Candide Qu’allons-nous devenir?

 

Candide Qu’allons-nous devenir? d’Alexis Armengol d’après Voltaire

CR : Florian Jarrigeon

CR : Florian Jarrigeon

«Notre Eldorado pour cette création, dit Laurent Séron Keller, était de la faire dans l’intimité de notre théâtre, comme si nous préparions une fête grandiose dans notre cuisine…» Les musiques de Rémi Cassabé qu’il interpréte sur toutes sortes d’instruments,  et les projections de dessins ludiques en noir et blanc de Shih Han Shaw éclairent cet étrange et réjouissant carnet de voyage. Nous avons souvent vu des adaptations scéniques de ce célèbre roman. Ici, c’est une version minimaliste mais très efficace, comme une sorte de conte intime en solo qui nous est proposée.

« Ce texte, dit Laurent Séron Keller, n’est pas né d’une pensée philosophique ex nihilo, il est le fruit de chocs émotionnels qui marquèrent de façon radicale et durable sa propre conception de la vie : le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 (200.000 morts) et la guerre de Sept Ans (1756-1763), des plus sanglantes, l’ont bouleversé et sont le point de départ d’un raisonnement poétique et humoristique. « Presque toute l’Histoire est une suite d’atrocités inutiles ».

Ainsi les raisons de douter de l’homme et de Dieu sont innombrables :  guerres, intolérance religieuse, violences de l’Inquisition, esclavage et pratiques barbares… Sans compter les malheurs et souffrances dont l’homme n’est pas responsable mais qu’il doit subir. Face à cette banqueroute de l’humanité, Voltaire se gausse de la philosophie optimiste qui affirme que Dieu est parfait, et que « le monde ne peut pas l’être mais que Dieu l’a créé le meilleur possible » (….) autrement dit chaque malheur qui s’abat sur le monde ferait en fait partie du grand plan de Dieu, dont le dessein est au bénéfice de l’Humanité. Il n’en critique pas moins le fatalisme qui dit : à quoi bon, on ne peut rien n’y faire. Ou le pessimisme absolu qui y conduit : il n’y a rien à faire. »

La compagnie Théâtre à Cru fondée en 2002 à Tours, a monté une dizaine de spectacles singuliers qui sont «une manière d’engager la conversation, d’engager le sens» et qui peuvent se jouer hors les murs. Ici, juste une table de cuisine, et on présente la devise de Candide : « Il n’y a point d’effet sans cause (…) et tout est au mieux dans le meilleur des mondes». Affichées aux murs de la scène, il y a de petites  pancartes, où sont écrites des phrases extraites de Candide,  puis on évoque les épisodes essentiels du roman, comme la rencontre de Candide et de Cunégonde, la colère du baron qui le chasse, l’incorporation du jeune homme dans l’armée des Bulgares, l’aventure de Candide et Pangloss partant pour Lisbonne où le tremblement de terre est figuré par un jet de granulés rouges. Mais aussi l’autodafé où Pangloss est pendu, et dont Candide réchappe. On retrouve le frère de Cunégonde vivant qui chasse Candide dont il ne veut pas comme beau-frère.

Tout se termine par des retrouvailles au goût teinté d’amertume : Candide peut enfin épouser Cunégonde, même si elle est devenue très laide, mais il aura aussi la chance de cultiver son jardin: cela l’aidera un peu à vivre.  Mais terrible constat que fera Candide:  personne ne lui donnera jamais la réponse à l’interrogation existentielle qui le taraude: pourquoi le mal existe-t-il?

Edith Rappoport

La Manufacture 2a rue des Ecoles, Avignon, jusqu’au 29 juillet.


Archive pour 11 juillet, 2017

Jaz de Koffi Kwahulé, mise en scène d’Alexandre Zeff

 

© Clara Pauthier.

© Clara Pauthier.

Jaz de Koffi Kwahulé,  mise en scène d’Alexandre Zeff

Ce poème musical interprété par Ludmilla Dabo, belle femme noire accompagnée par quatre  musiciens du Mister Jazz band,  un peu cachés derrière une sorte de cabine où elle se déploie, a la force d’une gifle théâtrale. C’est le récit d’un viol, vécu par beaucoup d’entre nous  mais que nous n’avons pas toujours eu la force de dénoncer…

Elle se dandine langoureusement debout dans sa cabine, enlève sa perruque, entame un strip tease, et se retrouve seins nus, en jupette. Puis Ludmilla Dabo monte dans les gradins, avant de retrouver sa cabine où, assise sur une cuvette de toilettes, elle raconte son viol.

Elle s’écroule puis se relève, et s’allonge dans une lumière rouge. On entend au plafond, des coups de massue, on voit un masque blanc qui tremblote entre ses mains. Elle le porte et le dépose : «Orisha est morte, asphyxiée par le masque blanc ! ». Puis elle se met torse nu, on voit ses seins tatoués : «J’ai tiré, il s’est effondré en me regardant avec des yeux ahuris !  C’était la première fois, je ne suis pas ici pour parler de moi, mais de jazz». (…) « Que peut-elle espérer de mieux, maintenant qu’elle a été chassée de l’arc-en-ciel ? ». Elle tire un coup de feu. « Cette fois, dit-elle, c’est moi qui décide ».

Malgré une sonorisation trop forte d’un accompagnement musical déjà envahissant et qu’il faudrait absolument revoir d’urgence -on a en effet souvent du mal à entendre ce beau texte-, on goûte la révolte d’une femme qui a fini par triompher d’une agression indicible…

Edith Rappoport

Chapelle du Verbe Incarné, à 19 h, relâche les 13, 20 et 27 juillet.

 

No Border (titre provisoire), texte de Nadège Prugnard

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No Border (titre provisoire), texte de Nadège Prugnard

De la parole et du sens, voilà en substance ce que nous offre Nadège Prugnard, préleveuse de mots dans le terreau du réel, comme d’autres carottent la banquise. Il y a deux ans, Guy Alloucherie avait confié à celle qui dirige la compagnie Magma Performing Théâtre, un nouvel arpentage : la jungle de Calais.

Il prépare avec sa compagnie Hendrick Van Der Zee une exploration circassienne de cette grande tragédie de toujours, intensément contemporaine, la migration. Pour cela, il s’appuie sur une auteure de talent. Attention, rien de la posture de l’artiste qui descend de sa tour d’ivoire pour ausculter de loin les êtres en souffrance. Nadège Prugnard a usé ses semelles dans les bars, et sur les routes du Cantal (voir Le Théâtre du Blog),  et a rencontré femmes en lutte, militant-e-s ruraux pour amplifier avec superbe leurs maux souvent tus. Elle se pose résolument la question de la frontière entre l’autre et soi, de l’intime et de l’impudeur, et n’hésite pas à se confronter à sa propre impuissance, à ses exils, à ses errances.

Quand nous l’avons écoutée une première fois à la Chartreuse (profitons-en pour saluer cet admirable lieu de résidences d’écriture), elle en était encore à une étape de défrichage, face à des monceaux de rushs sonores. Sa proposition se vivait comme un jet, comme une sorte de poème ininterrompu où se mêlent des centaines de voix d’hier et d’aujourd’hui, voix d’exils, traduites par fragments, comme tombées d’une tour de Babel à la démocratie branlante. La simplicité d’un : «Je suis perdu» nous transperce. Il y a ceux qui ne veulent pas parler, ni être pris en photo. Il y a la litanie des prénoms, des pays d’origine, des mots à pleurer, de l’anglais de cuisine, la langue de la bricole.

Il y a l’avis des gens qui savent, qui disent qu’on «ne fait pas de théâtre avec de bons sentiments». Il y a la beauté comme vaccin contre le fascisme. Nadège Prugnard creuse la terre et la boue, en exhume le vers, ce versus latin, ce sillon de la charrue, plaie béante à ciel ouvert. Elle y décèle les bombes pernicieuses de l’ultra-libéralisme qui nous tue tous, qui enfume salement nos impuissances et nos révoltes. «Je fais remonter le poème avec les doigts», dit-elle. Et explose à intervalles réguliers ce refrain: « nos tremblements couronnés et trahis», puis surgit comme une fusée de détresse, la peur d’Idir : « Je me sens pas réel. »

IMG_6146C’est un grand texte debout, un écrit au tissage cosmopolite qui entrelace les témoignages de migrants, mais aussi ceux d’habitants et de bénévoles, qu’on entend moins souvent.  Dans un style irrigué par la rue et le rock, ses terres d’élection.

Ça pue le vrai, le vivant, la douleur et la joie. Ça embaume aussi: métaphore enivrante et omniprésente de Vénus, étoile, guide, besoin d’amour, «comme on frappe un amoureux, comme on embrasse un monstre ». Alain Bashung rôde.

Mots crus en intraveineuse, langues tout en en cris, larmes et tambours, rythme enflammé par la lave de l’émotion… Nadège Prugnard éruptive et sensible, sait nous parler d’eux, de nous. Elle nous réapprend à écouter ce grand hurlement de l’Histoire, là, tout proche. Nous suivrons de très près la création qui suivra.

Stéphanie Ruffier

Quarante quatrièmes rencontres d’été de la Chartreuse, Villeneuve-Lez-Avignon, lecture par l’auteure. T:  06.85.98.50.63.

Lire aussi le bel ouvrage collectif Décamper aux éditions La Découverte.

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