Magic reinvented nightly de Mat Franco

 

Magic reinvented nightly de Mat Franco

 Dans la belle salle du Linq Theater, avec, suspendues aux cintres, une multitude d’ampoules, Ted un assistant présente le spectacle en dansant. Puis sur  une vidéo, l’on voit Mat Franco se préparer dans sa loge. Un flashback le montre enfant quand il s’entraînait et présentait des tours, puis pendant sa première audition à America’s Got Talent en 2014. A cette époque, il se « réinventait chaque soir » jusqu’à gagner la finale de la saison 9. Mat Franco arrive : « Maintenant, je suis là, sur scène à Las Vegas, et je suis resté le même enfant. »

Les écrans latéraux diffusent des images d’enseignes chinoises, et sur l’écran central, sera  retransmis ce tour: un spectateur qui a perdu un billet de 100$ et le magicien lui confie comme lot de consolation sur roulettes, un gros paquet cadeau blanc avec un nœud rouge. A l’intérieur, des paquets de nouilles chinoises par centaines. Le spectateur est invité à en prendre quatre au hasard, puis à en choisir deux, puis un seul par élimination. Le dernier paquet peut être échangé une dernière fois par un autre.

Mat Franco demande alors à la personne d’ouvrir le paquet et il découvre au milieu un autre paquet colophané : la sauce pour les nouilles. Le magicien prend délicatement le sachet, l’ouvre et retire le billet de 100$ signé par le spectateur.

Suit un extrait vidéo de Mat Franco quatorze ans en queue de pie répétant maladroitement des apparitions de colombes avec des gants. «J’ai plus de chance, dit-il, avec les gens qu’avec les oiseaux. » Deux spectateurs sont alors invités sur scène et le magicien leur donne à chacun dix cartes qui seront conservées dans un endroit inaccessible, au choix de la personne (chaussure, pantalon…), ce qui donne lieu à une situation cocasse. Mat Franco mélange le reste du jeu et demande à un spectateur dans la salle de dire « stop » pour choisir au hasard une carte qui va déterminer le nombre de cartes qui vont voyager d’une personne à l’autre. Le magicien mime le voyage de chacune des cartes de façon comique.

Ensuite, le premier spectateur compte ses cartes, il n’en a plus que sept. Au  tour du deuxième spectateur de sortir ses cartes de son pantalon avec difficulté. Une fois toutes récupérées, elles sont au nombre de treize ! Cards across est un classique de la cartomagie, présenté par de nombreux magiciens sur une trame identique. Mat Franco s’en sort bien, mais le maître en la matière, reste Mac King.

 Pièces voyageuses

Le rideau de scène se lève sur une table et trois chaises. Deux spectateurs sont invités à rejoindre Mat Franco assis face public qui montre une bourse contenant trois pièces différentes. Tout le matériel est examiné et il remet les pièces dans la bourse. Deux assistants viennent recouvrir le magicien d’un drap noir d’où ne dépassent que ses mains. Mat Franco va maintenant réaliser à l’aveugle une routine de trois pièces voyageuses qui de sa main droite voyagent une à une dans la main gauche. La pièce en argent voyage ensuite d’une main à l’autre, puis deux pièces sont mises en main, alors que la troisième part dans la poche pour finir par une disparition totale. Au final, les trois pièces se retrouvent dans la bourse sur la table, puis placées dans un shaker. Mat Franco le secoue, caché sous le drap, et disparaît de sa chaise  pour se retrouver à l’entrée de la salle de spectacle en faisant tinter les pièces dans le shaker.

Bien que cette séquence soit une démonstration d’habileté, l’astuce de l’illusion sonore est très bien utilisée pour réaliser un final qui combine close-up et grande illusion en redéfinissant, l’utilisation de la cape à disparition. Mat Franco se dirige dans la salle, se met debout sur une chaise pour plus de visibilité, et demande à une personne de toucher une des cartes d’un jeu et de la signer. Il va alors effectuer une très belle routine de carte ambitieuse classique, où  celle qui a été choisie, remonte constamment au-dessus du jeu après avoir été perdue à l’intérieur. Le spectateur participe à certaines séquences en soulevant une moitié du paquet, ou en perdant lui-même sa carte qui finit par disparaître complètement du jeu mais qui se retrouve pliée en quatre dans la bouche du magicien !

Garçon, un cocktail !

«La magie, dit Mat Franco, c’est comme un film, comme une fiction où l’on oublie la réalité… » Le magicien arrive en barman avec un tablier qui sert de gibecière comme les bateleurs du Moyen Age. Il présente trois shakers à cocktail (sans la partie haute) d’où il sort trois balles jaunes qui roulent sur une table et qui représentent trois amis qui prennent trois boissons différentes à un bar. Il va s’en suivre différentes péripéties illustrées par une routine classique de gobelets (qui se termine par une production de quatre balles de tennis avec ces mots : «Nos quatre amis ont fini par jouer au tennis à l’US Open ». Une excellente routine de gobelets détournée et accompagnée d’un texte bien écrit qui souligne judicieusement toutes les passes.

 Pluie d’étoiles

 Sur une vidéo où Mat Franco accompagné de ses deux frères qui témoignent de son parcours. Nous voyons aussi son père et sa grand-mère disparus après son passage dans America’s Got Talent (les Américains raffolent des histoires à l’émotion fabriquée). Des étoiles (celles du drapeau américain ?) apparaissent  en fond de scène et sur trois écrans on voit des images de sa famille.

Mat Franco parle de sa rencontre avec un magicien qui faisait apparaître puis disparaître des cartes lorsqu’il avait sept ans. Poussé par le désir de reproduire ce miracle, le jeune Mat mit alors au point un numéro avec sa grand-mère en utilisant un bout de tissu noir avec un système de fente. Il s’aperçut bientôt que cette prouesse demandait, non pas du matériel truqué, mais de la manipulation pure. Suit alors une démonstration de « back and front » où un éventail  sort  du néant et où cinq cartes disparaissent une à une pour se matérialiser en étoiles sur l’écran vidéo. Cette traînée d’étoiles dorées revient dans la main du magicien en vrai, puis c’est une série de productions de cartes et d’étoiles filantes sur l’écran, avec jet de confettis pour finir en beauté ce tableau très métaphorique sur les liens familiaux.

Le foulard à l’œuf

Avec l’aide d’un enfant, Mat Franco propose au public de voir ce qui se passe derrière le rideau  en leur apprenant le fameux tour du foulard en œuf, décrit dans toutes les boîtes de magie. Une fois le truc du trou révélé, le magicien explique le fonctionnement du tour avec l’œuf en empalmage sauf que le trou visible est une gommette qui est retirée pour ensuite casser un vrai œuf dans un verre.

Verre et bouteilles

Mat Franco réalise une routine de transposition, avec une bouteille et un verre qui changent de place sous couvert d’un cylindre. Ensuite, la table se remplit petit à petit d’une multitude de bouteilles qui apparaissent accidentellement. Pour terminer, du vin est versé dans un verre, qui est transposé une dernière fois. Ted, l’assistant de Mat, vient débarrasser la table et se sert en passant, un petit verre pour la route.

Ce tour intitulé Multiplying Bottles est un effet créé par Arthur P. Felsman dans les années 1920. Rien de neuf dans la présentation conventionnelle de Mat Franco, à part l’idée de finir par la production d’une vraie bouteille remplie de vin qui sert d’effet comique.

 Smartphone et cartes choisies

Mat Franco demande aux spectateurs d’allumer leur téléphone portable et de le brandir, avec l’écran vers la scène. Une spectatrice est désignée par le magicien et deux autres personnes choisissent deux cartes à jouer que la spectatrice sur scène va tenir. Mat Franco prend un selfie avec elle à l’aide d’une perche. Dans l’action, le cellulaire tombe et se brise par terre. Le magicien prend un foulard (du tour de l’œuf) pour faire diversion et y place le cellulaire qui disparaît dans une production de fumée.

Le mari de la spectatrice est invité à composer le numéro du portable disparu et on entend la sonnerie résonner dans la salle. Le magicien se rapproche d’une des tables, sort un couteau et extrait du capitonnage du plateau le téléphone intact de la spectatrice. Pour preuve, dans la galerie de photos est retrouvé le selfie du début avec les deux cartes choisies, dont les index correspondent au numéro de la table ! Magnifique routine qui finit en apothéose.

Pour le feu d’artifice final, Mat Franco choisit un enfant dans le public et lui demande s’il sait mélanger un jeu de cartes et lui apporte une multitude de paquets de cartes à l’effigie du casino Linq. « Pas grave » lui rétorque-t-il. Une vidéo diffuse les images d’un coffre-fort qui s’ouvre en deux d’où apparait un mélangeur automatique de cartes sous la forme de trois gros canons.

Tous les jeux une fois mis dans ce mélangeur, les canons sont orientés vers la salle et l’enfant appuie sur un gros boitier qui propulse les cartes par milliers sur le public. Les spectateurs sont invités à ramasser le plus possible de cartes et à les rapporter sur scène où elles seront placées dans une grande pochette transparente tenue par une assistante. Mat Franco prend ensuite quelques cartes dans la pochette pour reconstituer un jeu qu’il mélange plusieurs fois. « Ici, la magie est réinventée chaque soir… » dit le magicien qui va raconter l’histoire unique de la soirée passée avec ses spectateurs en faisant défiler les cartes face en l’air, correspondant au texte prononcé, sous forme de rétrospective des événements passés : « Aujourd’hui, deux cartes ont été choisies, la dame de cœur et le deux de carreau par un homme et une femme… Aujourd’hui, un billet de 100$ a été signé… Trois cartes ont été choisies… Trois cartes ont voyagé dans le pantalon de… Deux cartes se sont retrouvées dans la table n°26… Le numéro de portable du mari était le… Le numéro de série du billet de 100$, était etc. »

Historiquement, ce jeu de rôle et d’épellation, où on utilise toutes les cartes du jeu, remonte à 1790, dans une description faite par H.T. Morley dans le livre Old and Curious Playing Cards, Their History and Types from Many Countries and Periods, sous le titre The Soldier Almanak. Un effet commercialisé sous le nom de Sam the Bellhop en 1961 par Frank Everhart.  Et  utilisé par de nombreux magiciens dont Bill Malone, Eric Mead, Simon Lovell, David Regal et Philippe Socrate. Mais Mat Franco réussit à réinventer ce classique de la cartomagie, grâce à un savant montage dramatique, en utilisant une machine surréaliste comme support spectaculaire à son incroyable final. Qualité technique et précision de la présentation exceptionnelles : les révélations jusqu’à la dernière se succèdent avec rythme et crescendo…

On oubliera le côté rêve américain de la réussite individuelle qui inonde les spectacles, et l’éternel hommage à la grand-mère ou au grand-père disparus! (Nathan Burton, David Copperfield) mais le spectacle de Mat Franco  reste d’une belle facture. Il  combine des tours classiques (au risque de copier ses collègues), et des réinterprétations du répertoire. Sympathique: un  minimum syndical quand on veut conquérir un public. Le risque est d’en faire trop,  avec l’appui d’un grand sourire, un  piège évité de justesse par Mat Franco.

Le schéma du spectacle reste dans les canons du genre, à l’américaine : une succession de routines, plutôt qu’une histoire avec un fil dramatique et théâtral. Ici, il y a une grande qualité de certains tours comme « le jeu des cocktails », « le smartphone encapitonné » et « la révélation finale », et Mat Franco  se révèle être un artiste intelligent et rusé, réussissant, malgré les conventions, à insuffler une sorte de suspense improvisé, qu’il utilise comme pourrait le faire un funambule.

Cette impression de mise en danger permanente rend le spectacle attachant et singulier.

Sébastien Bazou

Spectacle vu à Las Vegas.

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