Le Festival d’Avignon: bilan
Le Festival d’Avignon: bilan
Le plus vaste festival de théâtre et de spectacles s’est terminé il y a quelques jours. L’occasion de faire un rapide bilan. Olivier Py, le directeur du In peut se réjouir. Cette soixante et onzième édition aura fait le plein : 59 spectacles dans trente-neuf lieux différents, soit 300 représentations! Et 112.000 billets vendus, avec un taux de fréquentation de 91% donc comparable à celui des années précédentes. Et environ 40.000 entrées aux manifestations gratuites, ce qui est moins quantifiable…
Avec, sur le plan technique, la mobilisation d’une véritable armée de spécialistes et une organisation efficace en matière de sécurité. Ce qui n’est pas évident dans un festival où le public vit du matin jusqu’à une heure avancée de la nuit, dans les salles mais aussi dans les vieilles rues étroites et sur les places du vieil Avignon. Pour le plus grand bonheur des Français mais aussi d’un nombre croissant d’Européens venus applaudir les troupes de leur pays. Olivier Py l’a souvent rappelé : ce festival se veut international, avec quelque vint-cinq spectacles en langue étrangère et donc un surtitrage obligatoire…
Côté curiosité, le public du in composé en majorité d’intellectuels et d’enseignants en activité ou retraités, n’a pas du tout rajeuni, semble assez satisfait, même s’il est parfois étonné qu’aucun classique français n’ait été programmé… Nous vous avons rendu compte de la majorité des spectacles. Et, comme le dit Elisabeth Naud, il y a eu quelques excellentes choses, comme entre autres; Saïgon de Caroline Guiela Nguyen, l’adaptation de pièces d’Ibsen par Simon Stone ou Standing in time, un spectacle maori…
Mais bon, malgré un niveau artistique indéniable, le festival garde un côté bcbg, avec en priorité, des spectacles d’une très bonne qualité technique mais souvent longs et assez conventionnels, malgré une apparence de modernité: la vidéo continue à sévir, comme dans Monsieur Molière de Frank Castorf… La plupart sont de toute façon de marque internationale et ont fait, ou iront faire les beaux jours d’autres grand théâtres nationaux et/ou de festivals. Et il y a comme une bizarre obligation : une vedette française dans la Cour d’Honneur, avec cette année, Juliette Binoche… Mais pourquoi Olivier Py commande-t-il si peu de créations aux Centres Dramatiques Nationaux ?
Autre question: la plupart des spectacles sont vraiment chers donc pratiquement interdits aux gens qui ont peu de moyens et en particulier aux jeunes que l’on voit très peu dans le in. Là, il y a vraiment quelque chose qui ne va pas! Et de plus, si on peut à la rigueur aller à pied sous le soleil à la FabricA mais la navette à 4,50 € est obligatoire pour, entre autres, le Parc des expositions! Malgré les légers efforts de politique tarifaire sous le règne d’Olivier Py, entre le TGV obligatoire ou un covoiturage, le logement et l’entrée aux spectacles, s’offrir quelques jours en Avignon reste souvent un rêve inaccessible pour beaucoup…
Et pourquoi n’y-a-t-il jamais au moins la création d’un grand spectacle vraiment populaire-théâtre comédie musicale,etc. dans la Grande Cour pour une durée de cinq jours minimum ? Cela serait sans doute courageux et changerait! Au lieu de programmer chaque année sans grand risque et en priorité, des créations souvent formatées comme cette année une Antigone japonaise à la Cour d’Honneur, ou les spectacles de metteurs en scène étrangers reconnus…
Le festival a du s’adapter à la menace terroriste et multiplier les contrôles et fouilles mais les files d’attente sont souvent interminables à l’entrée des salles… et des toilettes. Cette année, la logistique avait du mal à suivre. Emmanuel Macron n’a visiblement pas eu trop envie de venir et Françoise Nyssen, nouvelle ministre de la Culture, est arrivée juste à temps pour essayer d’éteindre l’incendie ! En effet, au moment, où le Ministère annonçait une restriction de ses subventions-environ 50 millions d’euros!-Régine Hatchondo, la directrice générale de la création artistique, sans doute pour fêter à sa manière le 14 juillet, s’en prenait en effet sans état d’âme aux directeurs des Centres Dramatiques Nationaux: «Quand vous me parlez d’argent, vous me faites pas rêver… Heureusement que j’ai autre chose que vous dans ma vie.» (…) «Votre modèle économique est à bout de souffle.» (…) «Et puis il va falloir quand même penser à faire tomber le mur de Berlin entre vous et le théâtre privé». Quelle grande élégance, surtout quand on est un des principaux personnages du Ministère, donc soumis à une obligation de réserve… Du jamais vu!Enfin si la dame, ci-devant administratrice du Théâtre National de Chaillot avait voulu supprimer d’un trait de plume, sans l’avis du Ministère et surtout aucune concertation avec l’équipe pédagogique, l’Ecole de ce Théâtre, voulue et programmée par son directeur Jérôme Savary: elle en trouvait le budget trop élevé… budget qu’elle avait elle-même accepté deux ans auparavant ! Même vulgarité et même mépris qu’en Avignon, il y a deux semaines. Vous avez dit, gribouille? Gouverner, c’est prévoir… En tout cas, devant la protestation de très nombreux professionnels, la dame avait déjà du courageusement reculer… Et ici, rebelote: à cause de la colère grandissante des directeurs de Centres Dramatiques Nationaux à qui on demande de faire toujours plus, avec le moins possible d’argent, et sans doute aussi sur ordre de sa Ministre, elle a dû rétropédaler vite fait et présenter piteusement ses excuses ! Trop tard, le mal était fait!
Et Françoise Nyssen a dû naviguer serré pour rattraper la belle connerie de la dame, surtout en plein festival d’Avignon, lieu emblématique de la vie théâtrale française: «Ce n’était pas du tout dans l’esprit de ce que je souhaitais mettre en place, puisque j’avais rencontré les mêmes personnes trois jours avant» (…) «Donc à aucun moment, ceci n’est remis en question, au contraire. J’entends ce sentiment d’incompréhension et j’en suis désolée.» Ou comment rattraper cette énorme bourde de quelqu’un qui connaît visiblement mal un milieu souvent peu solidaire, mais toujours prêt à monter au créneau! Et Françoise Nyssen a diplomatiquement remercié les responsables de ces structures pour leur travail d’éducation et d’enseignement artistique qui est pourtant, que l’on sache, un service public, ce à quoi la pauvre Régine Hatchondo semble assez peu sensible, comme on le savait depuis son passage à Chaillot !
Donc la méfiance reste d’actualité : on sait que le Ministère prépare souvent des coups tordus pendant l’été. Et si Madame Hatchondo venait par hasard au festival d’Aurillac, l’accueil risquerait d’être assez frais chez les professionnels du théâtre de rue, eux aussi concernés par cette déclaration, venant d’une directrice de Ministère donc au service de la collectivité et censée en comprendre les demandes… Serait-ce trop lui demander un peu plus de respect envers le travail théâtral?
Du côté du off, depuis quelques années, le paysage s’est radicalement transformé et la programmation s’est mieux structurée. Le festival bénéficie d’un service de presse exemplaire et comparable à celui du in, lui aussi d’une singulière efficacité. Et comme toute l’équipe du Théâtre du Blog l’a remarqué, que cela soit en théâtre, en danse, cirque, etc. la qualité des spectacles-comme des lieux-est souvent des plus remarquables. Avec notamment, des pièces appartenant à des centres dramatiques comme entre autres, le Nest de Thionville qui n’a pas hésité pas à venir jouer dans l’ex-Flunch, une nouvelle salle bien équipée, Le 11 Gilgamesh boulevard Raspail. Il y a aussi Artephile, un bon petit théâtre, rue du Bourg Neuf, le Théâtre des Halles, La Manufacture, Le Théâtre du Balcon, La Chapelle du Verbe Incarné, Le Petit Louvre, etc. Bref, il y a maintenant, et encore plus en 2017, un in du off (voir Le Théâtre du Blog) de grande qualité. Et on n’imagine guère le festival sans la programmation du off. Que ce soit en théâtre mais aussi en danse où Jean Couturier a noté « une tendance à une nudité théâtralisée, comme pour Bêtes de scène d’Emma Dante,dans le in. Et avec Néant de Dave St-Pierre et Le Récital des postures de Yasmine Hugonnet dans le off. On a aussi pu ydécouvrir deux chorégraphes: Hsiao-Tzu-Tien avec The Hole et Edouard Hue pour Meet me Halfway. Bref, depuis trente ans, les lignes ont singulièrement bougé et surtout, disons ces cinq dernières années; en tout cas, plus personne n’oserait remettre en cause cet ensemble de spectacles, même s’il est souvent difficile de s’y repérer: pour le public… comme pour les critiques.
« Comme chaque année, le festival a connu son lot de polémiques, dit Mireille Davidovici. Moi, la mort, je l’aime comme vous aimez la vie de Mohamed Kacimi a eu les honneurs la presse culturelle, sans que grand monde l’ai lue ni vue. Jusqu’à la ministre de la Culture israélienne, Miri Eegey, membre du Likoud, connue pour son hostilité au milieu artistique israélien et pour sa haine des théâtres palestiniens qui a écrit à notre Ministre de la Culture, pour lui demander l’interdiction de la pièce! » “La polémique soulevée par la programmation de ma pièce dépasse l’entendement, dit Mohammed Kacimi. Elle retrace les dernières heures de Mohamed Merah, ce jeune islamiste Franco-Algérien qui à Toulouse, tua sept personnes dont trois enfants en mars 2012 et s’est jouée six jours. Un seul journaliste, de France Info l’a vue. Il a fait un très bon papier sur le site de France Télévision. Ce qui a mis le feu aux poudres. Mon texte reprend ni plus ni moins les derniers échanges entre le tueur et la police, avant qu’il ne soit abattu, et qui furent publiés dans Libération. Selon Pascal Keiser, directeur de la Manufacture, où s’est jouée la pièce, cette polémique «a été construite par Meyer Habib, un député représentant les Français de l’étranger, appartenant en France à l’U.D.I., un centriste donc, mais à double nationalité (franco-israélienne) proche, en Israël de l’extrême-droite, du Likhoud et de Netanyahou.» Elle n’émane donc pas directement du collectif d’avocats des familles des victimes ni d’associations juives en France, telle que la LICRA.
André Marcowicz , traducteur et écrivain, lui, a pris la peine de lire la pièce: « Le portrait d’un homme -un être humain-, ce qui le rend d’autant plus monstrueux. Monstrueux, répugnant et pathétique-un homme qui n’arrête pas de flotter dans sa vie, dans ses idées (si l’on peut appeler ça des » idées « ), un homme qui passe sa vie à jouer à des jeux vidéos de massacres (il est très bon là-dedans) et qui ne fait aucune différence entre les cibles qu’il dézingue sur l’écran et celles qu’il fait dans la vraie vie (…) et c’est d’autant plus stupéfiant quand il refuse de dire qu’il a tué des enfants dans une école : non, il n’a pas tué des enfants, il a frappé « des cibles « . C’était un homme d’une bêtise et d’une brutalité primales, primaires, absolues. Un monument de crétinerie. Mais il était un homme. Je veux dire qu’il n’était pas un monstre, et c’est justement ça qui le rend si terrible. Ce n’était pas, je ne sais pas, un malade mental. »
Même si la location des salles par les troupes est obligatoire-impossible pour les débutants (environ 6.000 € minimum le mois!), le off a donc acquis des parts de marché de plus en plus importantes. Prix des places très raisonnables, salles confortables et situées en plein centre, grande qualité des textes, souvent étrangers mais aussi des mises en scène de spectacles qui ne durent pas cinq heures, acteurs connus, longue durée d’exploitation, catalogue lourd à porter mais d’une extrême précision, accueil professionnel, diversité et ponctualité des horaires, attente très limitée, possibilité de réservations… Rien à voir avec les tout débuts du off que nous avons connu il y a cinquante ans, et méprisé par les professionnels du in qui ne daignaient même pas s’y risquer….Une piste de réflexion pour Olivier Py et son équipe?
Mais nous signalait Julien Barsan, comme si l’un ne pouvait exister sans l’autre, curieusement la fin du festival dans le in et le off qui coïncide à quelques jours près, a semblé rassembler nettement moins de public. Et les faits sont têtus: il y a une hémorragie de jeunes spectateurs dans le in mais pas dans le off, au contraire. Cela dit, peut-on imaginer un off sans le in? Sans doute pas..Bref, rien n’est simple. En tout cas, il y a urgence, nous semble-t-il, et l’édition 2018, sans doute déjà dans les cartons mais Olivier Py devra faire preuve de plus d’imagination. Le modèle 2017, copié-collé des précédentes années, même bien construit, a quelque chose de décevant et malheureusement d’élitaire …
Philippe du Vignal et l’équipe du Théâtre du Blog
Le Festival d’Avignon in et off a eu lieu du 6 au 26 juillet et jusqu’à la fin du mois pour certains spectacles du off.
Moi, la mort je l’aime comme vous aimez la vie est publiée à L’Avant-Scène. Le spectacle sera repris en décembre prochain au Centre Dramatique National de Normandie, à Rouen.