Journées de juin du Cons

 

Journées de juin des élèves de deuxième année du Conservatoire national supérieur d’art dramatique:

Characters d’après Tennessee Williams, Eugene O’Neill, Arthur Miller, atelier de Sandy Ouvrier

 

¢Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Dans le beau théâtre du Cons, a lieu une revisitation de scènes-culte des pièces des plus célèbres dramaturges américains (sous un titre anglais selon la manie actuelle mais bon !) qui sont entrées chez nous dans la légende, le plus souvent par le bais d’adaptations au cinéma. Il y a ici dans cette première partie d’une heure quarante avec des scènes de Paradis sur terre, Un tramway nommé désir, La Rose tatouée, La Chatte sur un toit brûlant, La Ménagerie de verre de Tennessee Williams mais aussi une scène de Désir sous les ormes et une autre d’Anne Cristie d’Eugène O’Neill et enfin une de Vue du Pont d’Arthur Miller. Mais faute de temps, nous n’avons pu voir la seconde partie consacrée surtout au Tramway nommé désir.

Sur le plateau nu, quelques praticables de hauteur différente, une baignoire et des meubles années cinquante comme un gros (et moche à souhait) canapé en skaï noir, des chaises de cuisine en stratifié jaune et bleu et à pieds en inox, comme les aiment Macha Makeieff et Jérôme Deschamps. Et cela donne quoi ? Plutôt de bonnes choses malgré une tendance à patiner un peu  vers la fin, ce qui est inévitable après plus d’une heure et demi. La seconde partie après entracte durait encore une heure vingt, ce qui est trop long. Mieux vaut juger ces scènes comme un travail d’atelier et non comme un spectacle, d’autant que Sandy Ouvrier a été obligée de sacrifier au sacro-saint passage de relais entre les élèves sur un même personnage pour leur donner à tous du grain à moudre ! Mais on les voit mieux que leurs copains dans Phèdres. Grâce sans doute à une plus grande proximité avec les personnages conçus par Tennessee Williams, il y a quand même déjà plus de soixante-dix ans, c’est à dire du temps de leurs arrières-grands-parents. Grâce aussi à une direction d’acteurs très précise (mais la diction n’était pas toujours au top, ce qui relève quand même du minimum syndical) et à une mise en place où il y a comme toujours chez Sandy Ouvrier de fabuleuses images scéniques avec de belles lumières…

Ici, pas de pronostics non plus sur ces futurs comédiens mais nous avons trouvé particulièrement justes et émouvantes les scènes de La Chatte sur un toit brûlant avec Palma Jurado Mc Alester et Louis Nelson, comme celle de La Ménagerie de verre avec Louis Orry Diqueiro et José Ndofusu Mbemba. Et, cerise sur le gâteau, il y avait une réelle unité de jeu, malgré le côté artificiel de ces présentations (il faudrait que Claire Lasne, la directrice s’attaque à ce problème) et on entend bien ces jeunes gens. Ce qui n’est pas si fréquent sur les scènes actuelles, même truffées de micros. Les élèves du Cons ont bien de la chance d’avoir une telle qualité d’enseignement qui, c’est un fait, a beaucoup progressé ces dernières années.

Nos Phèdres, Phèdre de Sénèque et Hippolyte de Robert Garnier, travail dirigé par Nada Strancar, collaboration artistique d’Anne Sée

 

©Christophe Raynaud de Lage

©Christophe Raynaud de Lage

On fait d’abord les présentations : Sénèque, ( Ier siècle avant  J.C.) conseiller  de Caligula puis de Néron avant d’être écarté de ses fonctions et obligé de se suicider a été aussi philosophe stoïcien.  Auteur de De la colère, De la vie heureuse ou De la brièveté de la vie, Lettres à Lucilius,  il a aussi écrit neuf  tragédies  dont les Troyennes, Médée, Œdipe et Phèdre qui seront à la base de nombreuses pièces  de notre  XVIIème siècle. Racine lui, cite juste le nom de Sénèque et reconnait surtout comme inspiration de sa Phèdre, celle d’Euripide (428 avant J.C.) dont l’Iphigénie à Aulis lui procura aussi la trame de son Iphigénie. Quant à Robert Garnier (1545-1590), il fit revivre la tragédie antique en France avec cet Hippolyte mais aussi avec une Antigone, inspirée de la tragédie de Sophocle. Sandy Ouvrier avait déjà il y a huit ans  fait travailler ses élèves (voir Le Théâtre du Blog) plusieurs scènes d’Hercule, Phèdre et Médée de Sénèque. Sénèque reste vingt siècles plus tard, un excellent dialoguiste avec des répliques étonnantes: «Il y a des criminels impunis, il n’y a pas de criminels paisibles.» Je suis une main qui rame sur une barque trop lourde.» Je suis trop vieille pour me faire complice d’un suicide» ou  « Le pouvoir fait rêver l’impossible ». Cela dit que fait-on de ce texte sur un plateau avec dix-sept apprentis-comédiens. Nada Stancar a essayé dans ces scènes de donner du gain à moudre à tout le monde. Ce qui, dans ce cas, est presque toujours  mission impossible, à moins d’y passer la nuit. Mais pourquoi voit-on aussi peu certains  qui semblent presque oubliés dans la distribution?

On oubliera la mise en scène (non  revendiquée et cela vaut mieux!)  qui fait la part belle aux stéréotypes du genre :portants en fond de scène, inversion des sexes des personnages, jeu face public en groupe statique, lumières rasantes, etc.  Pourtant l’entrée par les deux lourdes portes en chêne de cette bande de jeunes gens, tous en  robes et pantalons noirs (beaux costumes de Marie-Pierre Monnier, impressionnante de beauté laissait augurer le meilleur. Les élèves font tous leur travail-bonne diction et gestuelle impeccable (chose relativement récente dans cette vieille maison!) soigneusement encadrés par Nada Strancar. Et sans les béquilles de service du genre retransmission en gros plans vidéo, et micros HF (ils auraient même tendance à criailler sans raison). Nous nous refuserons au petit jeu illusoire des pronostics, mais deux jeunes acteurs ont ici une belle présence: Camille Constantin en Nourrice qui signe aussi une composition musicale qu’elle joue au violon, et Douglas Grauwels qui campe un Thésée d’une incontestable vérité. Comme le montre cet atelier, ces jeunes gens sont déjà des professionnels aguerris qui savent prendre possession d’un plateau que ce soit un monologue, une scène à plusieurs ou un chœur. Mais pourrait-on demander à Nada Strancar de leur interdire de faire cette espèce de salut grotesque, du genre fasciste, très à la mode depuis quelques années, pour remercier leur professeur et les régisseurs!

Philippe du Vignal 

Travaux présentés salle Louis Jouvet et au Théâtre du C.N.S.A.D. , 2 rue du Conservatoire Paris IXème, les 15, 16 et 17 juin. 


Archive pour 19 juin, 2017

Night in White Satie-L’Adami fête Satie

 

¢Giovanni Cittadini Cesi

¢Giovanni Cittadini Cesi

Night in White Satie-L’Adami fête Satie, textes et musiques d’Erik Satie, conception, textes additionnels et mise en scène de Pierre Notte

 Après une tournée en Angleterre, Maurice Ravel donne, le 16 janvier 1911, un récital à la Société musicale indépendante, en compagnie de son ami Vines. Erik Satie est à l’honneur  de cette soirée  consacrée à ses œuvres comme Les Gymnopédies, Les Gnossiennes. Mais on va y découvrir aussi ses mystérieux Morceaux en forme de poire, dont le titre fantasque ouvre sur un univers étrange et envoûtant.

 Maurice Ravel et Vines interprètent ce morceau à quatre mains, sans même savoir si le principal intéressé, Erik Satie, se trouve dans la salle. Les relations entre les deux avaient été en effet, disons plutôt fluctuantes, mais Maurice Ravel a favorisé la diffusion de la musique du second qui a, via l’invention subversive de ses Gymnopédies, inspiré son célèbre Boléro…

Le marginal d’Arcueil dans sa solitude, avec ses collections de parapluies et de pipes, est un compositeur atypique dont la personnalité intrigue. Les Gymnopédies, pièces éthérées, que l’on associe parfois à l’Ambient Music for Airports (1978) de Brian Eno, qui s’est inspiré des compositeurs minimalistes américains  pour écrire une musique fondée sur un concept de nappes mélodieuses, ou de voix sur un fond sonore calme. Les Gymnopédies ne relèvent pas de la musique dite d’ameublement, a dit Erik Satie, mais seront, du moins, repérées comme telles, quand les interprètera John Cage, à la fin du XXème siècle,.

Petites histoires de la musique, avec rivalités, ralliements ou rejets: Erik Satie se montrera perfide quand Maurice Ravel ne voudra pas recevoir la Légion d’honneur: «Il la refuse mais toute sa musique l’accepte. « Vladimir Jankélévitch dit de cette froideur qu’elle ne refuse qu’un romantisme latent.

On connaît par ailleurs les affinités naturelles d’Erik Satie avec Dada et Francis Picabia;  son sens du gag s’associe à l’art du collage des surréalistes : superposition de matériaux, formes, couleurs, et sujets incompatibles, jusqu’à suggérer une quotidienneté absurde mais au moins aussi juste que celle à laquelle nous sommes habitués… Comme dans un rêve, écrivait Hélène Politis  en 1978 dans Ecrit pour Vladimir Jankélévitch.

 Précédant le mouvement Dada de plusieurs années, le compositeur illustre la mise en cause du langage, dans un désir vain de communication, avec une langue cocasse faite de ruptures de ton, coq-à-l’âne et confusions. Le compositeur et philosophe d’Arcueil considère les échanges verbaux sur un mode comique, nous incite à ne pas nous prendre trop au sérieux, et surtout à «ne pas prendre un air désagréable.»

 Pierre Notte a réalisé un spectacle malicieux et très  frais, avec des musiques d’Erik Satie, des paroles et chansons de Jean Cocteau, Francis Picabia, Claude Debussy, Igor Stravinsky, Vladimir Jankélévitch et Léon-Paul Fargue… Le metteur en scène s’est inspiré de la biographie d’Erik Satie de Romaric Gergorin   pour évoquer  les cabarets et le Tout-Paris des années 1920, le dadaïsme et  les personnages en vogue de son avant-garde artistique.

 L’humour grinçant et la mélancolie vacharde  du compositeur respirent ici naturellement, dans une boîte noire avec juste un piano à jardin dont  la souriante Donia Berriri joue à merveille, un paravent sombre au fond, un coin cuisine où l’on mange des mets, plats, viandes, fruits et légumes uniquement blancs… Mais cette boîte scénique obscure fait briller les couleurs illuminées du cabaret, des amusements nocturnes et des facéties de la vie qui tourbillonne.

Anita Robillard et Nelson-Rafael Madell échangent un verbe cocasse avec humour et interprètent des chansons drôles, avec parfois des sautillements chorégraphiés. La belle artiste qu’est la chanteuse Nicole Croisllle accompagne avec joie les acteurs. Kevin Mischel, lui, danse la mesure existentielle d’Erik Satie, avec un corps vu de dos d’abord, se pliant et se contorsionnant, jouant les moments douloureux et les questionnements intimes, se repliant et s’éloignant, gisant  immobile, avant de se relever et de se mouvoir avec grâce.

Pour les cent-cinquante ans de la naissance d’Erik Satie mort en 1925, l’Adami-Société des artistes interprètes, a eu l’heureuse idée de demander à Pierre Notte et au Théâtre du Rond-Point, un spectacle qui révèlerait les multiples facettes de l’interprète et compositeur. Mission accomplie, dans un superbe esprit festif…

 Véronique Hotte

Spectacle vu en avant première au Théâtre du Rond-Point, avenue Franklin Roosevelt Paris VIIIème en avant-première, le 12 juin.

Théâtre du Balcon, rue Guillaume Puy, 38 Rue Guillaume Puy, 84000 Avignon. T : 04 90 85 00 80, du 7 au 30 juillet à 22h15, relâche les 11, 18 et 25 juillet.

 

 

 

 

Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

¢Marc Domage

¢Marc Domage

Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

 Héritières du concours de danse de Bagnolet, ces Rencontres, dirigées depuis 2002 par Anita Mathieu, sont nomades et se déroulent en 2017 dans douze théâtres partenaires, couvrant ainsi un vaste territoire et un large public. Les Rencontres poursuivent leur croissance cette année avec vingt-neuf chorégraphes, dont des artistes confirmés, et d’autres peu connus du public. La soirée de clôture, au Nouveau Théâtre de Montreuil, nous a donné un aperçu de la diversité des invités.

Combat de carnaval et Carême, d’après Peter Brueghel l’Ancien, chorégraphie d’Olivia Grandville

Après avoir dansé pour Maguy Marin, Bob Wilson et rejoint la compagnie Dominique Bagouet, Olivia Granville crée maintenant ses spectacles dont Le Cabaret discrépant il y a quelques années, que nous avions beaucoup apprécié et qui continue sa tournée (voir Le Théâtre du blog).

Dans Combat de Carnaval et Carême* de Pieter Brueghel l’Ancien, peint en 1559, se font face les cortèges de Carnaval avec ses excès, et celui de Carême, avec son abstinence. Ces rivaux s’affrontent sur une place de marché très animée. Une voix off décrit le tableau, et les danseurs adoptent les postures et mimiques des personnages annoncés dans le beau texte de la chorégraphe, d’après celui de Claude Gaignebet *:  Carnaval et Carême sont, pour le premier sur un gros tonneau et pour le second, sur une chaise étroite montée sur un plateau en bois à quatre roues.

Ces cortèges respectifs, avec des personnages aux masques inquiétants, gueules enfarinées, colliers d’œufs ou avec un chapeau pointu pour Carnaval. Dispersés tout autour,  aveugles et estropiés, mendiants, danseurs, musiciens, joueurs de cartes ou aux dés… Olivia Granville sait traduire ce foisonnement de corps et de visages, avec dix danseurs, tous formidables, qui  vont, une heure durant, figurer tour à tour les quelque cent soixante personnages du tableau. Les interprètes réagissent aux consignes qu’on leur donne à voix haute, puis grâce à un casque audio, vont obéir aux ordres murmurés à l’oreille.

Olivia Grandville poursuit ici une démarche déjà éprouvée dans Foules, son précédent spectacle, réalisé avec cent amateurs… «Il s’agit, dit-elle, de l’exploration d’une écriture, qui offre à voir une partition créée à l’oreille. Une pièce portée par la question du rythme, et un dispositif scénique pensé comme une installation. Faire avec ce qui advient, c’est à dire, au fond, tout ce qui est la réalité d’un spectacle définitivement vivant, irréductible à quelques pré-texte, ou sous texte que ce soit. Et au bout de la chaîne, un spectacle plus vivant que vivant (…).  Encore une fois, tenter la danse : «le perpétuel engendrement de la forme par les mouvements des corps », et, foisonnante ou minimale, la laisser parler. »

Une formidable énergie anime le plateau, dans un désordre organisé qui jamais ne tourne à vide. Les danseurs, aux physiques contrastés, incarnent à merveille les personnages populaires de cette fête villageoise. Avec des mimiques et une gestuelle toujours renouvelées, avec leur corpulence ou leur maigreur, ils dessinent un tableau sans cesse recomposé, au rythme soutenu de la danse. Narratif, expressionniste réaliste ou abstrait… Olivia Grandville a offert à ces Rencontres chorégraphiques un magnifique bouquet final !

It’s Time chorégraphie d’Albert Quesada, Federica Porello, Zoltán Vakulya, composition musicale d’Octavi Rumbau

It’s time est né, selon la note d’intention, « d’un intérêt partagé par le danseur et chorégraphe Albert Quesada et la compositrice Octavi Rumbau pour la manière dont les spectateurs perçoivent le temps, quand ils regardent une pièce ».

Trois danseurs vont, une heure durant, se confronter aux musiciens regroupés au centre du plateau sous un dais de tulle noir. Un violon, un violoncelle, un alto et un vibraphone emplissent l’espace de sonorités étouffées et.. pas toujours harmonieuses. Octavi Rumbau contracte puis étire le temps de manière cyclique, et Albert Quesada, Federica Porello, Zoltán Vakulya s’amusent à traduire cette musique, en décomposant les mouvements à l’extrême et en alternant rythmes lents et rapides.

Cette création, soporifique voudrait jouer sur la perception du temps mais distille un remarquable ennui et prive de danse ses interprètes… comme le public.

Mireille Davidovici

Spectacles vus le 16 juin au Nouveau Théâtre de Montreuil, 10 place Jean Jaurès, 93100 Montreuil. T. : 01 48 70 48 90.

* Le Combat de Carnaval et de Carême de Claude Gaignebet, Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1972,  vol. 27, no 2,‎ 1972, p. 313-345 (lire en ligne)

* Le tableau se trouve au Kunsthistorisches Museum de Vienne (Autriche).

 

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