La Colline Théâtre National 2017-2018
La Colline Théâtre National 2017-2018
Il n’y a plus de saisons ? Eh bien, si, revendique Wajdi Mouawad. Dorénavant, il y en aura quatre par an, et, à l’exception du mois d’août 2018 pour cause de travaux (aïe, première entorse), le théâtre continuera à vivre même l’été. Foin de la domination de l’année scolaire. Qui dit saisons, dit extérieur, verdure: Gilles Clément serait chargé de végétaliser le bâtiment, et fêtes dans le quartier : il y en aura une à chaque solstice et à chaque équinoxe.
Les saisons retrouvent leurs symboles, mais renouvelés : l’automne pour la germination des graines semées par les auteurs, l’hiver pour la joie des enfants, le printemps de la jeunesse, évidemment. Et le Père Lachaise voisin ne sera pas oublié : il y aura aussi une fête pour ceux qui n’ont plus d’autre nom que « regrets éternels », l’été, à la « morte saison », celle où Perséphone redescend aux enfers.
L’automne fera donc fête aux auteurs, de plateau et de papier : pour 2017, Valère Novarina, Jan Lauwers, Annick Lefèbvre, du Québec (les dieux facétieux du théâtre vivant, le soir de la présentation du programme, ont fait bafouiller et hoqueter Skype, la haute technologie a échoué, c’est un signe). Il y aura eu trois soirs dans les yeux de David Grossman et la « partition gestuelle et documentaire » réalisée par Mohamed El Khatib avec les supporters du RC Lens (foot, pour ceux qui l’ignoreraient) : le meilleur public du monde, dit-il.
Et puis le maître de maison, « heureux personnellement, malheureux collectivement », comme beaucoup d’entre nous : Le Chant de l’oiseau amphibie, né d’une « rencontre avec l’idée absolue de l’Autre ». « Ecrire la douleur de l’ennemi », son ultime ligne rouge.
Logiquement, vient l’hiver, et ainsi de suite, avec une grande fête pour les trente ans de la Colline, en janvier prochain, et du théâtre pour les enfants : c’est Noël ! Grandes pointures pour continuer la fête : Robert Lepage, la Schaubühne, Elfriede Jelineck et une belle bande d’autrices, Christine Angot, Alexandra Badea, Claudine Galea… D’un automne à l’autre, la fête continue, avec un printemps dédié à la jeunesse et emmené par Wajdi Mouawad avec ses Victoires.
On arrête là : il suffit de se mettre en appétit et de lire le programme dans L’ Almanach 2017-2018 distribué au public, bel objet mais peu commode. Il faudra le feuilleter par amour mais consulter internet pour les informations. Grand format, beau papier, photos de Sarah Moon (artiste associée à la Colline), conception graphique de Pierre di Sciullo, il est en lui-même une manifestation du respect de l’art et du public. Un luxe, mais pas le marché du luxe ; et si un théâtre national ne nous l’offre pas, qui le fera ?
Tel quel, le programme de la Colline n’est pas très différent de ce qu’il était « avant » : digne d’un théâtre national. Mais Wajdi Mouawad lui donne son style fraternel et tourmenté par ce qui se cache, par la langue de “l’autre“, par ceux qui n’entreront pas ici, ou qui finiront bien par y entrer.
Il croit au « théâtre élitaire pour tous » selon la célèbre formule d’Antoine Vitez, et à la carte Colline, plus souple qu’un abonnement. Il n’a pas peur de prendre l’utopie pour ce qu’elle vaut : un outil nécessaire mais à jeter et à remplacer s’il ne fonctionne pas, un ventilateur de l’imagination.
L’artiste directeur fera lui-même trois créations dans l’année, et prend la Colline au mot : de là-haut, on doit voir loin. Un pari, le défi du temps long à une époque dominée par le court terme. Les poètes ont toujours raison ? Le sceptique dirait : «Faut voir », l’optimiste : «On y va». Et avec un auteur qui a su rendre le lyrisme populaire, on a envie d’y aller…
Christine Friedel
Théâtre National de la Colline, 1 rue Malte-Brun Paris XXème. T. 01 44 62 52 52