Elika de Suzanne Lebeau, mise en scène de Marie Levavasseur
Festival d’Avignon
Elika de Suzanne Lebeau, mise en scène de Marie Levavasseur
Angelina, ex-infirmière sans frontières, raconte l’histoire d’une jeune fille, recueillie en pleine guerre civile dans son hôpital. A cette enfant-soldat, ravagée par trois ans de captivité, de mauvais traitements et d’esclavage sexuel, il ne reste qu’un cahier dont elle nous lit des bribes, pour témoigner, comme le lui a demandé Elika. Une gamine de treize ans à l’enfance confisquée qui a eu le courage de fuir l’enfer, pour sauver un petit garçon, Joseph, des griffes de ses tortionnaires et qui retrouve petit à petit, et à travers l’écriture, une humanité qu’elle n’avait jamais perdue.
Fanny Chevallier, face public, nous livre le double témoignage d’Angelina et d’Elika avec simplicité, sans pathos, accompagnée sur scène par l’artiste Stéphane Delaunay. Sur un écran en fond de scène, ses tâches d’encre improvisées au fil du texte, se diluent dans la lumière du rétro-projecteur, dessinant d’inquiétants trous noirs et d’étranges traînées et découpant un espace onirique qui rompt avec le côté didactique où le spectacle risquerait de verser.
En effet, au départ, Suzanne Lebeau avait conçu Elika, à partir de témoignages d’enfants-soldats, pour apporter un éclairage plus pédagogique à sa pièce Le bruit des os qui craquent ( voir Le Théâtre du blog) : « J’ai écrit ce texte, dit l’auteure québécoise, pour essayer de comprendre la souffrance des corps d’enfants qui grandissent dans la violence quotidienne et des âmes qui cherchent un tuteur dans cet incroyable gâchis. Elikia a surgi avec sa souffrance en bandoulière. Avec elle, j’ai retrouvé un reste d’humanité que les cris et les coups n’avaient pas réussi à faire taire », dans les quelques lignes qui s’affichent dans l’obscurité, à la fin du spectacle.
Moins théâtral que Le bruit des os qui craquent, monté en 2014 déjà par Marie Levavasseur et son équipe, ce monologue, rondement mené, nous accroche et, même si l’actrice ne prétend pas nous tirer de larmes, nous en sortons ébranlés. Le festival d’Avignon, dans sa grande diversité, permet de rencontrer de jeunes équipes talentueuses qui s’emparent d’œuvres contemporaines. Telle la compagnie Tourneboulé. Basée dans le Nord, et associée depuis deux ans au Théâtre du Grand Bleu à Lille pour des actions artistiques ou de projets participatifs. Si cela coûte aux compagnies de jouer en Avignon pendant trois semaines (environ quarante-cinq mille euros pour Elika), elles en sont parfois récompensées : ce spectacle va entamer une belle tournée.
Mireille Davidovici
Arthéphile 7 rue Bourg-Neuf Avignon, jusqu’au 28 juillet, T. 04 90 03 01 90.