La Devise de François Bégaudeau mise en scène de Benoît Lambert

 

La Devise de François Bégaudeau mise en scène de Benoit Lambert

Image M-A Gagnaux et Y. Gasiorowski

Image M-A Gagnaux et Y. Gasiorowski

 Imaginez une classe de lycéens. Devant eux, un homme en costume-cravate, qui va faire une conférence sur notre devise nationale : Liberté, égalité, fraternité. «Chers jeunes», lance-t-il, raide comme la République derrière son pupitre, avant de s’aventurer dans une explication de texte …

« Chers jeunes, c’est écrit ? l’interrompt une jeune femme (…) j’ai cru que c’était une blague. Une sorte de parodie, quoi ? ». Elle est là pour le faire répéter et corriger ses postures, améliorer sa tenue et réfuter ses propos. Un duo entre les acteurs s’instaure, mi-sérieux mi-comique, pour décortiquer devant les élèves ces trois notions. Le conférencier les fait aussi participer en les interpellant : d’où viennent ces trois mots ? Ces principes sont-il vraiment respectés  dans notre société ?

 S’instaure alors un rapport triangulaire entre les deux personnages et leur public et, pour conclure, loisir est laissé à chacun de donner son avis sur cette devise mise à toutes les sauces et qui souvent sonne creux…

François Bégaudeau manie habilement la dialectique, mais son texte reste très ludique tout en donnant à réfléchir. Il en profite même pour soulever en passant des  thèmes épineux comme : laïcité, port du voile à l’école, exclusion, égalité des chances pour les enfants de la République, démocratie… Pédagogique, mais pas trop, cette performance de cinquante minutes garde toute sa légèreté avec Camille Roy et Paul Schirck, à peine plus âgés que leur auditoire. 

 Le spectacle, créé au Lycée Hippolyte-Fontaine de Dijon en 2015, a déjà été joué deux cent quarante-sept fois entre la Bourgogne-Franche-Comté et la Bretagne. Selon les acteurs,  les lycéens, d’abord sur la réserve, deviennent vite des spectateurs très réactifs qui rient mais qui se lancent aussi volontiers dans des débats pendant l’heure de discussion prévue après la représentation. Certains, surtout dans les établissements professionnels, découvrent, pour la première fois, le théâtre, et avec bonheur.

 La Devise fait partie d’un répertoire «à jouer partout» que le Théâtre Dijon/Bourgogne destine aux écoles. Après Bienvenue dans l’espèce humaine de Benoît Lambert, Qu’est-ce que le Théâtre ? d’Hervé Blutsch et Benoît Lambert,  Fausse Suivante 1.5 (une variation sur une scène de cette œuvre de Marivaux) et Tartuffe 2.4 (une variation sur une scène de celle de Molière). A suivre donc.

 Mireille Davidovici

 Théâtre Paris-Villette 211 Avenue Jean Jaurès, Paris XIXème. T. 01 40 03 72 23  jusqu’au 24 juin.
www.theatre-paris-villette.fr

 En tournée dans les lycées :

Théâtre de Quinconces-L’Espal Le Mans, T. 02 43 50 21 50 du 20 novembre jusqu’au 1er décembre.

Lycée Charles De Gaulle Dijon   du 4 au 8 décembre,dans le cadre d’un temps fort dédié à la jeunesse, programmé au Théâtre Dijon-Bourgogne autour du Théâtre à jouer partout  avec six spectacles et des rencontres .
Théâtre Dijon-Bourgogne rue Danton, Dijon:  T.03 80 30 12 12

 La Devise est édité aux Solitaires Intempestifs, collection jeunesse

 


Archive pour 21 juin, 2017

El Baile, de Mathilde Monnier et Alan Pauls

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El Baile, de Mathilde Monnier  et Alan Pauls

 Où en est la danse populaire? La trouve-t-on encore chez nous, aux bals du 14 juillet, où les musiciens s’essoufflent pour la joie des enfants et de quelques couples plus très jeunes: fougue furieuse des uns, délicate chorégraphie des autres ? Déjà en 1981, Le Bal une création du Théâtre du Campagnol, racontait, en déroulant l’histoire de France (de la Libération, aux années cinquante), la fin des bals et d’une certaine idée du peuple. Et pourtant Mathilde Monnier, avec le souvenir transformé, fantasmé de ce spectacle,  sentait qu’il y avait quelque chose à chercher de ce côté-là. L’Argentine lui a donné, avec l’écrivain Alan Pauls comme «truchement», le terrain et le sens de sa recherche.

Le bal populaire: une salle, un parquet et une boule à facettes qui tourne au plafond: les hommes et femmes se rencontrent, s’exhibent, se cachent et se révèlent. On espère y oublier son quotidien,  auquel on n’échappe pas. À la solitude non plus. Mathilde Monnier a trouvé son « intérieur » dans un social club à Buenos-Aires.

 Ici, sur le plateau, douze danseurs, douze chaises, et un petit podium  soit un décor minimal, qui évoluera discrètement au fil des scènes, l’essentiel étant là, dans cet enclos de la danse. Dans la salle encore éclairée, les danseurs font leur entrée, comme dans Le Bal. Ce regard, est-il destiné au public ou au miroir ? Est-on à son avantage ? Les jeunes danseuses chaussent des escarpins avec des vêtements de sport, et la tenue des corps change alors, sans illusions.

Avec la musique, commencent les approches de séduction. Roulements de pelvis d’un garçon, réponse à contre-temps d’une fille, la danse est traversée de pulsions, échanges d’énergie et pannes. Elle trouve soudain son terrain commun, son rythme, puis le perd. Parfois la musique enregistrée est poussée de côté par la voix des interprètes: chant, cris, musique de bouche, elle produit comme une danse intérieure, sonore, née avec le mouvement même.

El Baile développe en une seule scène, quarante ans d’histoire de l’Argentine. Quarante ans d’amnésie, dirait Alan Pauls, et sans chronologie ni fil narratif. Inutile : la mémoire de la dictature, de la répression et des disparus habite malgré eux les corps des jeunes interprètes, qui ont été choisis avant tout pour leur personnalité. Ils évoquent-malgré eux-une jeunesse empêchée, explosée, ramenée à un ordre militaire, mais étourdie de musique et de foot.

 Ils ne savent rien et savent tout, et rejettent la mémoire dont on les charge, en gestes arrêtés soudain lâchés, en agressions et mouvements d’une tendre animalité. Guerre  entre hommes et femmes, amour, évocations «bling bling » et exhibitionnistes des années Mennen, avec l’argent et le sexe comme dernière raison de vivreEt enfin le tango, venu de très loin, de tous ces « transportés », esclaves et migrants qui peuplent l’Argentine, ouvre la pièce sur un moment d’émotion intense (on vous le laisse découvrir) et recrée un partage qui a permis à Mathilde Monnier de trouver une fin ouverte.

Chercher la danse là où elle est. Qu’est-ce qui avait fasciné la chorégraphe dans Le Bal, au point de  vouloir recréer ce spectacle unique en son genre, historique à plusieurs titres, qui a connu un succès étourdissant ? Sans doute, le fait qu’un metteur en scène de théâtre ait choisi des comédiens pour danser, les mettant dans un inconfort riche de possibilités. Au-delà de l’illustration de telle ou telle époque, de l’expression par les danses de l’évolution des comportements et des relations entre hommes et femmes, Le Bal les a mis en situation de créer bien autre chose, qui leur échappait.

À l’abri des personnages qu’ils sont allés chercher au fond d’eux mêmes, y compris comme êtres sociaux ; en cela ils deviennent véritablement auteurs du spectacle. À voir El Baile, on a le sentiment que Mathilde Monnier a rencontré l’inconscient du Bal. « Plus nous progressions, avec Alan Pauls et la dramaturge Véronique Timsit, et plus je me rapprochais du Bal», dit-elle. Une génération plus tard, sa pièce ranime un réseau de sens et d’émotions, nées pour Jean-Claude Penchenat  après avoir vu Kontakthof de Pina Bausch. On a presque envie de parler de «circulation des sèves inouïes» d’une œuvre à l’autre, à travers le temps.

El Baile, une pièce au présent, et assez forte pour porter-sans paroles-l’histoire d’un pays et un peu de celle du théâtre. Et plus que cela: elle a l’audace de plonger in vivo dans les vagues de la mémoire et de l’oubli, avec toute la vitalité de ses jeunes interprètes. Ce spectacle comptera, et les responsables des théâtres ne s’y sont pas trompés: à sa création, on comptait déjà plus d’une soixantaine de dates de tournée en France et en Belgique, à Berlin, Genève, et, bien sûr, en Argentine…

 Christine Friedel

Spectacle créé au Quai-Centre Dramatique National Angers/Pays-de-la-Loire. Festival Montpellier-Danse, les 25 et 26 juin.
Le Cuvier C.D.C. de Bordeaux les 29 et 30 juin.
Festival Tanz im August de Berlin, les 29 et 30 août. Et tournée à suivre jusqu’en avril 2018.

 Le Bal, film d’Ettore Scola est édité en DVD.

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