Dans la jungle des villes de Bertolt Brecht, mise en scène de Jérémie Stora
Dans la jungle des villes de Bertolt Brecht, mise en scène de Jérémie Stora
Neuf jours avant sa mort, en 1956, Bertolt Brecht adressait ce message aux membres du Berliner Ensemble, lors d’une tournée à Londres: «Nous devons donc jouer vite, léger et vigoureux. Il ne s’agit pas d’excitation, mais de rapidité, non pas seulement jouer vite, mais pour penser vite. Ces répliques ne doivent pas être dites avec hésitation, comme l’on offre à quelqu’un sa dernière paire de chaussures, mais elles doivent être lancées comme des balles». La jeunesse et l’énergie de l’équipe de comédiens répond bien ici à ces conseils, plus de soixante ans après la disparition de leur auteur.
Ecrite en 1921, sa deuxième pièce s’inspire de deux romans qui ont pour cadre Chicago: La Roue de Johannes Jensen (1905) et La Jungle d’Upton Sinclair (1906) et sera montée pour la première fois en France au Studio des Champs-Élysées, à Paris, en 1962, par Antoine Bourseiller, avec Sami Frey.
Deux hommes s’affrontent : Shlink s’adresse à Garga pour lui acheter ses opinions et son libre arbitre. Ce combat singulier n’aura pas de vainqueur : Shlink va mourir détruit par celui qu’il voulait humilier et Garga, resté seul, voit sa vie et son entourage s’effondrer. Cette version de la pièce reste d’actualité même réduite à une heure vingt et tout à fait compréhensible; elle a été autorisée par les éditions de l’Arche, détentrices des droits. Deux belles comédiennes et quatre comédiens, dont Jérémie Stora, jouent successivement plusieurs rôles, et s’engagent totalement dans ce drame destructeur de l’être humain.
Dans une salle de cinquante places, sur un espace de jeu exigu, le metteur en scène a réalisé une scénographie astucieuse : sur des boîtes et châssis noirs mobiles, des inscriptions à la craie pour indiquer les éléments de décor, et trois portes pour aller vite changer de costumes.
«On nous montre nos amours, nos jalousies, nos rêves de meurtre, et on nous les montre à froid séparés de nous, inaccessibles et terribles, d’autant plus étrangers que ce sont les nôtres, que nous croyons les gouverner, et qu’ils se développent hors de notre atteinte avec une impitoyable rigueur que nous découvrons et reconnaissons tout à la fois.» Jean-Paul Sartre parlait ainsi de la distanciation brechtienne. Une distanciation renforcée ici avec la lecture des didascalies au mégaphone, par le metteur en scène, lors de courts moments où le jeu se fige.
Des masques d’animaux, brièvement endossés par les comédiens, ajoutent une touche de légèreté à ce combat. Initiative audacieuse que d’avoir monté Brecht dans le Off car, aujourd’hui, la plupart des spectateurs ne savent plus qui est cet auteur passé de mode dans la plupart de théâtres de l’Hexagone.
Jean Couturier
Pixel Avignon 18 rue Guillaume Puy, jusqu’au 30 juillet, relâche le 25 juillet.
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