Sur les ruines d’Athènes, mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot

 


Festival d’Avignon

Sur les ruines d’Athènes, mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot

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Après un coup de projecteur audacieux sur Berlin, la clôture de ce cabaret sur l’Europe imaginé par ces jeunes metteuses en scène du Birgit Ensemble, s’annonçait prometteuse. Les petites formes vues à Paris à la Péniche Pop (voir Le Théâtre du Blog) laissaient présager  un rythme enlevé et un discours politique incisif.
Las, à Avignon, Memories of Sarajevo a suscité quelques enthousiasmes mesurés,  mais  le dernier volet de cette tétralogie, consacré au naufrage financier de la Grèce, a bien déçu.

L’ouverture est pourtant dynamique, voire excitante.  Nous sommes invités au grand jeu de télé-réalité Parthenon Story. Nous pouvons même déclarer notre patrimoine et devenir ainsi super-électeurs. Pour le grand gagnant plébiscité par le public, il gagnera l’effacement de sa dette. Le rêve ! (On apprend d’ailleurs sur grand écran que l’ensemble de la salle est endetté à hauteur de quatre millions d’euros).

 Les candidats, à la dégaine de jeunes étudiants enthousiastes et candides, portent tous des noms mythologiques : Oreste, Cassandre, Iphigénie, avec nombreux clins d’œil à l’appui… Antigone voudrait financer l’opération des yeux de son père, Médée retrouver la garde de ses enfants, Ulysse rejoindre son petit village et investir dans un chalutier.

Le public, hilare, tape dans les mains et collabore à ce grand dispositif tapageur et laid que la télévision nous offre toujours avec un mauvais goût consommé. L’émission est juste un prétexte à faire de la réclame pour une huile d’olive, une banque et une chaîne de remise en forme grecs. Consommez, mais avec joie, s’il vous plaît ! Avec cynisme donc. Message clair ! Les deux présentateurs au sourire inamovible soutiennent le tout avec entrain.

Mais le jeu entre brutalement en collision avec la réalité politique la plus sordide. Au dessus du grand rideau doré où s’engouffrent les candidats, se trouvent nos représentants politiques. Il y a là le président du Luxembourg, celui de la Grèce, Papandréou, et le couple franco-allemand, Sarko et Merkel, lui plein de tics, et elle, radieuse et toujours prête à lancer les privatisations que les autres préfèrent nommer  avec pudeur «désengagement de l’Etat».

 Dominique Strauss-Kahn et Christine Lagarde font aussi des apparitions. L’infantilisation de la Grèce est mise en valeur. C’est parfois un peu drôle mais  souvent caricatural : « La crise grecque pour les nuls » a bien résumé une spectatrice. Scénographie très parlante: un temple corinthien en matière pauvre et clinquante indique avec clarté, une civilisation décadente et vulgaire. On pourrait s’accommoder de cette triste esthétique, mais le texte ne relève guère l’ensemble.

La belle idée de la confrontation de ces deux univers s’essouffle vite, et l’alternance : tractations politiques «historiques», et plateau de télévision ne convainc pas. Et on ne s’attache guère aux personnages. La vidéo fait écran, c’est sûr, mais le peu de matière biographique et l’absence de singularisation des personnages aussi. Et parfois, on s’ennuie franchement. Et les votes sur téléphone portable ne servent à rien : interactivité gadget.

Quant à Europe, la déesse qui fait des apparitions mystiques, elle semble plus carnavalesque que sacrée et, en coryphée, n’a rien de convaincant. Seule sa voix modifiée fait un peu illusion. Mais l’idée d’en faire la Passionaria de la révolte (elle s’immisce dans les rêves des candidats et sème l’insoumission), comme le final sont grotesques, et cela ne fonctionne pas. On nous sert, non d’un véritable ouzo pour trinquer ensemble autour de la grande idée de l’Europe, mais de l’eau à peine aromatisée,insipide !

 Le réveil citoyen et la communion n’auront pas eu lieu. Dommage ! On sent que le désir de vivification politique est sincère et que ces jeunes comédiens auraient beaucoup à donner…

Stéphanie Ruffier

 Gymnase Paul Giéra,  jusqu’au 15 juillet.


Archive pour 12 juillet, 2017

Memories of Sarajevo conception et mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot

 

Festival d’Avignon

Memories of Sarajevo, conception et mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot

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Julie Bertin et Jade Herbulot

A Sarajevo déjà! Gavrilo Princip avait tué l’archiduc François Ferdinand d’Autriche,  ce qui marqua le début de la première guerre mondiale,  et ce conflit en Europe a surtout impliqué la Yougoslavie, la Serbie et la Croatie et commença, quand  l’armée serbe attaqua la Bosnie-Herzégovine le 6 avril 1992.

Après la dislocation de la République socialiste de Yougoslavie, les arrivées au pouvoir de SlobodanMilosevic en Serbie en 86, et de Franjo Tudjman en Croatie en 90, n’arrangèrent rien. En 1991, la Slovénie et la Croatie déclarèrent leur  indépendance, Après un rapide conflit en Slovénie vite éteint, l’armée populaire yougoslave  sous commandement serbe, et les serbes de Croatie, attaquèrent la Croatie. Mais la Bosnie ne voulut pas participer à ce conflit et déclara  son indépendance qui fut reconnue par la Communauté européenne. Comme la République Serbe de Bosnie dirigée par Radovan Karadzic.

Et entre 1992 et 1996, la capitale de Bosnie-Herzégovine, encerclée par l’armée serbe dut subir un siège insupportable de plus de mille jours, ce qui causa la mort de quelque 10 000 habitants, et la ville fut en grande partie détruite. Les accords de Dayton aux Etats-Unis  alors sous la présidence de Bill Clinton, et signés en décembre 1995 à Paris, mirent fin au conflit. Un système de gouvernance tripartite complexe conserva l’intégrité de la Bosnie,  avec une large autonomie aux entités croato-musulmane,  et serbes…

Voici vite résumée, l’histoire de cette tragédie compliquée que Julie Bertin et Jade Herbulot ont eu à cœur de raconter avec leur bande, issue comme elles, du Conservatoire national. Il y a dans ce gymnase surchauffé, une grande scène où Camille Duchemin a imaginé une belle et intelligente scénographie. Avec en bas, une rue avec façade d’immeuble, et en haut, une table de réunion pour les principaux dirigeants dirigeants concernés qui se réunissent régulièrement sans trouver de solution à cette interminable guerre.  « Comment, se demandent les metteuses en scène, embrasser cette histoire qui n’est pas tout à fait la nôtre, en la transformant en récit ? ».
Nous avions vu en avril dernier, une sorte de préfiguration commune de Memories of Sarajevo et des Ruines d’Athènes, dont nous parle Stéphanie Ruffier, à la Péniche La Pop à Paris. Très prometteuse, cette union de deux thèmes politiques, sous forme d’un cabaret avec quelques musiciens, avait quelque chose de ludique, et laissait augurer le meilleur mais nous avions émis une réserve. Avec une équipe plus importante, elles en préparaient les formes complètes mais autonomes pour le festival d’Avignon. Nous précisions que, si ces formes n’étaient pas trop longues et si elles avaient la même force et le même humour, elles devraient faire un tabac.

 
Malheureusement, ici, point de tabac, car aucune force, et pas de trace ou si peu d’humour, au rendez-vous! Certes le spectacle propre sur lui, a bien été organisé et ces jeunes acteurs sympathiques ont tous une bonne diction, ce qui est quand même le minimum syndical. Mais pour le reste, quel ennui, quelle tristesse sur le plan théâtral, quelle platitude!
D’abord à cause d’une dramaturgie indigente; là où il aurait fallu le talent d’un bon scénariste et d’un bon dialoguiste, on ne trouve qu’un déroulé tiédasse et fastidieux du siège de Sarajevo… et bavard, essentiellement sous forme de monologues ou de récits. Même quand on a suivi presque chaque jour, cette guerre interminable, on n’arrive mal à en comprendre le pourquoi:  ici, trop vite mal expliqué mais aussi mal dramatisé. Et où les personnages principaux chefs de gouvernement ne sont que des silhouettes… assumées par des hommes ou des femmes, c’est selon.

Bref, un bon documentaire clair et précis aurait mieux fait l’affaire. On peut aussi se demander si en fait, ce n’était pas une  fausse bonne idée que de porter à la scène une guerre aussi compliquée… Il n’y a aucune progression dramatique, et régulièrement, s’affiche en vidéo, le nombre de jours que dure le siège, ce qui n’arrange pas les choses. D’autant que cet interminable récit dure plus de deux heures! On est sidéré par ce défaut de dramaturgie-qu’on avait déjà remarqué dans le premier opus de cette tétralogie Berlin, qui avait, par ailleurs, de réelles qualités (voir Le Théâtre du blog) mais auquel on pouvait remédier. Et pourtant ces jeunes metteuses en scène ont été élèves du Conservatoire national. Là, on ne comprend pas!

En fait, ce qui était réussi et charmant avec un cabaret un peu plus d’une heure, devient d’une rare prétention et assez foutraque en plus de quatre heures et en deux épisodes! Dommage!  Notre amie Stéphanie Ruffier n’est pas non plus sortie bien joyeuse de la dernière partie… Il y a pourtant une scène poignante, repérée aussi par un mien confrère, où les malheureux habitants de Sarajevo se réunissent dans les ruines d’un immeuble pour mettre en commun quelques portions alimentaires et essayer de les faire cuire avec ce qui reste de morceaux de bois récupérés dans les appartements abandonnés. Tout d’un coup, dans cet océan d’ennui, il se passe enfin quelques chose et on sent toute la détresse de ces hommes et femmes, crevant de faim, malheureux depuis deux ans et qui, malgré tout, arrivent à survivre. Ils parlent vraiment entre eux, loin de cette sèche et fastidieuse litanie d’événements.
A la fin, avec la réunion au sommet des principaux dirigeants impliqués dans cette guerre, il y a quelques beaux instants. Mais sur plus de deux longues heures le spectacle ne tient pas la route, et nous n’avons donc aucune raison de vous le conseiller.

Philippe du Vignal

 Gymnase Paul Giéra jusqu’au 15 juillet.

Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad

 

Crédit photo : Michel Cavalca

Crédit photo : Michel Cavalca

 Festival d’Avignon

Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, adaptation de Joël Jouanneau, mise en scène de Michel Raskine

 Charlie Marlow, fonctionnaire missionné et narrateur d’Au Cœur des ténèbres de Joseph Conrad, donne un rythme énergique au récit, comme à la vitesse du bateau qu’il dirige. Une expérience existentielle et une aventure marine singulière qui transforment son narrateur sensible et inquiet, quant au sens absolu à donner à  sa présence  au monde. Récit de voyages et d’aventures, tel est ce conte métaphysique à travers lequel le personnage apprend à se connaître, en s’accomplissant dans une traversée des ténèbres, des mondes inconnus et ensauvagés que nient les conventions.

Le narrateur, anonyme, est remplacé par le fameux Charlie Marlow, qui raconte son voyage sur le fleuve africain, à la recherche d’un mystérieux marchand d’ivoire, Kurtz, qui se révèle un aventurier à l’aura poétique mystérieuse, au charme viril, dont le premier entend les récits envoûtants et sulfureux du second, avant qu’il ne meure. Joseph Conrad, le narrateur, ou Marlow ou Kurtz, a navigué en réalité au Congo de 1874 à 1894 sur les mers, comme matelot, officier puis capitaine.

Michel Raskine ajoute à la trilogie conradienne Le Bateau ivre (1871) du poète Arthur Rimbaud, que le lumineux Thomas Rortais scande et déclame avec panache ; il révélateur  la teneur sacrée dont témoignent toutes les aventures inouïes  dont un jeune homme à l’aube de sa vie, peut rêver : » Comme je descendais des fleuves impassibles/ Je ne me sentis plus guidé par les hauteurs / Des peaux-rouges criards les avaient pris pour cibles/Les ayant cloués aux poteaux de couleurs/J’étais insoucieux de tous les équipages/ Porteur de blés flamands ou de cotons anglais… Les fleuves m’ont laissé descendre où je voulais … » L’acteur virevolte de cour à jardin, puis escalade trois praticables superposés qui figurent la structure altière ou la carcasse d’un bateau avec pont, étages et coursives. Le diseur à la tête juvénile apparaît ici ou là, et maître à bord, contemple la mer à l’infini et le public, menant la danse, sûr de ses mouvements.

Il tire un drap, drapeau de navire et citation rimbaldienne, et surgit une figure conradienne,  dans une pose méditative, en costume et bonnet noirs, chemise blanche.  Marief Guittier incarne alors cet homme des mers que le mystère enveloppe.

Diction rythmée et rapide pour une parole poétique assumée, la conteuse invite le spectateur à la suivre – lui, l’homme des grands espaces océaniques inexplorés :« Quand j’étais petit garçon, j’avais une passion pour les cartes. Je passais des heures à regarder l’Amérique du Sud ou l’Afrique, ou l’Australie, et je me perdais dans toute la gloire de l’exploration… » Le narrateur enfant se souvient des espaces blancs inconnus qui l’attirent, et l’un plus particulièrement qui deviendra un espace de ténèbres qu’il explorera à fond…A la fin, résonnent les paroles de This is the end par Jim Morrisson des Doors.

Un joli moment de théâtre qui fait la part belle à la poésie de l’existence rude.

Véronique Hotte

Jusqu’au 30 juillet à 18h, relâches les 11, 18 et 25 juillet. Le Petit Louvre, Avignon.

 

 

 

Le Sec et l’humide

 

Festival d’Avignon :

 

Le Sec et l’humide de Jonathan Littell, mise en scène de Guy Cassiers

 

(C)Christophe Raynaud de Lage

(C)Christophe Raynaud de Lage

Après avoir créé Les Bienveillantes l’an passé, d’après le roman éponyme de Jonathan Littell, qui critiquait la malveillance existentielle, Guy Cassiers  avec sa compagnie Toneelhuis d’Anvers, poursuit sa quête de sens, en revenant avec  un spectacle fondé sur un texte du même auteur franco-américain, où sont analysés langage et métaphores des écrits fascistes, dont La Campagne de Russie 1941-1945 du Belge Léon Degrelle (1906-1994) à Malaga, journaliste et directeur de presse engagé dans la mouvance catholique belge, il fonda le parti nationaliste Rex, proche des milieux catholiques, qui devint vite un parti fasciste.  Puis il se rapprocha d’Hitler et des nazis pendant la guerre , puis collabora de près eux quand ils occupèrent son pays.

D’un côté, la volonté ordonnée, sèche et nette des Allemands et des sympathisants belges de la cause nazie,, et de l’autre, la présence débraillée, désordonnée, poisseuse et humide, du monde russe qui peut contaminer ses adversaires allemands. La mise en scène participe d’une lecture académique par le comédien Filip Jordens, dont la voix déraille et quitte peu à peu ses repères, en se confondant étrangement avec celle de l’inquiétant Degrelle.

L’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique) a donné à Guy Cassiers la possibilité d’effectuer des expériences sur le son et la voix, grâce à des enregistrements historiques conservés dans des archives. Le spectacle suit ainsi le fil de l’épopée de Léon Degrelle en Russie et le récit de sa fuite vers l’Espagne. Mais, de façon irréversible, la frontière entre narrateur et sujet finit par disparaître.

A mesure qu’il avance dans son exposé, l’identification du chercheur à Léon Degrelle va grandissant, dans une confusion croissante entre l’Histoire et le présent : le narrateur se met finalement lui-même en scène, en devenant l’objet de son récit. Avec, d’un côté, la verticalité fière de l’idéologie fasciste et de l’autre, la boue communiste.

 Le travail sur la langue et la voix, à travers les outils d’exploration développés par l’IRCAM, se révèle être une extraordinaire aventure acoustique : pouvoir restaurer la voix d’un personnage, à partir d’échantillons originaux, pour ainsi recréer le vivant. A elle seule, la langue peut façonner une vision fasciste du monde, réalité et identité. En même temps, se déconstruit sous nos yeux la relation naturelle entre un corps et une voix : on ne distingue plus le conférencier objectif, de Léon Degrelle : ici, l’historien se laisse absorber sans retour par son sujet jusqu’à l’identification. Avec un jeu des ambiguïtés et identifications involontaires sur le plateau.

Les photos et images d’archives, nettes et cadrées, laissent la place à des portraits indistincts des deux intervenants :confusions et amollissement des formes « coulées » à la Francis Bacon, déformation, transformation, disparition, fuite.

 Avec les images  vidéo comme avec le son, Guy Cassier a travaillé à une belle déconstruction et Filip Jordens s’amuse à se faufiler entre voix et identités physiques. Ce spectacle rigoureux ouvre sur l’imaginaire, danse entre musique, voix et corps, et donne à voir et à entendre les glissements politiques et pertes dangereuses d’identité dont nul ne sort absolument indemne, hier comme aujourd’hui.

 

Véronique Hotte

 

Védène, les 9, 11 juillet à 15h, et  les 10 et 12 juillet à 15h et 18h.

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