La Vie mode d’emploi de Georges Perec
La Vie mode d’emploi de Georges Perec, lecture-performance imaginée par Marc Roger
Une bibliothèque à l’emplacement de la prison Saint-Lazare, où furent enfermés le poète André Chénier et le marquis de Sade, puis Louise Michel et l’espionne Mata Hari! Nous avons découvert cet étonnant bâtiment, bien caché dans la verdure, à l’orée d’une enfilade de trois jardins, grâce à cette lecture dédiée à Georges Perec (1936-1982).
La médiathèque Françoise Sagan, dans le dixième arrondissement, l’une des plus grandes de Paris : 4.300 mètres carrés, avec un jardin intérieur inspiré de cloîtres méditerranéens, a ouvert ses portes au public, à l’occasion de la publication de l’œuvre de Georges Perec dans La Pléiade.
Quatre vingt dix-neuf lecteurs bénévoles, pour dire, rassemblés dans la cour Perecophiles, les quatre-vingt-dix neuf chapitres de La Vie mode d’emploi, sont venus de toute la France, voire d’autres contrées. Ils se livrent à un périlleux exercice en quatre-vingt dix minutes, dirigé par un chef de chœur qui donne le départ toutes les soixante secondes! Chacun entonne son chapitre à mi-voix pour le public le plus proche, et d’autres, à la voix sonorisée, font entendre des passages-clés du roman.
On saisit parfois difficilement tous les mots de cette impressionnante chorale, répartie sur un espace quadrillé de douze mètres sur douze, reproduisant le plan en coupe verticale du 11 de la rue Simon Crubellier où l’écrivain situe son fameux roman. On retrouve ou on découvre, avec délectation, dans les parties sonorisées du texte, des habitants de l’immeuble, «longue cohorte de personnages, avec leur histoire, leur passé, leurs légendes», dont les destins s’entrecroisent, à l’image de la création de l’ébéniste Grifalconi, «fantastique arborescence», «réseau impalpable de galeries pulvérulentes».
On suit l’aquarelliste aux cinq-cents marines, Percival Bartlebooth, figure centrale dont le projet artistique et la vie s’achèvent en même temps que le roman à vingt heures, le 23 juin 1975. Gaspard Winkler lui, découpe les œuvres de son voisin en puzzles, et le peintre Serge Valène rêve de faire tenir toute la maison dans sa toile» à l’instar du romancier. On croise dans l’escalier Madame Moreau, la doyenne de l’immeuble, et bien d’autres personnages hauts en couleur, comme cet acrobate qui ne descendra de son trapèze que pour mourir. Et l’on a envie, après cette performance, de poursuivre pour soi-même cette lecture, pour la richesse et l’inventivité de celui qui voulut «écrire des livres qui se dévorent à plat ventre sur son lit» et qui y réussit, avant de nous quitter prématurément.
Ce sont aussi des livres qui, par leur caractère ludique et leur évidente oralité, peuvent brûler les planches. L’humanité profonde qui les sous-tend, au delà de terribles contraintes, en font des matériaux précieux pour les comédiens. L’auteur ne se tient-il pas en embuscade derrière ses règles formelles, comme il l’écrit à propos du peintre de son roman : “Il serait lui-même dans le tableau, à la manière des peintres de la Renaissance qui se réservaient toujours une place minuscule […], comme si cela avait été fait comme ça, en passant, un peu par hasard… À peine le peintre mort, cela deviendrait une anecdote qui se transmettrait de génération en génération […] jusqu’à ce que, un jour, on en redécouvre la preuve, grâce à des recoupements de fortune […], et peut-être alors, se rendrait-on compte de ce qu’il y avait toujours eu de particulier dans ce petit personnage […] quelque chose qui ressemblerait à de la compréhension, à une certaine douceur, à une joie peut-être teintée de nostalgie.»
En effet, s’il a peu écrit pour la scène, à part L’Augmentation, chez lui, tout ou presque, peut faire théâtre, depuis la mémorable adaptation de Je me souviens par Samy Frey au festival d’Avignon 1989, jusqu’à, récemment, Espaece par Aurélien Bory, spectacle qui doit son titre aux mots superposés : espèce et espace, contenus dans Espèces d’espaces (voir Le Théâtre du Blog). Et l’œuvre de Georges Perec récemment publiée dans La Pléiade, suscitera à n’en pas douter de nouvelles adaptations scéniques.
En marge de cet événement, PERECOFIL, une association de «brodeuses littéraires» se propose de traduire les textes à contraintes de Georges Perec en travaux d’aiguille. « Nous avons établi un premier code couleur, celui des voyelles issu du sonnet Rimbaud, et celui des consonnes, issu d’un choix aléatoire (…) Chaque texte est mis dans une grille et chaque lettre représentée par un carré brodé au point de croix. »
Ces broderies, exposées à la Médiathèque, révèlent les contraintes, en codant le texte qui sur les toiles, devient formes, lignes et couleurs. Ainsi se tissent les structures secrètes, inépuisables, qui se cachent dans les textes…
Mireille Davidovici
La lecture a eu lieu le 10 juin à la Médiathèque Françoise Sagan, 8 rue Léon Schwartzenberg, Paris Xème.
mediatheque.francoise-sagan@paris.fr T. : 01 53 24 69 70
Perec au fil, exposition à la Médiathèque Françoise Sagan, jusqu’au 12 août.
L’œuvre de Georges Perec est éditée en deux tomes dans la collection La Pléiade, aux éditions Gallimard