Journées de juin du Cons
Journées de juin des élèves de deuxième année du Conservatoire national supérieur d’art dramatique:
Characters d’après Tennessee Williams, Eugene O’Neill, Arthur Miller, atelier de Sandy Ouvrier
Dans le beau théâtre du Cons, a lieu une revisitation de scènes-culte des pièces des plus célèbres dramaturges américains (sous un titre anglais selon la manie actuelle mais bon !) qui sont entrées chez nous dans la légende, le plus souvent par le bais d’adaptations au cinéma. Il y a ici dans cette première partie d’une heure quarante avec des scènes de Paradis sur terre, Un tramway nommé désir, La Rose tatouée, La Chatte sur un toit brûlant, La Ménagerie de verre de Tennessee Williams mais aussi une scène de Désir sous les ormes et une autre d’Anne Cristie d’Eugène O’Neill et enfin une de Vue du Pont d’Arthur Miller. Mais faute de temps, nous n’avons pu voir la seconde partie consacrée surtout au Tramway nommé désir.
Sur le plateau nu, quelques praticables de hauteur différente, une baignoire et des meubles années cinquante comme un gros (et moche à souhait) canapé en skaï noir, des chaises de cuisine en stratifié jaune et bleu et à pieds en inox, comme les aiment Macha Makeieff et Jérôme Deschamps. Et cela donne quoi ? Plutôt de bonnes choses malgré une tendance à patiner un peu vers la fin, ce qui est inévitable après plus d’une heure et demi. La seconde partie après entracte durait encore une heure vingt, ce qui est trop long. Mieux vaut juger ces scènes comme un travail d’atelier et non comme un spectacle, d’autant que Sandy Ouvrier a été obligée de sacrifier au sacro-saint passage de relais entre les élèves sur un même personnage pour leur donner à tous du grain à moudre ! Mais on les voit mieux que leurs copains dans Phèdres. Grâce sans doute à une plus grande proximité avec les personnages conçus par Tennessee Williams, il y a quand même déjà plus de soixante-dix ans, c’est à dire du temps de leurs arrières-grands-parents. Grâce aussi à une direction d’acteurs très précise (mais la diction n’était pas toujours au top, ce qui relève quand même du minimum syndical) et à une mise en place où il y a comme toujours chez Sandy Ouvrier de fabuleuses images scéniques avec de belles lumières…
Ici, pas de pronostics non plus sur ces futurs comédiens mais nous avons trouvé particulièrement justes et émouvantes les scènes de La Chatte sur un toit brûlant avec Palma Jurado Mc Alester et Louis Nelson, comme celle de La Ménagerie de verre avec Louis Orry Diqueiro et José Ndofusu Mbemba. Et, cerise sur le gâteau, il y avait une réelle unité de jeu, malgré le côté artificiel de ces présentations (il faudrait que Claire Lasne, la directrice s’attaque à ce problème) et on entend bien ces jeunes gens. Ce qui n’est pas si fréquent sur les scènes actuelles, même truffées de micros. Les élèves du Cons ont bien de la chance d’avoir une telle qualité d’enseignement qui, c’est un fait, a beaucoup progressé ces dernières années.
Nos Phèdres, Phèdre de Sénèque et Hippolyte de Robert Garnier, travail dirigé par Nada Strancar, collaboration artistique d’Anne Sée
On fait d’abord les présentations : Sénèque, ( Ier siècle avant J.C.) conseiller de Caligula puis de Néron avant d’être écarté de ses fonctions et obligé de se suicider a été aussi philosophe stoïcien. Auteur de De la colère, De la vie heureuse ou De la brièveté de la vie, Lettres à Lucilius, il a aussi écrit neuf tragédies dont les Troyennes, Médée, Œdipe et Phèdre qui seront à la base de nombreuses pièces de notre XVIIème siècle. Racine lui, cite juste le nom de Sénèque et reconnait surtout comme inspiration de sa Phèdre, celle d’Euripide (428 avant J.C.) dont l’Iphigénie à Aulis lui procura aussi la trame de son Iphigénie. Quant à Robert Garnier (1545-1590), il fit revivre la tragédie antique en France avec cet Hippolyte mais aussi avec une Antigone, inspirée de la tragédie de Sophocle. Sandy Ouvrier avait déjà il y a huit ans fait travailler ses élèves (voir Le Théâtre du Blog) plusieurs scènes d’Hercule, Phèdre et Médée de Sénèque. Sénèque reste vingt siècles plus tard, un excellent dialoguiste avec des répliques étonnantes: «Il y a des criminels impunis, il n’y a pas de criminels paisibles.» Je suis une main qui rame sur une barque trop lourde.» Je suis trop vieille pour me faire complice d’un suicide» ou « Le pouvoir fait rêver l’impossible ». Cela dit que fait-on de ce texte sur un plateau avec dix-sept apprentis-comédiens. Nada Stancar a essayé dans ces scènes de donner du gain à moudre à tout le monde. Ce qui, dans ce cas, est presque toujours mission impossible, à moins d’y passer la nuit. Mais pourquoi voit-on aussi peu certains qui semblent presque oubliés dans la distribution?
On oubliera la mise en scène (non revendiquée et cela vaut mieux!) qui fait la part belle aux stéréotypes du genre :portants en fond de scène, inversion des sexes des personnages, jeu face public en groupe statique, lumières rasantes, etc. Pourtant l’entrée par les deux lourdes portes en chêne de cette bande de jeunes gens, tous en robes et pantalons noirs (beaux costumes de Marie-Pierre Monnier, impressionnante de beauté laissait augurer le meilleur. Les élèves font tous leur travail-bonne diction et gestuelle impeccable (chose relativement récente dans cette vieille maison!) soigneusement encadrés par Nada Strancar. Et sans les béquilles de service du genre retransmission en gros plans vidéo, et micros HF (ils auraient même tendance à criailler sans raison). Nous nous refuserons au petit jeu illusoire des pronostics, mais deux jeunes acteurs ont ici une belle présence: Camille Constantin en Nourrice qui signe aussi une composition musicale qu’elle joue au violon, et Douglas Grauwels qui campe un Thésée d’une incontestable vérité. Comme le montre cet atelier, ces jeunes gens sont déjà des professionnels aguerris qui savent prendre possession d’un plateau que ce soit un monologue, une scène à plusieurs ou un chœur. Mais pourrait-on demander à Nada Strancar de leur interdire de faire cette espèce de salut grotesque, du genre fasciste, très à la mode depuis quelques années, pour remercier leur professeur et les régisseurs!
Philippe du Vignal
Travaux présentés salle Louis Jouvet et au Théâtre du C.N.S.A.D. , 2 rue du Conservatoire Paris IXème, les 15, 16 et 17 juin.