Et dans le trou de mon cœur, le monde entier, de Stanislas Cotton
Festival d’Avignon
Et dans le trou de mon cœur, le monde entier, de Stanislas Cotton, mise en scène de Bruno Bonjean
Dès l’entrée du public, une musique de plus en plus dense envahit le plateau. Quelques feuilles jonchent le sol. Atmosphère métallique et pesante. Des jeunes gens d’une vingtaine d’années, dans des tenues décalées et décontractées, très colorées, ont pris place sur un échafaudage… Scénographie qui a ici une importance symbolique: les personnages sont avant tout dans un espace mental. Les hauts et les bas, les angoisses et l’euphorie ! Avec des noms évocateurs et plein de fantaisie : Dulcinée Pimpon, Minou Smash, Bouli Topla…
A sept, ils vont, seuls, en duo ou tous ensemble nous faire entrer dans leur univers sans concession empreint d’idéal et d’humour. Avec quelques beaux moments chorégraphiés. Sur une musique à la fois gaie et sombre qui, importante dans la dramaturgie-guitare électrique, compositions électro, et mélodies plurielles-raconte «ce que l’acteur dit dans sa gestuelle, son regard, le timbre de sa voix. »
Dorothy Ploum et Mina Smash, s’avancent vers le bord de scène : « Je pourrais être devant le Burger Palace, la mairie ou l’église, Je dirais tout pareil dit Dorothy à sa copine Minou. » Sommes-nous en pleine guerre ? »Moi J’espère qu’on ne va pas mobiliser ceux qui restent. On veut des mecs pour nos samedis soirs. En tout cas, tu verras quand ce sera fini. Quand les soldats rentreront, les soirées vont être hyper-chaudes. En attendant Ben en attendant On attend. » Ou au cours d’un procès ? : « Non-combattante, dit Lila Louise Guili, civile redevenue. Je retourne dans la vie. Parce que je suis seule. Parce qu’Angéline est en prison. Elle a bien toute sa tête, Elle. Mais le jour, j’ai d’autres yeux Des yeux remplis de là-bas. » Engagée volontaire dans l’armée, elle a commis l’irréparable et sera détruite par ce traumatisme comme son entourage, (les autres personnages de la pièce), il y a un avant et après. Quand viendra la paix sur cette terre. Quand la justice sera enfin rendue et règnera pour tous. Mais aussi, quand avoir du travail ne sera plus une angoisse.
Pour Minou Smash : « Ce n’est pas tout ça. Mais mon rendez-vous à l’agence, c’est maintenant. Je devrais peut-être dire nous. On est deux. Le fantôme et moi. Je me demande ce qu’elle nous a trouvé la bonne femme. (…) Elle nous attend. Ce serait trop bête d’arriver en retard, alors qu’on va peut-être enfin trouver du travail.» Dans cette pièce, pas de temporalité précise, ni de lieux bien identifiables ni de situation dramatique nettement définie.
« Il est où ce train, Merde » ! Ils attendent en effet un train à la destination inconnue, métaphore de la vie de cette jeunesse, pleine d’espoirs, de rêves mais aussi d’incertitudes et de désillusions. Une attente fort agitée dans tous les sens du terme : tensions dramatiques, à la fois oniriques et violentes, rythme et construction fragmentés, langage imagé parfois lapidaire. Tout cela -et pour notre plus grand plaisir-interprété à vive allure, avec une gestuelle très étudiée et des moments dansés. Un spectacle qui semble se passer à l’instant même : une impression rare au théâtre.
« Je veux que ça gratte, que ça chatouille, dit Stanislas Cotton pour qui le théâtre doit apporter du rêve, des rires, des larmes, je veux que ça fasse mal. Et puis, je veux une langue. Une manière de dire, du rythme, des sons, des surprises ». Les comédiens ont ici une énergie et une belle sincérité, même si, parfois trop emportés par cette dynamique, ils ont tendance à jouer trop « perso ».
Mais on finit par s’attacher à ce groupe et à ces personnalités émouvantes que sont ces jeunes d’aujourd’hui dans le monde occidental d’aujourd’hui. Ce que voulait Bruno Bonjean, avec ce texte commandé à Stanislas Cotton.
La scénographie, avec peu de moyens, sait rendre palpable, et de manière poétique, la dimension organique et sensuelle de cet univers violent et tendre à la fois
Elisabeth Naud
11. Gilgamesh Belleville boulevard Raspail, Avignon jusqu’au 28 juillet.