Le Radeau de la Méduse de Georg Kaiser

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

 

 

 

Le Radeau de la Méduse de Georg Kaiser, traduction de l’allemand d’Huguette et René Radrizzani, mise en scène de Thomas Jolly

 

Le spectacle avait séduit, ou pas vraiment, le public du festival d’Avignon 2016 (voir l’article de Mireille Davidovici). Il est présenté à nouveau au Théâtre de l’Odéon.


Deux points de vue différents:

Le Radeau de la Méduse, le fameux tableau romantique de Théodore Géricault (1819), représente les naufragés survivants de cette fameuse frégate sur un radeau. Le dramaturge Georg Kaiser (1878-1945), fut entre les deux guerres,  avec le grand auteur naturaliste Gerhart Hauptmann, le plus joué en Allemagne avec quelque… quarante pièces. Il influencera profondément Ivan Goll, l’auteur de Mathusalem ou l’Eternel bourgeois mais aussi Ernst Toller et Bertolt Brecht.Quand ses livres sont brûlés par les nazis, comme tant d’autres, il s’exile en Suisse où il écrit cette pièce en 1942: il y  interroge une société cruelle,et en quête de bouc-émissaire, à travers des prétextes religieux approximatifs ou superstitieux.

A partir d’une véritable histoire: le torpillage par un sous-marin d’un bateau, des enfants anglais, de neuf à douze ans, après avoir fui les bombardements de Londres, se retrouvent isolés en pleine mer sur un canot. Solidaires, ils se répartissent les tâches et la nourriture mais  découvrent qu’ils sont treize ! soit six filles et sept garçons dont P’tit Renard, un petit roux et silencieux, resté blotti dans une trappe; cela les effraie, le chiffre étant maléfique depuis la Cène! Le garçonnet inoffensif  devient la victime ultime, le traître marqué par le signe du Mal.

Sur le canot, le groupe obéit à un couple de figures rayonnantes, Allan, protège l’enfant et refuse l’hypocrisie et la cruauté du monde, mais Ann, prise de peur, impose son ascendant sur les autres, et condamne P’tit Renard à mort. Les bourreaux se justifient en se prétendant eux-mêmes victimes d’un mauvais sort… A moins que les monstres et les coupables ne soient les passagers décideurs du sort de l’enfant, ils sont d’une certaine façon le miroir de la violence du groupe qui applique à un individu une marque diabolique…

 Thomas Jolly s’est saisi de la parabole pour la jeter avec brio sur la scène, avec le Groupe 42, promotion sortante des  élèves régisseurs, scénographes, acteurs et metteurs en scène  de l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg, où  il était artiste associé.

En sept tableaux dans l’effroi obscur, sept journées avant le sauvetage, les passagers de ce canot, à la fois enfants et adultes, jouent ce huis-clos imposé, entre tempêtes, orages et rafales de mer. Et le canot semble glisser sur le plateau, et les rames parfois en action ajoutent de l’ampleur à l’image marine perdue dans l’immensité brumeuse de la nuit océane, avec, au lointain, des nuages blancs

Les âmes terrorisées des corps en alerte sous la menace de l’engloutissement, se lèvent elles aussi, soufflent furieusement, se déchaînent et font rage, sous la protection aléatoire de lampes-tempête. Le tableau scénique fascinant de ce Radeau de la Méduse fait évidemment référence aux populations déplacées pour raisons de guerre, de famine, ou encore pseudo-religieuses, de morale privée.

La communauté des enfants, chœur de prisonniers malgré eux de ce canot, porte les signes extérieurs et sombres d’un expressionnisme éloquent, et les mouvements d’ensemble semblent suivre la houle marine, montant et descendant les vagues. La scène du mariage en particulier est somptueuse, tendue de passion dans l’urgence et la survie. Violence d’un avenir inconnu, connaissance amère de ce que l’on quitte : Thomas Jolly fait résonner, accompagné par une bande-son originale de Clément Mirguet, les questions âcres de notre temps, sous la brume, l’éblouissement des phares d’un hélico tapageur.

Thomas Jolly a bien servi la pièce de Georg Kayser avec une esthétique formelle, et on ressent toute la beauté artisanale des images, grâce aux chants de ces jeunes et bons comédiens,

Véronique Hotte

Notre amie Véronique a raison quand elle parle de la beauté des images; cela Thomas Jolly sait faire, surtout au moment du mariage d’Allan et d’Ann. Et il y a une belle scénographie.
Oui mais la direction d’acteurs est assez faible et sans nuances, et il impose à ces jeunes comédiens une curieuse scansion du texte, ce qui donne surtout au début un côté très artificiel au spectacle. Pourquoi les fait-il si souvent crier? Pourquoi a-t-il recours à ces torrents de fumigènes qu’il fait déverser à jets réguliers? Pourquoi cet univers sonore des plus banals que l’on entend partout depuis une dizaine d’années avec des vibrations de basses, pour dire sans doute l’angoisse générée par cette situation?
En fait tout se passe comme si Thomas Jolly avait voulu d’abord et surtout illustrer un texte qui n’est sans doute pas l’un des meilleurs de Georg Kayser et où il voit beaucoup de thèmes très actuels comme les émigré survivant sur des bateaux pourris.Les intentions de Thomas Jolly étaient sans doute louables au départ mais, désolé, ici on n’est guère ému par cette illustration qui fait souvent penser à une BD, sauf au moment du mariage.

Reste une sorte de spectacle « bien fait » comme on dit, qui semblait plaire au bobos parisiens qui avaient entendu parler de Thomas Jolly et voulaient savoir à quoi cela ressemblait. Ce Radeau de la Méduse a quelque chose d’un peu sec et démonstratif, où il a pu employer toute la promotion 42 de l’Ecole du T.N.S. (jeu, scéno, costumes régie, etc.). De ce côté-là, le contrat est rempli.
Mais cela reste apparenté à un travail dont la mise en scène reste approximative; pour nous, en tout cas, le compte n’y est pas tout à fait. Reste la très belle image du petit garçon installé à l’avant du canot de sauvetage…

Philippe du Vignal

 Ateliers Berthier/Odéon-Théâtre de l’Europe, jusqu’au 30 juin. T : 01 44 85 40 40.

 La pièce a été publiée aux Editions Fourbis, 1997

 

 

 


Archive pour 27 juin, 2017

Le Lac de Pascal Rambert

 

ESAD

© Miliana Bidault

Le Lac, texte de Pascal Rambert, mise en scène de Marie-Sophie Ferdane

C’est à l’origine, une commande faite par l’Ecole de la Manufacture de Lausanne donc une pièce sur-mesure qui avait été jouée il y a deux ans dans ce même Théâtre de l’Aquarium (voir Le Théâtre du Blog). Soit des monologues avec des personnages qui portent le même prénom que celui des onze jeunes acteurs du Studio d’Asnières. Comme dans La Répétition  qui avait suivi son fameuse et très belle pièce Clôture de l’amour.

Ici, ils s’appellent Tom, Juliette, Maika, Chloé…  et vont pendant presque deux heures répondre à cette proposition théâtrale. Autour d’un seul thème, l’absence définitive, insupportable de leur ami Thibaut dont a retrouvé le corps dans le lac. «Une histoire où la langue, dit Pascal Rambert,  est le premier sujet, une histoire de langue mettant en ligne seize corps moins un face à la mort, au sexe et au crime. Et il ne craint pas de convoquer l’horreur absolue: « Le corps a été découpé d’un côté il y a la bouche à côté les bras ont été rangés à côté des jambes qui ont été ficelées on a enlevé le sexe et on l’a rangé à côté à droite il y a un Opinel à gauche il y a un Opinel il y a des traces d’hommes nus qui ont froissé les branches jeunes il y a des traces de filles nues qui se sont roulées dans les herbes hautes et qui ont fait l’amour dans les herbes hautes il y a des marques de doigts et d’ongles enfoncés dans la terre quand ça jouissait il y des traces de l’amour partout. (…) ce soir je cède avait dit la fille qui s’était approchée de Thibault ce soir je lui cède le corps de Thibault j’en ai envie la fille avait pensé quand la journée avait commencée ce soir je cède à Thibault ce soir je prends le sexe de Thibault en moi sous les feuillages ce soir avant il y a la journée alors on apportera des canettes et on attendra au soleil le corps de Thibault ».

Pas de ponctuation dans ces monologues : c’est aux jeunes comédiens de trouver la bonne respiration, le bon rythme de ce texte à la fois dense et riche, souvent hautement poétique et sous tension, où fleurissent les répétitions, et où l’auteur  ne cesse de se demander comment on peut encore faire du théâtre en 2017 ? Il y a aussi, si on a bien compris, un certain mépris de la société de consommation occidentale, mais bon, de ce côté-là, on a déjà beaucoup donné depuis mai 68…

La direction d’acteurs de Marie-José Ferdane, très précise, très rigoureuse pour les monologues face au groupe des dix autres, met bien en valeur ces jeunes gens. C’est déjà cela…Côté mise en scène, on ne sait pas trop si on assiste à un vrai spectacle ou à un travail d’atelier (mais bon c’est une peu la loi du genre, avec ce que cela suppose de codes admis). Et Marie-José Ferdane n’évite pas toujours ce que l’on voit un peu partout: récit face public pendant de longues, trop longues minutes à la Stanislas Nordey, éclairage crépusculaire sur un grand plateau nu avec projos rasants latéraux, et diction parfois assez monotone, costumes du quotidien sans aucune recherche assez laids. Et, dans la chaleur caniculaire, on a du mal à garder la même attention durant ces presque deux heures, même si le texte a été  et heureusement raboté.

Les jeunes comédiens en formation en alternance (cours et pratique), ont tous une diction irréprochable et une bonne gestuelle mais les filles ont elle une vraie présence et comme d’habitude, côté interprétation, s’en sortent mieux que les garçons:  ils font le boulot mais ne semblent pas toujours vraiment à l’aise. Mais il y a  dans ce Lac quelques beaux moments dont, avant un genre de pause, un sacré beau monologue, très poétique, joué, si on ne se trompe pas, par Pauline Huriet.

François Rancillac, le directeur du Théâtre de l’Aquarium que le Ministère de la Culture, spécialiste des coups tordus avait voulu virer mais qui devant les protestations avait reculé, salue cette huitième édition du festival des Ecoles. C’est, dit-il, avec un beau coup de projecteur sur la transmission de l’art théâtral. Avis aux apprentis comédiens s’ils veulent voir à quoi ressemble l’aventure que reste toujours une création scénique avec de jeunes interprètes: on y apprend beaucoup.

Philippe du Vignal

Le Lac s’est joué du 22 au 25 juin; le Festival des écoles se poursuit jusqu’au 30 juin, au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes (entrée gratuite).
A noter, entre autres, Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare par le Théâtre-Ecole Kokilampoe de Saint-Laurent du Maroni.


 

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