L’Avenir dure longtemps, d’après de Louis Althusser, adaptation et mise en scène de Michel Bernard
Festival d’Avignon
L’Avenir dure longtemps, d’après L’Avenir dure longtemps de Louis Althusser, adaptation et mise en scène de Michel Bernard
Le spectacle dont le titre est celui l’autobiographie posthume du philosophe marxiste Louis Althusser (1918-1990), qu’interprète ici l’excellent Angelo Bison, a quelque chose d’énigmatique. Professeur à l’Ecole normale supérieure de Paris, icône des intellos, est soigné pour des troubles psychiques dont il souffre depuis longtemps …
Louis Althusser étranglera son épouse Hélène Rytman, au matin du 16 novembre 1980, dans son appartement de Normale Sup’ que l’on videra, sans son consentement. Ce qui le blessera ! Stupéfaction de ses collègues, enseignants, étudiants, face à ce grand esprit qui s’est égaré à jamais, et consternation face à la réalité!
Il aura influencé Jacques Derrida, Claude Levi-Strauss, Jacques Deleuze, Michel Foucault, Jacques Lacan, Pierre Bourdieu… Déclaré irresponsable pour démence, il est soigné à Sainte-Anne, mais bénéficiera d’un non-lieu.Le maniaco-dépressif se souviendra des électrochocs infligés par l’effrayant Staline à un soignant, parce qu’il portait comme lui, la moustache…
Deux années d’internement dont l’issue correspond à une prise de parole autonome : le criminel «involontaire» ou «absent à lui-même», veut assumer son acte. L’irresponsabilité juridique qui le frappe, atteint profondément le maître qui voudrait pouvoir se défendre en public, et rendre ainsi rationnel un geste qui ne saurait recevoir la moindre tentative d’élucidation. Le criminel voudrait un procès qu’on lui refuse, alors qu’il aimait tant discourir et convaincre son auditoire qu’il fascinait par son intelligence. Quand il s’analyse, il en souffre : “Le destin de ce non-lieu est devenu la pierre tombale du silence, alors que je suis vivant. Désormais, ni mort, ni vivant.”
Louis Althusser raconte de manière magnifique sa vie de penseur: difficultés affectives dès l’enfance, fragilité mentale, relation douloureuse avec la petite Hélène à qui, dès la première rencontre, il prend la main sous son manteau. Ces âmes se reconnaissent tout de suite, lui plus jeune de huit ans et séducteur : “On vivait tous les deux dans la clôture de notre enfer.” Il se souvient des souffrances infligées à Hélène par inadvertance et/ou par calcul, quand il séduit des étudiantes sous son nez, mais le coupable fait amende honorable…
L’excellent Angelo Bison porte une parole claire et bien articulée, aussi aigüe et ardente. Assis sur un tabouret, devant un drap blanc et des écrans vidéo montrant les toits de Paris , ou les barreaux de la prison sous la neige qui tombe, l’acteur instille les élans du cœur et de la pensée, et le public est rivé à ses paroles. Comment peut-on échapper à soi-même, un spectacle magnifique, presque envoûtant…
Véronique Hotte
Théâtre des Doms, Avignon, jusqu’au 26 juillet, à 10h30.