La Vie trépidante de Laura Wilson de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Jean Boillot
La Vie trépidante de Laura Wilson de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Jean Boillot
La pièce pour trois acteurs, un musicien et un chœur, dont nous avions suivi la première étape de travail au Nest de Thionville(voir Le Théâtre du Blog) vient d’être créée, avant sa programmation en Avignon. Un histoire malheureusement des plus banales, celle dans un grande ville, en France ou quelque part en Europe, de Laura Wilson, une jeune femme, qui vient d’être licenciée. Et que l’on va voir dégringoler dans la pauvreté, la solitude et l’alcoolisme.
Elle gagnera juste de quoi survivre dans un petit studio mais perdra la garde de son petit garçon, suite à un divorce obtenu par son mari.«Ecoute, je dois te parler, je suis désolé, ce que j’ai à dire est difficile. Dit le mari à Laura Wilson. Voilà, j’ai réfléchi, tu es instable, immature, peu crédible, souvent en grand désordre émotionnel, enfin, je comprends maintenant que tu n’es pas une femme pour moi ; ne revenons pas sur ton licenciement. Si c’est pour faute grave, tu aurais mieux fait de me le dire. (…)Tu te rends compte, cet abruti, il dit que je suis instable, immature, peu crédible, souvent en grand désordre émotionnel » !
Mais il y a toujours chez cette femme issue d’un milieu populaire et qui n’a guère fait d’études, sinon une part d’optimisme du moins une volonté de se battre envers et contre tout, malgré les injustices dont elle s’estime être victime. Et elle n’hésitera pas à donner une paire de baffes à son ex-patron…
Elle essaye aussi en vain de récupérer la garde de son petit Mika, de trouver un boulot, et un amoureux, bref de sauver son individualité et de survivre envers et contre tout dans une société où règne l’indifférence, voire le cynisme et où elle n’a aucune place, comme on le lui fait si bien sentir. Avec sa copine Véro chez qui elle a logé un moment, elle a donc tendance à se réfugier dans l’imaginaire quelle que soit sa qualité, même quand il s’agit de séries télé, de chansons…
Laura Wilson a réussi à trouver un petit studio mais Mika trouve que c’est trop petit et préfère nettement vivre chez son père. Bref, rien ne lui sera épargné à dans cette descente aux enfers qui correspond à une formidable découverte… celle du célèbre tableau de Brueghel La Chute de anges rebelles. Où elle s’amuse comme une folle de voir que le peintre a mis en scène un homme en train de péter…
Bientôt elle va rencontrer Julien, un riche archéologue, mais bien entendu, ce genre d’histoire d’amour, et elle en a sans doute conscience, ne va pas durer.
L’auteur a su éviter le piège d’un écriture linéaire et misérabiliste et a construit sa pièce/portait de Laura, avec des moments à la fois dramatiques comme cette belle scène de rupture : et musicaux ! le compositeur-interprète Hervé Rigaud est sur scène à la guitare électrique. «Chaque création, dit Jean Boillot, est pour moi l’occasion de travailler avec un compositeur pour approfondir le dialogue entre théâtre et musique. Dans son écriture, Jean-Marie Piemme a laissé une grande place au sonore : présences d’instruments de musique, chants nombreuses didascalies sonores ». De son côté, l’auteur nous a dit vouloir livrer un texte et laisse carte blanche à Jean Boillot pour ce qui concerne lechoix de la distribution, la musique, la scénographie, etc.
Le metteur en scène a choisi pour incarner cette Laura Wilson, Isabelle Ronayette qui a déjà travaillé avec lui à plusieurs reprises le fait avec une grande finesse, sans jamais tomber dans la caricature de la jeune femme malheureuse. Philippe Lardaud et Régis Laroche, parfois aussi narrateurs, qui jouent avec une exigence orale et gestuelle remarquables, la vingtaine d’autres personnages.
Et une des grandes qualités de ce spectacle est l’unité entre le texte tout en discontinu, l’histoire de Laura, le jeu parfois grossi, comme distancié grâce à l’image en très gros plan du visage d’Isabelle Ronayette, et la scénographie. Une bonne idée que cette transmission un peu violente et foutraque, loin des vidéos souvent aussi léchées qu’inutiles que l’on voit souvent. Autre bonne idée : un grand espace vide conçu par Laurence Villerot, avec au fond, une penderie pour les différents costumes, une grande table ovale de réunion, quelques fauteuils contemporains à roulettes, et pour le côté intimité du studio de Laura une grosse masse noire et molle façon canapé/cocon où elle va se lover de temps à autre et recevoir ses amoureux.
Au chapitre des réserves, un texte qui, malgré la qualité de sa langue, aurait, sur la fin, tendance à patiner. Mais bon, après cette première à Thionville, les choses à Avignon, se mettront en place.
En tout cas, un spectacle intelligent (cela fait toujours du bien par où cela passe comme dit le vieux proverbe auvergnat), loin d’être consensuel dans sa forme, à l’opposé bien souvent de ceux du off, et qui demande au public une certaine collaboration. Et auquel on ne peut être indifférent.
Philippe du Vignal
Spectacle vu à Thionville le 28 juin.
Festival d’Avignon : Théâtre Le 11- Gilgamesh Belleville, du 6 au 28 juillet à 15h 40.
Et au Nest de Thionville du 11 au 18 octobre.