Le voyage de Dranreb Cholb, texte et mise en scène de Bernard Bloch

 Avignon

Le voyage de Dranreb Cholb, texte et mise en scène de Bernard Bloch

photo bernard Bloch

photo bernard Bloch

Il fallait le faire. Bernard Bloch, «seul juif (athée) d’un groupe de trente-sept catholiques progressistes», est allé en Cisjordanie et en Israël dans le cadre d’un voyage organisé par Témoignage Chrétien. Avec eux, il a passé assez facilement les innombrables  « check points » : ils n’étaient pas Palestiniens, ni « Arabes » et lui n’était pas juif, sinon clandestinement.

 De mur en mur, tous méritant des lamentations, de Ramallah à Bethléem et à Hébron, d’un lieu sacré et tragique, à un autre lieu sacré et tragique, Bernard Bloch a éprouvé ce que c’est que de «voyager (ou penser) contre soi-même». En Israël, ensuite, il a rencontré une partie de sa famille, parmi les fondateurs de l’Etat hébreu : nouveaux chocs, nouveaux étonnements. Rien n’est simple ni schématique. Écouter, parler, observer, ressentir : des vérités complexes se font jour.

De tout cela, Bernard Bloch a fait un récit, puis un spectacle. Il joue lui-même, de dos, comme un appui solide, comme une source d’émotion contenue pour Patrick Le Mauff. Les témoignages qu’il a recueillis, il nous les restitue à l’écran : dix comédiens amis ont prêté leur visage et leur voix au guide palestinien du groupe, à des curés, à un ancien militaire, à une cousine…

Aucun pathos, évidemment, aucun effet, sinon l’essentiel : donner à entendre des paroles vraies. Paradoxalement, cette distance nous les rend très proches. On rit même, quelquefois, comme toujours, quand on touche un point sensible de la vérité. Pas d’illustration non plus : la route est la route, que le bus roule en Cisjordanie ou ailleurs. Et surtout pas de sensationnel : laissons cela aux médias.

Faisons un rêve, dit Bernard Bloch : si, de ce creuset de toutes les guerres, des néofascismes et des terrorismes, naissait la Fédération d’Isratine/Palestaël ? Commençons par le commencement : parler, écouter, ressentir, penser et « voyager contre soi-même ». Ainsi Bernard Bloch, sans la moindre complaisance ni illusion, sans crainte d’affirmer son humanisme, nous donne un spectacle lumineux.

Christine Friedel

Le Cabestan jusqu’au 30 juillet à 20 heures cinquante. T. 04 90 86 11 74
Dix jours en terre ceinte de Bernard Bloch, éditions Magellan & Cie (2017).


Archive pour 15 juillet, 2017

Cap au Pire de Samuel Beckett

 

Festival d’Avignon

Cap au Pire, de Samuel Beckett, traduction d’Edith Fournier, mise en scène de Jacques Osinski

title« Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. »Un homme tout seul, Denis Lavant, poussé dans le dos par un tulle, derrière lequel apparaissent et disparaissent insensiblement, de minuscules constellations, des lueurs… Bloqué à l’avant par le public, emprisonné dans un rectangle de lumière, il parle et  va chercher ses mots tout au fond des mots eux-mêmes, tout au fond de son corps. À la recherche de l’os des mots, à la recherche du rien. Denis Lavant est un acrobate, et son immobilité –à peine lève-t-il parfois la tête avec lenteur- est celle d’un virtuose : compacte, bourrée d’une énergie qu’il ne libère enfin qu’au salut, en une danse du bras  détendant le ressort du corps. Pas un instant, il ne perd l’ampleur, la profondeur et le poids de sa quête du mot, dit, et dé-dit.

Ce faisant, avec son metteur en scène, l’acteur fait exactement ce qu’écrit Samuel Beckett. Ce qu’il vaut mieux faire, en général. Il donne corps au texte mais est aussi le corps du texte. « Encore. Il est debout. Voir dans la pénombre vide comment enfin il est debout. Dans la pénombre obscure source pas su. Face aux yeux baissés. Yeux clos. Yeux écarquillés. Yeux clos écarquillés. Cette ombre. Autrefois gisant maintenant debout. Ça un corps ? Oui. Dire ça un corps. Tant mal que pis debout. Dans la pénombre vide. »

Fouiller dans le texte, et pour le spectateur, fouiller en lui-même, s’immerger dans le texte et le sentir se vider autour de vous comme un siphon : vivre ce spectacle avec Denis Lavant, dans la mise en scène rigoureuse de Jacques Osinski,  ressemble à une aventure.

Cap au pire est une nouvelle, Worstward Ho, dont le titre est justement emprunté au récit d’aventures Westward Ho !  Samuel Beckett, épuisé, s’aventure dans un récit qui se défait, d’ombres qui s’effacent, d’un amenuisement presque ultime. Jusqu’à l’os. On pense à l’image de l’homme qui se dévore lui-même : et qui va manger la bouche ? «Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.»  Et, attention à la ponctuation: elle importe, elle marque chaque marche de l’escalier qui descend vers l’infini, vers le rien, et qui se dérobe.  

Voilà, une fois de plus un Samuel Beckett irrésumable (terme non homologué, mais qui peut s’appliquer à l’homme qui a écrit L’Innommable).  Le résumé est maigre en effet mais le texte, dans sa pauvreté volontaire, dans son ascétisme, d’une richesse inépuisable. Ironie du sort : aucune librairie d’Avignon, ni même de Marseille, n’était, en cette première semaine du festival, en mesure de nous procurer le texte. Beaucoup de spectateurs auraient aimé s’y replonger, y revivre ce qu’ils ont connu au théâtre…

Et ce petit livre, de soixante-deux pages  finalement trouvé à Marseille, eût remplacé avantageusement la critique. Le Théâtre des Halles, une fois de plus, a  été bien inspiré d’accueillir Cap au pire au: une soirée passionnante, poignante, digne, sidérante (et encore quelques riches adjectifs qui auraient agacé  Samuel Beckett), et à ne manquer sous aucun prétexte… si vous avez la chance d’obtenir une place.

Christine Friedel

Théâtre des Halles, à 22h jusqu’au 29 juillet. T. 33(0)4 90 85 52 57

 

Ramona, texte, mise en scène, marionnettes et scénographie de Rezo Gabriadze

 

 

Festival d’Avignon

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Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

Poète aux langages divers: écriture, dessin, sculpture, fabrication, peinture et composition musicale, Rezo Gabriadze, en artiste accompli, travaille dans un théâtre qu’il a fondé, en 1981, à Tbilissi (Géorgie). Le domaine du maître recouvre l’art de la marionnette et le théâtre d’objet : les figurines colorées évoluent parmi des objets pittoresques qui les caractérisent. Dans un monde où l’humour et sourires, jugements piquants et moqueries bienveillantes redonnent vie à l’enfance disparue, encore bien présente.

Chez Rezo Gabriadze, la relation est étroite entre l’inanimé, susceptible de mouvements, et l’intériorité. Dans ce tissu de rêves et dans une féérie presque palpable, il reste la mémoire de la réalité de l’Union soviétique, avec un excès d’autorité et une étroitesse d’esprit. Le chef de gare en uniforme, glaçant, avec un marteau tyrannique à la main, n’inspire pas la sympathie et provoque l’effroi, quand il surgit brutalement dans des apparitions régulières et suscite l’horreur.

 Dans une gare de l’Union des Républiques soviétiques (URSS), se démène Ramona, locomotive optimiste, curieuse et vive, qui s’éprend d’un solide engin d’acier, Ermon. Rezo Gabriadze  s’est inspiré d’une note de Rudyard Kipling :  «Les locomotives, avec les moteurs de bateau, sont les machines les plus promptes à éprouver des sentiments.» Le marionnettiste entretient ici une relation privilégiée avec la locomotive et le chapiteau de cirque, symboliques témoins d’un monde enfui.

Une occasion pour lui de déployer les mouvements intérieurs de ces cœurs en peine,  celui de la locomotive Ramona, figure radieuse, trop solitaire, selon son goût à elle, et qui aimerait bien que le train Ermon croise son chemin. Heureusement, placé sur la trajectoire des deux amants éloignés, un cirque et sa troupe d’acrobates, avec toute la magie des saltimbanques, entoure cette histoire d’amour ferroviaire que contrarient les missions d’un train viril, alors que la sage locomotive est assignée à résidence,  près de sa gare d’origine, empêchée de se mouvoir en adulte.

 La scénographie relève des petites merveilles que l’on dispense avec  trop de parcimonie : des trains passent en sifflant, petites chenilles aux fenêtres éclairées dans la nuit noire, lignes de vagues lumineuses qui montent et descendent, dans des «montagnes russes», en pleine Géorgie. Nous  redevenons des enfants avec plaisir, et suivons du regard tous les trains stridents du monde qui sillonnent les espaces géographiques,  et nous invitent au rêve et au voyage,  que nous soyons jeunes ou non. Ramona, l’héroïne, est particulièrement mise à l’honneur, gracieuse et féminine, et le train Ermon donne la preuve de son activité tendue.

Les acrobates-hommes ou femmes-marionnettes miniaturisées, semblent voler dans les airs et la tente du chapiteau coloré du cirque, est tendue, comme il se doit, grâce à des pieux et des fils visibles. Il suffit que, silencieux et suivant le timbre  d’une voix enregistrée, les manipulateurs nous offrent tout l’art délicat et subtil des marionnettes à fil. Accompagné par la voix off et par les musiques et les chants, les scènes s’enchaînent et la narration agit au plus près des sentiments, et nous  offrent des images claires, dans une exploration judicieuse, gratifiante et infinie, entre passé et présent…

 Véronique Hotte

 Maison Jean Vilar, Avignon, jusqu’au 17 juillet, à 16h et 19h.

 

 

 

 

 

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