M. de Pourceaugnac de Molière
Monsieur de Pourceaugnac de Molière, musique de Jean-Baptiste Lully, mise en scène de Raphaël de Angelis
Cette comédie-ballet, la huitième de Molière, fut créée avec succès au château de Chambord en octobre 1669 puis un mois après à Paris, et fut ensuite jouée plus de quarante fois … Les Parisiens Éraste et Julie se rencontrent en secret pour qu’Oronte, le père de Julie, ne le sache pas! Il a en effet promise sa fille à Léonard de Pourceaugnac, un jeune bourgeois de Limoges. Les amoureux demandent à Nérine, une entremetteuse, et à Sbrigani, un Napolitain, de les aider. Bref, l’impitoyable machine à ridiculiser Pourceaugnac va se mettre en marche de façon à lui faire regagner au plus vite son cher Limoges…
Éraste dit ainsi reconnaître en lui un ancien ami, et Pourceaugnac acceptera son hospitalité. Sbrigani et Éraste, pour soi-disant le protéger, persuadent alors deux médecins qu’il est fou, et ils voudront lui faire saignées et lavements, comme dans Le Malade imaginaire.
Sbrigani le persuadera de ne pas épouser Julie, une fille douteuse selon lui, mais elle dit aimer Pourceaugnac. Lui, devenu méfiant quant à sa moralité, refuse de l’épouser. Puis deux femmes prétendent qu’il est leur mari et père de leurs enfants! Pourceaugnac, alors accusé de polygamie, doit vite fuir habillé en femme pour échapper à la justice. Sbrigani persuade alors Oronte que Pourceaugnac a enlevé Julie; Eraste va donc courir la «sauver», et Oronte acceptera enfin leur mariage.
Ici, cruauté,coups tordus et drôlerie font bon ménage avec le délire du principal intéressé, ce jeune ambitieux provincial n’a qu’un seul tort: vouloir se marier à une belle plante parisienne Donc sur un territoire qui ne lui appartient pas, il va devoir lutter férocement (petite revanche, dit-on, de Molière qui n’aurait pas été bien reçu à Limoges…) contre ses proches et des médecins incompétents. Notre amie Elisabeth Naud (voir Le Théâtre du Blog) avait beaucoup apprécié l’an passé la mise en scène par Clément Hervieu-Léger de cette pièce qui continue à séduire les jeunes metteurs en scène.
Raphaël de Angelis s’est emparé à son tour de cette farce où ce pauvre Limougeaud qui a soif d’ascension sociale est tourné en ridicule, mais il n’a pas cherché à l’actualiser. Avec le formidable orchestre de La Rêveuse qui joue les intermède musicaux signés Jean-Baptiste Lully (viole de gambe, violon, théorbe, clavecin), trois chanteurs tout aussi formidables et six comédiens masqués de remarquable façon par Alaric Chagnard, Den et Candice Cousin. Ah! Les masques des médecins, quelle beauté, quelle vérité dans la noirceur !
Jouer ainsi la convention trois siècles après n’a rien d’évident et il y faut un solide engagement. Et il y a ici du meilleur, malgré quelques erreurs. Le meilleur d’abord, une direction très précise d’acteurs qui savent jouer masqués, redoutablement efficaces mais qui dansent bien aussi (chorégraphie de Namkyung Kim). Comme entre autres, cette sorte de ballet de mort des médecins au grand nez blanc autour de leur patient, qui rappelle la mise en scène légendaire du Médecin malgré lui (1952) de Gaston Baty.
Chez Molière comme chez Eugène Labiche, le provincial qui a soif d’ascension sociale, n’a pas intérêt à empiéter sur le territoire parisien, surtout quand il s’agit de mariage, sinon on lui fait vite comprendre qu’il a intérêt à regagner vite fait son pays d’origine…La morale vaut encore aussi maintenant d’une province à l’autre de notre cher hexagone! Ainsi un professeur d’origine provençale, enseignait depuis quarante ans dans une Ecole d’art de l’Est de la France et s’est vu dire par à une collègue quand elle pensait repartir « chez elle »…
Rafaël de Angelis a eu l’intelligence de se soumettre aux contraintes d’une certaine convention: cela sert au mieux sa vision de la pièce. Et il y a ici, aux meilleurs moments, une véritable démesure, palpable, où le réalisme n’a rien à faire sinon dans les situations, par exemple quand le metteur en scène multiplie les médecins traduisant ainsi l’obsession de Pourceaugnac qui les voit partout.
Et c’est cette conjugaison entre un texte ancré sur le réel et parfois parlé en pseudo-dialecte napolitain, picard, ou encore occitan du Limousin, et cette folie qui fait tout le sel de cette histoire burlesque où les médecins en prennent pour leur grade. Les Français au XVIIème siècle, on l’oublie trop souvent, ne parlaient pas tous français et dans les années 1960, on rencontrait encore au Pays basque, dans le Cantal ou l’Aveyron des gens âgés qui parlaient seulement en langue d’oc!
Soulignons la parfaite unité entre le jeu des comédiens, l’intervention des chanteurs, et celle de l’orchestre : tout cela participe d’une belle compréhension scénique. Rafaël de Angelis a eu aussi la bonne idée de faire intervenir quatre petites marionnettes à l’effigie de M. de Pourceaugnac qui vont rejoindre les acteurs et, à la fin, aussi stupide que sublime et grandiose, arrive une grande poupée, dans la grande tradition du Bread and Puppet, manipulée par une seule comédienne représentant un Léonard de Pourceaugnac, pathétique comme revenu des ses illusions.
Du côté des erreurs, une importante et qui, malheureusement nuit à cette belle réalisation : un stupide plateau pentu ne facilitant en rien les déplacements des comédiens, ce qui devrait pourtant être la raison d’être de toute scénographie. On ne voit pas non plus la nécessité d’un entracte qui casse le rythme et allonge cette farce qui dure un peu trop longtemps; il y a des longueurs dans cette seconde partie qui tient aussi à un texte moins sans doute moins solide, et dont le rythme s’essouffle un peu. De ce côté-là, Rafaël de Angelis aurait intérêt à resserrer les boulons.
Mais sinon, malgré la chaleur étouffante dans la salle, vous ne serez pas déçu par cette édition 2017 de M. de Pourceaugnac. Et deux jeunes lycéennes près de nous ne cessaient de rire ; comme dit notre amie Christine Friedel, c’est toujours bon signe…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de manœuvre, jusqu’au 2 juillet.