hécube, la beauté, coupable malgré elle d’avoir déclenché cette cascade de malheurs, mais aussi la victime pure, l’ éternelle mater dolorosa. Comment représenter la guerre, autrement que par la peinture d’histoire ou la superproduction hollywoodienne ? Là où elle naît, au plus profond des passions humaines, dans la langue de ces fureurs, et déjà, dans la première bagarre violente au coin de la rue…

 Le metteur en scène a travaillé avec des détenus, en collaboration avec le centre pénitentiaire de Meaux, et le service pénitentiaire d’insertion et de probation de Seine-et-Marne. Massimo Giacomoni a construit avec eux et un groupe de comédiens, une version radicale du récit d’Homère, ancrée sur l’adaptation d’Alessandro Barrico qui a fait une splendide synthèse du poème  épique. Sans artifice, parfois avec maladresse, ces hommes et cette femme disent cette guerre-là, soutenus par le chant lointain de Sara Hamidi.

Le résultat : un vrai et beau spectacle populaire, accessible à tous, sans concessions, direct, clair, avec ce qu’il faut d’émotion. Tout un public a suivi avec passion cette “série » …On comprend, même en n’ayant vu qu’un épisode, la défaite des Grecs et ce combat singulier-inutile car sans vainqueur ni vaincu!-entre Hector et Ajax. Même si l’on connaît la fin-et encore-les enjeux sont là, comme les passions et la douleur, toujours vifs.

Entre les récits de la déroute des Grecs et la poignée de main des deux adversaires, la scène des adieux d’Andromaque à Hector apporte un moment de tendresse : le héros ôte son casque pour ne pas faire peur à son petit garçon, l’acteur et l’actrice se tenant juste au point de rencontre entre le jeu et le récit.

La force de ce théâtre travaillé avec des amateurs?  Il s’interdit tout superflu : pas d’effets, il faut se concentrer sur l’essentiel, dire cette histoire, de toute sa respiration, de tout son corps. Cet engagement et cette tenue font la beauté du spectacle, force et fragilité réunies. On peut voir plusieurs Iliade en ce moment (voir Le Théâtre du Blog) : on leur souhaite d’être aussi intenses.  Ce spectacle ne se joue plus ; il valait pourtant la peine d’en parler ; on peut attendre beaucoup de ce qu’on appelle : action culturelle en milieu carcéral, quand elle va, comme ici, au cœur de l’art du théâtre.

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre Paris-Villette, 211 Avenue Jean Jaurès, Paris XIXème. T : 01 40 03 72 23.

 

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