Juliette et les Années 70
Festival d’Avignon.
Juliette et les Années 70, second volet de La Mate, texte, conception et jeu de Flore Lefebvre des Noëttes, collaboration artistique Anne Le Guernec
A la mort de la mère, les souvenirs se libèrent, dit Flore Lefebvre des Noëttes, dit l’auteur et interprète de La Mate L’enfance, entre autobiographie et fiction. La pièce succède ainsi à La Mate des années 60, et raconte la suite de la vie de Juliette : collège, lycée, aumônerie, premières amours, passion du théâtre…Les crises de folie récurrentes du Pate, les boutiques exotiques et hippies de la Mate à Pornic et à Nantes, avec sa folle ascension, suivie de faillites. L’actrice se souvient et regarde ses photos d’époque, sans oublier ses retours au «paradis perdu de Saint-Michel-Chef-Chef ». En amoureuse du verbe, fait avec sonner et résonner avec facétie ce nom loufoque, burlesque et grotesque, sur l’air de Christophe.
Au programme, les retrouvailles sentimentales avec Pierre-François Rousseau, la villa Saint-Louis et les rouleaux gris-vert de l’océan atlantique, une mémoire de 40 ans. A dix-sept ans, elle quitte sans regret la Loire-Atlantique pour Paris, et fraye avec le théâtre : cours Charles Dullin et Daniel Mesguich, puis Conservatoire national avec Pierre Debauche.
Avec un jeu, lyrique en même temps que comique, Flore Lefebvre des Noëttes joue tous les personnages : père, mère, frère, profs… Parole rythmée et sûre : son énergie touche au sens, à une vision de soi. Consciente d’elle-même, libre enfin, l’actrice se retrouve dans la distance accomplie à travers les mots et le corps. Ni ressentiment ni amertume, elle joue une partition au cordeau, forte d’une joie de vivre indéfectible, par-delà les gifles maternelles et incompréhensions paternelles. Comptent sa vitalité et l’expérience des liens sororaux et fraternels. «Les mots font images et les images font écriture. Des petits tableaux naissent avec précision… » Une occasion pour elle de rire en saisissant les moments tragiques et comiques de sa famille familiaux, tendance Honoré Daumier et Marcel Proust.
De l’écriture au théâtre, au jeu et au «mentir-vrai» scénique, de l’intime à l’universel. L’évocation de ses profs est pleine de saveur, et la petite malicieuse de l’époque qui a déjà un regard critique aigu, ne condamne personne, dans une période sans violence et sans agressivité, celle des Trente Glorieuses. Juliette explique à son prof d’histoire-géo étonné, le sens du mot latin curare que n’enregistre pas à sa pleine mesure, cet enseignant trop rigide.
Le tube poétique et pathétique Summertimes par Janis Joplin arrive à point nommé. Chansons et musiques cernent les temps vécus et partagés par toute une génération, Moustaki, les Beatles, Pink Floyd, Deep Purple, les Who, les Doors (L.A Woman), Nino Ferrer et Suzi Quatro, Led Zeppelin, Rolling Stones, Martin Circus ….
La bande : frère, sœurs, amis, copains… se baigne pendant des heures, entre sieste sur le sable brûlant, cinéma américain et jeu de guerre «dans les dunes boisées de la vieille tante Donat… » L’état d’esprit de l’enfance relève de l’impermanence et du provisoire, entre fragilité, sensations et rêves. La comédienne retrouve, scène après scène, d’un costume à l’autre, le temps perdu, celui des soirées estivales aux désirs changeants. Tous les amoureux ont la folie de l’inconstance, comme dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Capable de voir la vie telle qu’elle est, catastrophique et désenchantée, la future actrice à l’esprit vif et sans préjugés pour qui tout semble ouvert, éprouve nombre de frustrations. Lui est au moins consenti « le vert paradis des amours enfantines, comme disait Charles Baudelaire, l’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs.»
Un tableau de Jeunes Filles en fleurs revient sans cesse illuminer de ses fraîches couleurs, de son sel et de son rythme, la mémoire des temps passés. Une ligne de jeunes gens, main dans la main, descend en hurlant les dunes élevées pour affronter les rouleaux d’une étendue marine toujours en fureur. Cette bande de jeunes amis face à l’immensité des vagues dressées, enflées et bouillonnantes d’écume, se donne le luxe d’affronter une mer en fête, vagues et rouleaux, avec crainte et espoir : balancements, danse, mouvements d’ascensions et descentes.
Flore Lefebvre des Noëttes, en maillot de bain ensoleillé, énergique et pleine de santé, nous offre le plaisir heureux de braver les tourments. Le public de Juliette et les Années 70 a l’impression que cet été-là ne finira jamais : il faut savoir en profiter avant qu’il ne s’enfuie. La comédienne se rue sur son passé pour qu’il rende gorge, roulé et piétiné sur le sable…
Véronique Hotte
Festival d’Avignon. Théâtre des Halles rue du Roi René, du 6 au 29 juillet à 14h, relâche le lundi.