Cendrillon, une création théâtrale de Joël Pommerat
Cendrillon de Joël Pommerat, d’après le mythe de Cendrillon, mise en scène de Joël Pommerat (pour tous à partir de dix ans)
La cendrillon, une jeune fille qui assure les travaux pénibles d’une maison, désigne un terme populaire par synecdoque, avec le nom de l’héroïne de Charles Perrault qui reste près de l’âtre à faire la cuisine.
Pour représenter cet esclavage de tous les temps, Joël Pommerat a ôté tout le clinquant de ce conte trop conventionnel à ses yeux… Le personnage est ici celui d’une souillon mais qui s’est choisie comme telle : négligée, solitaire et abandonnée de tous. Depuis la mort de sa mère, son père s’est trouvé une autre compagne. Et quelle compagne! Une caricature de belle-mère, mauvaise et égoïste. Catherine Mestoussis s’amuse à jouer ce monstre de méchanceté au féminin, auprès d’un père veule (Alfredo Canavate) qui a malgré tout, quelques timides signes d’affection…
Et les filles ont aussi le manque d’élégance et la grossièreté de leur mère. Le mal vient d’ailleurs: quand sa mère disparait, Cendrillon est encore une enfant : une situation douloureuse et injuste pour une enfant à l’éveil de sa vie. Vivante, elle se rendait coupable de traverser le temps, alors que sa mère était déjà rattrapée par la mort. cette très jeune fille se décide alors à porter une croix qu’elle pense mériter, s’oblige à penser à la disparue pour qu’elle revive et une sonnerie de sa montre lui rappelle à chaque heure d’avoir à se souvenir de cette femme tant aimée. Mais l’enfant a mal interprété son désir quand elle lui demandait sur son lit de mort, de penser à elle avec affection, mais seulement quand elle en ressentirait le besoin. Erreur d’interprétation ou quiproquo, cela a condamné la petite fille à l’expérience de l’enfer et à subir l’apprentissage du mal que dispense une autre femme, dépourvue d’humanité et de générosité.
La scénographie et les lumières efficaces d’Eric Soyer opèrent leur magie et un dépaysement emporte public jeune et moins jeune dans l’imaginaire enfantin. La matière vaporeuse du songe est presque palpable, quand les images vidéo de Renaud Rubiano, projetées sur les trois murs de la boîte noire scénique montrent des nuages passant dans un firmament bleu. Et un narrateur traduit l’histoire en langage des signes. Il y a aussi une narratrice à l’accent italien et de beaux comédiens engagés dans une rigoureuse aventure scénique: tout est là pour que s’accomplisse un radieux mystère théâtral.
Alors même que les personnages du conte, à part Cendrillon et sa fée, incarnent la noirceur des êtres dans toute leur insignifiance et leur étroitesse d’esprit. Le nom même de Cendrillon révèle la vanité chez cette belle-mère acariâtre, ses belles-sœurs envieuses et son père assez lâche, quand ils pensent mais en vain, modeler le monde à leur guise… Et, comme le disait Jacques-Bénigne Bossuet, dans son Oraison funèbre de Henri de Gornay : «(Les hommes) vont tous se confondre dans ce gouffre infini du néant, où l’on ne trouve plus ni rois ni princes ni capitaines, ni tous ces augustes noms qui nous séparaient les uns des autres, mais la corruption et les vers, les cendres et la pourriture qui nous égaient. »
Et l’on rit à l’arrivée nocturne au bal princier, du trio infernal: la belle-mère et ses méchantes filles, courtisanes de pacotille, ridicules sous un accoutrement anachronique… Heureusement, Cendrillon, interprétée avec fougue par Deborah Rouach, son prince (Caroline Donnelly) et la fée (Noémie Carcaud) font toujours renaître ici la beauté et l’humanité. Un conte revisité ici avec acuité, hors de tout conformisme.
Véronique Hotte
Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 Boulevard Saint-Martin, Paris (X ème) jusqu’au 6 août. T. : 01 42 08 00 32