Grensgeval (Borderline) d’après Les Suppliants d’Elfriede Jelinek

 

(C)Christophe Raynaud de Lage

(C)Christophe Raynaud de Lage

Festival d’Avignon

 Grensgeval (Borderline)  d’après Les Suppliants d’Elfriede Jelinek, mise en scène de Guy Cassiers, chorégraphie de Maud Le Pladec

 Des réfugiés franchissent la Méditerranée, au péril de leur vie, dans des bateaux de fortune. Mais arrivés sur la terre ferme,  ils rencontrent l’incompréhension d’un monde, en proie à ses propres peurs et à ses questionnements, à la fois concerné et impuissant. Le metteur en scène belge a choisi, pour traiter ce thème brûlant, Les Suppliants où l’auteure autrichienne interroge sans concession notre rapport à l’étranger. Il s’est associé à Maud Le Pladec pour explorer ces relations croisées entre nous et les autres.

Quatre acteurs se partagent ce texte radical et provocateur, en forme d’oratorio, donnant alternativement la parole aux migrants et aux habitants de ces terres d”accueil. Un chœur de quinze hommes et  femmes qui dansent,  et l’onirisme des images vidéo de Frederik Jassogne sont censés contrebalancer la violence des mots. Mais… difficile de lire l’abondante littérature qui s’affiche sur les écrans de surtitrage et de suivre en même temps les évolutions des danseurs, surtout dans la première partie, le voyage en bateau, où les corps, dans le clair-obscur du plateau, se glissent sous des planches instables.

 «Le bateau est comme une pelote d’épingles, l’eau est plus épaisse que le verre » dit un récitant, dont le visage s’affiche en gros plan en fond de scène, en même temps que celui des autres acteurs. L’arrivée en  « terre promise ”, deuxième partie de ce chemin de croix, se manifeste par l’irruption d’une dizaines d’écrans, sur une musique électro-pop, dans une  climat de boîte de nuit violemment éclairée. Ces montages de photos et d’extraits de films d’actualité projetés se superposent  , tandis que le texte d’Elfriede Jelinek évoque la «conquête du monde par l’image » qui tirent des larmes de compassion, comme « La photo de l’enfant sur la plage qui a fait le tour du monde entier ». Mais, bientôt, vient l’intolérance : « l’odeur est insupportable (…) C’est inconcevable (…) Ces gens ont dépassé les bornes …» tandis que le chœur chante : «Laissez-venir à moi les petits enfants. »

 Troisième temps du spectacle, les acteurs mêlés aux danseurs, sont confinés dans un lieu d’attente, derrière de hauts murs. Une église ?  «Nous sommes en vie, l’essentiel, c’est ça, disent-ils. » Mais où iront-ils? Leur patience est à bout : «Nous supplions dans une langue que nous ne parlons pas » et, de son côté, la population du cru fait entendre son mécontentement : « Fuyard étranger, quelqu’un comme ça ne peut être ici ! » « Nous sommes venus mais nous ne sommes pas du tout accueillis, constatent les migrants »…

 Illustrer par la danse, ce beau texte nécessaire, touffu et puissant, relevait de la gageure… et Guy Cassiers et la chorégraphe  ne parviennent pas à nous convaincre. Une surabondance de signes et  surtitres perturbe la réception, et les danseurs restent souvent au second plan. Ici, les médias sonores et visuels redondants ont du mal à cohabiter sur le plateau. Malgré de belles images et un texte important, l’ensemble a du mal à passer la rampe. Dommage car ce projet généreux révèle avec pertinence notre incapacité à envisager une question qui nous concerne pourtant violemment. 

 Mireille Davidovici

 

Parc des expositions, Avignon sud, jusqu’au 24 juillet. (Navette payante gare routière d’Avignon centre).

Les 20 et 21 septembre, Stadsschouwburg Amsterdam

Et du 5 au 7 octobre, Centre dramatique national d’Orléans Centre-Val de Loire.

Les 12 et 13 octobre, Le Phénix Scène nationale de Valenciennes ; les 18 et 19 octobre, La Filature, Scène nationale de Mulhouse et le 26 octobre, Toneelhuis, à Anvers.

 

Les Suppliants d’Elfriede Jelinek, traduit par Magali Jourdan et Mathilde Subottke, est publié aux éditions de l’Arche.



Archive pour 22 juillet, 2017

La même chose, une commande à Nikolaus et Joachim Latarjet

 

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Photo Christophe Raynaud de Lage

 Festival d’Avignon :

 Sujets à vif B : La même chose, une commande à Nikolaus et Joachim Latarjet

 Les Sujets à vif , initiés par le chorégraphe François Raffinot en 1997, présentent diverses formes courtes inspirées du cirque, du théâtre, et de la musique.  Sur la petite scène du petit jardin de la Vierge, romantique et paisible, un chariot rempli à ras bord de boules rouges de jonglage, une lampe, etc. Le calme règne et le public est perplexe.

En effet, Georges Carl (célèbre clown américain (1906-2000) a toujours fait le même numéro toute sa vie. (…) Trois fois par jour et pendant plus de quarante ans, nous annoncent Nikolaus et Joachim Latarjet,  créateurs et interprètes de cette petite forme, surprenante à souhait.

Dans le plus grand silence, deux personnages, chaudement vêtus- une prouesse en cette chaleur d’été-entrent par le fond. L’un porte une chapka et un gros nez rouge ! Ce clown singulier s’empare du chariot, ôte la bâche bleue qui le recouvre, le vide, et dispose sur le plateau, une table, une lampe, et autres ustensiles… l’attention s’intensifie, il va sûrement se passer quelque chose… Suspense et situation des plus burlesques ! L’autre s’avance en bord de scène et lance à haute voix : « Avignon es-tu là ? », le public répond avec ardeur : « Oui ! »

Nikolaus et Joachim, à la fois clowns et musiciens mais aussi chanteurs et acrobates, nous émerveillent. On admire la prouesse de  leurs numéros chorégraphique et acrobatique. Comme celui où le clown au nez rouge et son compagnon, tentent et réussissent à l’aide de deux personnes du public, à élever et à fixer un très long tube d’échafaudage.

Le clown (Nikolaus)  mime ses démêlés irrésistibles avec des cordes ou autres objets. Ce spectacle, entre performance et arts du cirque, nous fait partager les ennuis du quotidien mais aussi les pensées mélancoliques et les malheurs,  ceux des autres ! Avec une finesse et un don indéniables du comique.

Elisabeth Naud

 Le spectacle s’est joué au lycée Saint-Joseph, à Avignon, jusqu’au 14 juillet.   

 

 

Elika de Suzanne Lebeau, mise en scène de Marie Levavasseur

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(C) Benoît Poix

 

Festival d’Avignon

Elika de Suzanne Lebeau, mise en scène de Marie Levavasseur

IMG_809 Angelina, ex-infirmière sans frontières, raconte l’histoire d’une jeune fille, recueillie en pleine guerre civile dans son hôpital. A cette enfant-soldat, ravagée par trois ans de captivité, de mauvais traitements et d’esclavage sexuel, il ne reste qu’un cahier dont elle nous lit des bribes, pour témoigner, comme le lui a demandé Elika. Une gamine de treize ans à l’enfance confisquée qui a eu le courage de fuir l’enfer, pour sauver un petit garçon, Joseph, des griffes de ses tortionnaires et qui retrouve petit à petit, et à travers l’écriture, une humanité qu’elle n’avait jamais perdue.

 Fanny Chevallier, face public, nous livre le double témoignage d’Angelina et d’Elika avec simplicité, sans pathos, accompagnée sur scène par l’artiste Stéphane Delaunay.  Sur un écran en fond de scène, ses  tâches d’encre improvisées au fil du texte, se diluent dans la lumière du rétro-projecteur, dessinant d’inquiétants trous noirs et d’étranges traînées et découpant un espace onirique qui rompt avec le côté didactique où le spectacle risquerait de verser.

En effet, au départ, Suzanne Lebeau avait conçu  Elika, à partir de témoignages d’enfants-soldats, pour apporter un éclairage plus pédagogique à sa pièce  Le bruit des os qui craquent ( voir Le Théâtre du blog) : « J’ai écrit ce texte, dit l’auteure québécoise,  pour essayer de comprendre la souffrance des corps d’enfants qui grandissent dans la violence quotidienne et des âmes qui cherchent un tuteur dans cet incroyable gâchis. Elikia a surgi avec sa souffrance en bandoulière. Avec elle, j’ai retrouvé un reste d’humanité que les cris et les coups n’avaient pas réussi à faire taire », dans les quelques lignes qui s’affichent dans l’obscurité, à la fin du spectacle.

 Moins théâtral que Le bruit des os qui craquent, monté en 2014 déjà par Marie Levavasseur et son équipe,  ce monologue, rondement mené, nous accroche et, même si l’actrice ne prétend pas nous tirer de larmes, nous en sortons ébranlés. Le festival d’Avignon, dans sa grande diversité,  permet de rencontrer de jeunes équipes   talentueuses  qui s’emparent  d’œuvres  contemporaines. Telle la compagnie Tourneboulé. Basée dans le Nord, et associée depuis deux ans au Théâtre du Grand Bleu à Lille pour des actions artistiques ou de projets participatifs. Si cela coûte aux compagnies de jouer en Avignon pendant trois semaines (environ quarante-cinq mille euros pour Elika), elles en sont parfois récompensées : ce spectacle va entamer une belle tournée.

 Mireille Davidovici

 Arthéphile 7 rue Bourg-Neuf Avignon, jusqu’au 28 juillet, T. 04 90 03 01 90.

 

 

 

Les Grands de Pierre Alferi, mise en scène de Fanny de Chaillé

Photo Marc Dommage

Photo Marc Dommage

Les Grands de Pierre Alferi, mise en scène de  Fanny de Chaillé

 Il y a d’abord un plateau imposant aux niveaux différents, comme des marches d’escaliers toutes en rondeurs, de couleur beige. Une très jeune fille descend par la salle, et pénètre sur la scène, en nous toisant du regard. Avec sa voix enregistrée, elle nous raconte son CE1… On découvre alors une diablesse dans la petite fille mignonne et elle va nous expliquer comment elle met tout en œuvre, pour rester la première dans toutes les matières, allant jusqu’à pousser ses petites camarades !

Fanny de Chaillé et Pierre Alferi sont «partis du postulat selon lequel les enfants sont très peu représentés dans la société actuelle, ou que cette représentation de l’enfance est souvent stigmatisée (…) il s’agissait d’interroger la langue même de l’enfance. Voir des gens grandir sur un plateau, cela signifie convoquer des enfants et des adolescents à jouer le même rôle que les trois acteurs en présence. Trois âges sont représentés par trois personnes, comme trois histoires qui se répondent. Chacun des trois acteurs adultes a son enfant et son adolescent, et leurs chemins se croisent sur le plateau, au sens figuré comme au sens propre ».

 En effet, les acteurs ne cessent d’arpenter ce parcours, les petits suivant les grands, parfois en se couchant et en se relevant, et cela devient vite un peu agaçant! Les costumes bien conçus permettent ce rappel à l’avancée en âge : plus un personnage est petit, plus il a de carreaux sur sa chemise, pour une autre, la tunique se fait de plus colorée avec l’âge.

Pierre Alferi, fils ainé de Jacques Derrida, navigue entre philosophie et poésie, et plus le spectacle avance, et plus son texte se fait interrogatif, philosophique et devient intéressant. Mais dommage, cela prend du temps pour  y entrer et le rythme reste un peu lent. On assiste quand même à un retournement vivifiant, quand les ados se plaignent de la façon dont les adultes les racontent. C’est frais, juste et ouvre sur une fin gentille qui permet à la chanson spécialement écrite par Dominique A,  de retentir.

 Fanny de Chaillé signe ici un spectacle fondé sur des bases solides mais dont le passage au plateau ne tient pas toutes les promesses, malgré une belle équipe de comédiens, petits et grands.

 Julien Barsan

 Théâtre benoit XII, rue des teinturiers  jusqu’au 26 juillet.
Du 20 au 23 septembre au Festival d’Automne à Paris
 Du 14 au 18 novembre à la Comédie de Reims.
Les 18 et 19 janvier au Centre Chorégraphique National de Caen, les 23 et 24 janvier au Centre Dramatique national de Montpellier, les 26 et 27 janvier au Centre de développement chorégraphique national de Toulouse, le 30 janvier au Parvis, Scène nationale de Tarbes
 Et les 20 et 21 avril au Théâtre de Lorient, Centre Dramatique national.

 

 

La place du chien mise en scène de Marine Bachelot Ngyuen

Festival d’Avignon

IMG_804La place du chien , sitcom canin et postcolonial, texte et mise  en scène de Marine Bachelot Nguyen

Une femme, un homme, un chien. Elle, Française, lui Congolais et le chien, à qui manque seulement la parole, est joué par un comédien. Karine rencontre Silvain et le ramène chez elle, mais celui-ci  a la surprise de  trouver dans son lit Sherkan, un labrador noir. Sylvain, tout de suite indisposé par sa présence ne comprend pas le rapport entre Karine et l’animal. Ce n’est pas dans sa culture africaine, et il le trouve mieux traité que ses compatriotes…

À mesure que le couple se construit, le chien devient un problème, et bientôt un obstacle à leur vie amoureuse…Sur cette trame triangulaire, Marine Bachelot Nguyen bâtit une comédie amère  qu’elle met en scène avec une grande fantaisie. Le réalisme de la situation est tiré vers l’absurde avec des intermèdes oniriques et des acrobaties clownesques de l’acteur/chien. La metteuse en scène joue avec les codes du vaudeville, du café-théâtre et du cabaret, dans une scénographie  simple mais astucieuse.

Mais au-delà d’une fantaisie parfois burlesque La place du chien aborde des  questions séreuses : post colonialisme, différence de culture, et entre sexualité féminine et masculine, monde du travail, émigration… Quelle place occupe-t-on? Comment traite-t-on les hommes, les femmes ou les animaux qui se côtoient, se confrontent? Le rôle du chien n’est-il pas de mordre ? Et celui des hommes et des femmes ?

Écriture au rasoir, dialogues précis et langue crue, Marine Bachelot et ses comédiens nous entraînent dans un univers déjanté, parfois absurde mais qui en dit long sur la condition des femmes, des hommes, et des bêtes….

 Mireille Davidovici

 Théâtre du Nouveau Ring, impasse Trial, Avignon, jusqu’au 23 juillet.  T. 09 88 95 55 61.

A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie d’Hervé Guibert

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Festival d’Avignon

A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, d’Hervé Guibert, adaptation de Jeanne Lazar et Arnaud Vrech, mise en scène d’Arnaud Vrech

 Emporté par le sida en 1991, cet écrivain aura marqué Avignon avec Vole mon dragon, mis en scène par Stanislas Nordey. Ce récit autopbiographique qu’est  A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie met en lumière le moment où Hervé Guibert découvre sa séropositivité, qu’il partage avec Muzil, son ami philosophe Muzil Michel Foucault.

On y croise aussi Marine, actrice célèbre (tout le monde aura reconnu Isabelle Adjani)  qui doit démentir au Journal Télévisé des rumeurs de maladie la concernant… Le docteur Chandi qui traite Hervé Guibert est aussi présent. On en est aux débuts du sida, avec la panique qu’il entraîne, dans la méconnaissance de la maladie. Un ami lui promet un traitement miracle, encore expérimental… Arnaud Vrech ne cherche pas à dramatiser le propos, et on arrive même à rire, comme dans les scènes avec la vraie/fausse Isabelle Adjani que joue Jeanne Lazar aux baskets avec des semelles garnies de petites lumières . La mise en scène possède un aspect léger et drôle mais aussi des déplacements et une scénographie hiératiques, de nombreuses et lentes traversées de plateau, et une diction un peu appuyée et récitante chez Clément Durand et Johann Weber. Et on a quelque mal à  à savoir ce qu’a cherché à dire Arnaud Vrech, au-delà de l’hommage rendu à un auteur plus très présent aujourd’hui et qui manque…

 Julien Barsan

Le spectacle a été joué le 18 et 20 juillet  à Présence Pasteur, Avignon. Le texte est publié chez Gallimard (1990).

 

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