Grensgeval (Borderline) d’après Les Suppliants d’Elfriede Jelinek
Festival d’Avignon
Grensgeval (Borderline) d’après Les Suppliants d’Elfriede Jelinek, mise en scène de Guy Cassiers, chorégraphie de Maud Le Pladec
Des réfugiés franchissent la Méditerranée, au péril de leur vie, dans des bateaux de fortune. Mais arrivés sur la terre ferme, ils rencontrent l’incompréhension d’un monde, en proie à ses propres peurs et à ses questionnements, à la fois concerné et impuissant. Le metteur en scène belge a choisi, pour traiter ce thème brûlant, Les Suppliants où l’auteure autrichienne interroge sans concession notre rapport à l’étranger. Il s’est associé à Maud Le Pladec pour explorer ces relations croisées entre nous et les autres.
Quatre acteurs se partagent ce texte radical et provocateur, en forme d’oratorio, donnant alternativement la parole aux migrants et aux habitants de ces terres d”accueil. Un chœur de quinze hommes et femmes qui dansent, et l’onirisme des images vidéo de Frederik Jassogne sont censés contrebalancer la violence des mots. Mais… difficile de lire l’abondante littérature qui s’affiche sur les écrans de surtitrage et de suivre en même temps les évolutions des danseurs, surtout dans la première partie, le voyage en bateau, où les corps, dans le clair-obscur du plateau, se glissent sous des planches instables.
«Le bateau est comme une pelote d’épingles, l’eau est plus épaisse que le verre » dit un récitant, dont le visage s’affiche en gros plan en fond de scène, en même temps que celui des autres acteurs. L’arrivée en « terre promise ”, deuxième partie de ce chemin de croix, se manifeste par l’irruption d’une dizaines d’écrans, sur une musique électro-pop, dans une climat de boîte de nuit violemment éclairée. Ces montages de photos et d’extraits de films d’actualité projetés se superposent , tandis que le texte d’Elfriede Jelinek évoque la «conquête du monde par l’image » qui tirent des larmes de compassion, comme « La photo de l’enfant sur la plage qui a fait le tour du monde entier ». Mais, bientôt, vient l’intolérance : « l’odeur est insupportable (…) C’est inconcevable (…) Ces gens ont dépassé les bornes …» tandis que le chœur chante : «Laissez-venir à moi les petits enfants. »
Troisième temps du spectacle, les acteurs mêlés aux danseurs, sont confinés dans un lieu d’attente, derrière de hauts murs. Une église ? «Nous sommes en vie, l’essentiel, c’est ça, disent-ils. » Mais où iront-ils? Leur patience est à bout : «Nous supplions dans une langue que nous ne parlons pas » et, de son côté, la population du cru fait entendre son mécontentement : « Fuyard étranger, quelqu’un comme ça ne peut être ici ! » « Nous sommes venus mais nous ne sommes pas du tout accueillis, constatent les migrants »…
Illustrer par la danse, ce beau texte nécessaire, touffu et puissant, relevait de la gageure… et Guy Cassiers et la chorégraphe ne parviennent pas à nous convaincre. Une surabondance de signes et surtitres perturbe la réception, et les danseurs restent souvent au second plan. Ici, les médias sonores et visuels redondants ont du mal à cohabiter sur le plateau. Malgré de belles images et un texte important, l’ensemble a du mal à passer la rampe. Dommage car ce projet généreux révèle avec pertinence notre incapacité à envisager une question qui nous concerne pourtant violemment.
Mireille Davidovici
Parc des expositions, Avignon sud, jusqu’au 24 juillet. (Navette payante gare routière d’Avignon centre).
Les 20 et 21 septembre, Stadsschouwburg Amsterdam
Et du 5 au 7 octobre, Centre dramatique national d’Orléans Centre-Val de Loire.
Les 12 et 13 octobre, Le Phénix Scène nationale de Valenciennes ; les 18 et 19 octobre, La Filature, Scène nationale de Mulhouse et le 26 octobre, Toneelhuis, à Anvers.
Les Suppliants d’Elfriede Jelinek, traduit par Magali Jourdan et Mathilde Subottke, est publié aux éditions de l’Arche.