Standing in time de Lemi Ponifasio
Festival d’Avignon
Standing in time de Lemi Ponifasio
La dernière création de cet artiste samoan et néo-zélandais s’inscrit dans le cadre d’un travail commencé il y a quelques années avec des femmes de la communauté MAU (« Ma destinée» en samoan). Tenir debout dans le temps résonne tel un cri de résistance, comme pour répondre à la question du metteur en scène: «Pourquoi ces femmes ont-elles disparu du paysage social ?» Il nous convie à une pratique scénique fort éloignée du spectaculaire et des provocations mercantiles, et fait écho à des gestes ritualisés ancestraux, aux fonctions sacrées du théâtre.
Un grondement permanent, murmure du fond de l’univers, se répand dans l’espace de la cour du lycée Saint-Joseph. Ici, le rituel, occupe une place majeure. Point de prompteur pour suivre la traduction des chants maoris. Avec des mots scandés par des cris discrets ou plus sonores, des sortes de prières proférées par huit femmes- des prêtresses ?-en longues robes noires.
La musique est ici celle de la voix, et de son mystère et de sa théâtralité. Proche d’un chœur, ces femmes (toutes maories, sauf une Indienne du Chili), qui sont, au début assises côté cour sur un banc et serrées les unes à côté des autres, font face côté jardin, à une autre femme, ronde et d’âge mur, la Terre-Mère peut-être…
Au sol, juste quelques pierres, armes de défense ou vestiges de luttes passées et encore à venir. Noir et blanc, ténèbres et lumière… Ce spectacle mêle avec grâce danse, chant et son, avec un hommage d’une grande beauté, poignant et sans détour, rendu à la femme, à ses pouvoirs et aux persécutions qu’elle a subies depuis la nuit des temps. Magnifique et graphique, le moment où les femmes jouent avec leur instrument, le « poi » : une boule blanche accrochée avec une cordelette à leur tenue noire. Autre point fort, la venue et la mise en place de la cérémonie sacrificielle, lente et progressive, réussissent à imposer une tension dramatique rare et dérangeante.
Le public se trouve quelque peu désemparé, et sans plus aucun repère, tombe vite sous l’emprise poétique de ce monde étrange et originel, violent mais dont il perçoit une vérité. Ce spectacle cosmique nous libère de notre esprit parfois trop rationaliste, et formaté pour consommer.
Il réussit à traverser notre conscience pour laisser se manifester en nous, une perception plus dionysiaque et sacrée de l’existence. Ici tradition et contemporain se donnent la main comme pour regarder autrement notre destinée. Pour Lemi Ponifasio, l’important est de créer, pour une « réhabilitation de la civilisation ».
Elisabeth Naud
Le spectacle s’est joué au lycée Saint-Joseph, jusqu’au 10 juillet.