4 heures du matin, adaptation du roman d’Ernest J. Gaines et mise en scène d’Hassane Kouyaté

 

4 heures du matin, adaptation du roman d’Ernest J. Gaines et mise en scène d’Hassane Kouyaté

 a419e9_00422a6f675c4a13ae4ee84430b4c94bCet écrivain afro-américain de Louisiane (84 ans), a obtenu le le Prix Pulitzer. Son roman publié en 1993, Dites-lui que je suis un homme (A Lesson Before Dying), a remporté le National Boook Critics Award. Et cette adaptation de 4 heures du matin, paru en 2002,  a été créée à Tropiques Atrium/Scène nationale de Fort-de-France) que dirige Hassane Kouyaté. Cette saison, deux de ses spectacles ont été programmés au Tarmac : Le But de Roberto Carlos, une réflexion sur la migration avec un acteur, un chanteur et un musicien. Et Quatre heures du matin, avec Ruddy Syllaire, d’origine haïtienne  et établi depuis  longtemps en Martinique qui a interprété Othello à Montréal, mise en scène de Denis Marleau; il joue ici  le rôle d’un  jeune migrant. Abdon Fortuné Koumbha, lui d’origine congolaise, incarne  Lewis, un jeune noir qui se bat contre le racisme américain.

Hassane Kouyaté, passionné par la direction d’acteurs, a voulu cerner les bouleversements existentiels du roman d’Ernest J. Gaines,  en faisant adopter aux acteurs un jeu néo-réaliste et une gestuelle gracieuse et légère frôlant parfois la danse. Une contradiction apparente mais le spectacle a quelque chose de fascinant, et est proche des techniques du conte, privilégiées par Hassane Kouyaté et Fortuné Koumbha. Passer d’un texte en prose destiné à  la lecture, à une œuvre scénique,  reste  un défi : le  lecteur solitaire a en effet le temps pour réfléchir aux idées et apprécier l’écriture d’une pièce alors que le public est, lui, face à un comédien évoluant dans l’espace aux rythmes de son corps, sous des éclairages et avec un accompagnement sonore qui donnent  parfois la chair de poule.

Dans  Quatre heures du matin, il y a une étroite  collaboration entre un metteur en scène  d’une grande sensibilité et un acteur qui est aussi  conteur/narrateur, à partir d’extraits de ce texte d’une grande pureté, et dans un espace de jeu heureusement dépouillé. Cette mise en scène est aussi un  hommage à l’oralité,  avec la mise en valeur du corps d’un performeur énergique qui a souvent recours aux pratiques extra-linguistiques du conteur.
Hassane Kouyaté s’est inspiré de la poétique corporelle d’Elie Pennont  et fait montrer ce qu’il veut nommer, à la manière  de ce metteur en scène qui nous avait révélé ces techniques du conte avec Un Ladja de paroles, créé en Martinique en 1993. Elie Pennont a dominé la scène martiniquaise quand il dirigeait le Théâtre de la Soif nouvelle, dans les années 1990, avant l’arrivée de son successeur,  Michèle Césaire.

Avec cette adaptation de Quatre heures du matin, Hassane Kouyaté modernise la technique du conte et nous offre un portrait de la société américaine actuelle, en mettant en scène des situations de pouvoir, ici vécues par toutes ces voix issues d’un seul acteur.  Dans un contexte impitoyable, baigné dans un jazzy blues rappelant la sensualité douce de Billie Holiday. Mais le spectacle glisse  vite vers un dénouement avec des hurlements de douleur, et évoque les souffrances de cette artiste iconique. La puissance dramatique de la musique et des chants du groupe belge Dez Mona, est telle  que nous sentons que toute une partie de la société américaine  a été bouleversée…

  Le thème? Lewis avait attaqué un homme dans un bar. Mort accidentelle ou intentionnelle?  Rien n’est certain mais le jeune homme amené  au poste, se  retrouve  devant deux policiers : T.J. le boss, cynique et cruel,  et Paul, gentil mais  écrasé  par son supérieur. Lewis comprend vite qu’il est pris dans un  piège raciste dont il ne pourra plus sortir. Dans un télescopage du  passé et du présent, un peu  comme dans un conte, le spectacle nous projette dans un univers presque magique, quand le narrateur  explique  les événements  qui l’ont  conduit au  commissariat  puis au pénitencier.

Le voilà  vite pris dans un nouveau microcosme carcéral, peuplé de victimes à la voix désespérée. Le jeu insensé des blancs qui mettent en prison des noirs, leur donne en fait conscience de leur propre existence ! L’acteur mime un certain Mumford Basile, un gros métis,  agressif  et coléreux, habitué du système judiciaire  où il a  appris à naviguer entre les écueils séparant les groupes de couleur.  Pris  dans un va-et-vient sauvage et permanent entre arrestation et mise en  liberté, Mumford  Basile  a compris que sa survie dépendait de ce jeu pervers, raison d’être d’une société pourrie mais aussi source d’une  poétique théâtrale qui  mène les personnages  vers l’abîme, parfois même  quand ils en rigolent.  

Le texte marqué par une absence de  transitions temporelles et spatiales, participe d’un  refrain émouvant, dans une forme de continuité étrange. Le prisonnier a un regard rêveur vers le ciel vu par la fenêtre de sa cellule : dans le spectacle, cela revient comme un leitmotiv, un aperçu d’une liberté si désirée mais impossible à  obtenir.

 Il y a ici une merveilleuse calligraphie du corps, comme projeté dans une succession rapide de phrases courtes ; l’acteur tournoie dans une espace baigné d’un éclairage qui arrive, par moments, à transformer toute la salle. L’instabilité du texte, de la musique et de la lumière, reflétés  par  les mouvements de l’acteur, deviennent les signes  d’une oralité vertigineuse qu’Abdon Fortuné Koumbha maîtrise parfaitement. Un moment de théâtre très prenant!

Alvina Ruprecht

Spectacle vu à Tropiques/Atrium, Scène nationale 6 rue Jacques Cazotte, 97200 Fort-de-France. T. : 0596 70 79 29;  et joué au Tarmac 159 Avenue Gambetta, Paris XX ème. T : 01 40 31 20 96, en mai dernier.

 

 


Archive pour 25 juin, 2017

Ah tu verras, hommage à Claude Nougaro

 

Ah tu verras, hommage à Claude Nougaro, textes d’Hubert Drac, Didier Gustin et Jacques Plessis, mise en scène d’Hubert Drac

gustinLe dernier spectacle de Didier Gustin « voleur de voix », imitateur, s’ouvre sur le gimmick de Toulouse. Dans le noir, s’élève la voix de Claude Nougaro. Et, lorsque monte la lumière, c’est bien le «petit taureau de la Garonne» qui apparaît. On reconnaît la stature, la posture et la façon de se tenir en scène face aux musiciens.

À partir d’un argument très simple: « on ferait comme si », Didier Gustin fait défiler cinquante chanteurs et comédiens, certains disparus (ce qui nous vaut une émouvante séance de spiritisme en vidéo avec Philippe Noiret et Michel Serrault… un bel hommage). Il attribue à chacun de ses personnages une chanson de Claude Nougaro qui lui correspond: à Johnny Halliday, Quatre boules de cuir, à Joey Starr, Sing Sing ; Fabrice Lucchini dit Le Coq et la pendule, repris par Julien Clerc.  Gérard Depardieu interprète L’Alexandrin, que chante ensuite Michel Jonasz. En tout, une bonne vingtaine de chansons, entonnées à la manière de…  et qu’on retrouve avec plaisir.
Des mariages malicieux et toujours justes. Chaque titre est introduit par un sketch court, souvent drôle, jamais vulgaire et qui ne dévoile pas l’identité du personnage caricaturé. Au spectateur de deviner. De toute manière, il ne reconnaîtra pas tout le monde.

Pour l’aider, il y a la voix et la silhouette. Mais par-dessus tout, et le plus intéressant: on entend  la chanson telle que l’interprèterait le personnage: ainsi Serge Gainsbourg et ses musiciens  jouent Nougayork, avec le timbre et les arrangements de l’«Homme à tête de chou ». Il n’y a pas ici, un, mais trois imitateurs:  le guitariste Laurent Roubach, figure du jazz français et Hugo Dessanges au clavier, accompagnent Didier Gustin. Ils ont réalisé un travail extraordinaire: en utilisant les ressources de l’échantillonneur et du séquenceur, ils recréent chaque fois l’orchestre correspondant au personnage : un vrai voyage dans la Variété de ces trente dernières années.

 Didier Gustin, la cinquantaine sonnée, n’a plus rien à prouver. Arrivé à Paris en 1987, à vingt-et-un ans et armé de son seul talent, il donne son premier spectacle, Profession imitateur  au théâtre du Tourtour…Un succès qui le conduit, un an plus tard, au Théâtre de la Ville, puis à la télévision et ensuite au Zénith et à l’Olympia. Chanteurs, acteurs, personnalités, hommes politiques, il les a tous imités, et Dans la peau de Jacques Chirac lui a valu un César en 2005.

Deux choses rendent le métier d’imitateur difficile : tributaire de l’actualité, il doit sans cesse trouver de nouvelles cibles (qui songerait aujourd’hui à imiter De Gaulle?) Histrion, voué au brocardage, il lui faut faire rire à tout prix. Mais, ici, le fantaisiste s’efface devant Claude Nougaro, l’un des plus grands de la chanson française, décédé brutalement en 2004. Une innovation dans le monde de l’imitation.

Grâce à lui, on redécouvre le magicien des mots et l’amoureux du verbe truculent qu’il a su faire passer à travers la musique populaire, musette, jazz ou sud-américaine.  Didier Gustin réussit en outre un hommage aux artistes de variété en général. Et, dans le dernier morceau, Ah tu verras, qui donne son titre au spectacle, il en convoque au moins vingt. On ne s’y perd pas : Claude Nougaro ramasse la mise. En un mot, un spectacle drôle, mais pas que…

 Jean-Louis Verdier

Spectacle vu à l’Archipel, 17 boulevard de Strasbourg Paris X ème. T. 01 73 54 79 79 . Reprise à partir du 27 septembre jusqu’au 11 janvier.

Festival d’Avignon: Théâtre des Vents, 63 rue Guillaume Puy, du 7 au 31 juillet. T. : 06 20 17 24 12.

 

Anthologie des textes de Claude Nougaro, publiée aux éditions Seghers.

 

 

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