Extra: La littérature hors du livre au Centre GeorgesPompidou
Festival Extra: La littérature hors du livre au Centre GeorgesPompidou
Une nouveau festival littéraire est né, lancé par le Centre Georges Pompidou qui « veut être un lieu qui accueille la littérature et au croisement des arts, a dit son président, Serge Lasvignes». Cette initiative se double de la remise du prix Bernard Heidsieck qui va couronner des auteurs pour « une création littéraire récente, conçue en dehors du livre ». La littérature prend aujourd’hui de nombreuses formes: poésie sonore, performances, conférences « performées », lectures, films-poèmes, créations numériques…
Le sous-sol du Centre Georges Pompidou, aménagé en salon littéraire aux sièges multicolores, accueille cette manifestation polymorphe, alliant performances en tous genres et causeries radiophoniques en public, relayées par Radio Brouhaha. Un programme imaginé avec la webradio r22 Tout-monde r22 (https://r22.fr/) diffusera trois émissions en direct depuis le Festival Extra, et les archivera pour rediffusion.
Cette « webradio » collaborative, lancée en juin 2014 par Khiasma, plateforme culturelle basée aux Lilas, s’est dotée d’un dispositif portatif d’enregistrement et diffusion tenant dans une valise. Ainsi les jeunes techniciens peuvent aisément capter documents sonores, lectures, performances, dans les festivals de littérature.
La première émission s’intitule La littérature hors livre : une nouvelle vie littéraire. «Il reste a écrire une autre histoire de la poésie en dehors du livre, explique Alain Vaillant à l’antenne. Historien de la littérature, il plaide pour une histoire de la communication littéraire, comme chantier à ouvrir englobant l’ensemble des formes littéraires et de leurs circuits de diffusion. Selon lui, l’émergence du roman a, au XIXème siècle, marginalisé la poésie qui a trouvé un élan en se délivrant du livre. De Victor Hugo à Mallarmé, l’oralisation s’affranchit de la page, et renouvelle les esthétiques.
Chloé Maillet et Louise Hervé lui emboîtent le pas avec leur Histoire fantasmée de la performance, petit spectacle malicieux où elles tracent une sorte d’archéologie de ces formes hors livre, notamment dans l’espace public. De la mise en œuvre des préceptes de Jean-Jacques Rousseau, aux exhibitions populaires menées par Prosper Enfantin, apôtre de Saint-Simon, en passant par les fêtes de la Révolution en 1790. Ces performeuses historiennes ont puisé dans de nombreuses archives, dont les objets insolites des Saint- Simoniens conservées à la bibliothèque de l’Arsenal à Paris.
Pendant ce tour d’horizon riche d’enseignements et d’anecdotes, l’écrivain et plasticien Julien Bismuth nous invite à une performance d’écriture. Assis face à nous, ordinateur ouvert, il enchaîne les phrases d’un texte projeté, pendant vingt-cinq minutes. « Ces textes improvisés, je les perçois comme une sorte de correspondance, dit-il. Une lettre que l’on écrirait d’un trait sans la revoir, la refaire ou la réécrire. Une lettre écrite dans une sorte d’urgence, celle de répondre à une attente(…) »
« La question, nous dit Julien Bismuth, est ce qu’on fait en sortant du cadre du livre, comment ouvrir un champ potentiel d’œuvres, plutôt que de retomber dans la problématique de l’avant-garde.» Formé à Los-Angeles, à l’américaine, c’est-à-dire à la fois en littérature et en arts plastiques, il joue sur les deux tableaux. Influencé par des artistes comme Paul McCarthy qui fut son professeur, il travaille entre New York et Paris; il alterne œuvres plastiques souvent minimalistes, et performances où dialoguent texte, image et objet.
Dans L comme litote, par exemple, quatre actrices récitent le même monologue de six manières différentes. L’artiste teste aussi les limites du langage, en faisant dire par un ventriloque In dieser grossen Zeit, un article de Karl Krauss où il explique pourquoi, face au bruit et la fureur de la guerre, et à la cacophonie du monde, l’écrivain ne peut que se taire… La performance d’écriture en public, que mène Julien Bismuth depuis deux ans donnera peut-être lieu à un projet plus vaste…
Le prix Bernard Heidsieck
Les aficionados de la poésie sonore connaissent les «poèmes-partitions», de Bernard Heidsieck (1928-2014) et son œuvre plastique, dont ses planches d’ « écritures-collages », et ses abécédaires réalisés avec du matériau « sonore ». Pourtant, il reste peu connu du grand public. Constatant, dès la parution de son recueil Sitôt dit, (1955) l’état moribond de la poésie, cantonnée selon lui à l’espace blanc de la page, Bernard Heidsieck entreprit de sortir le poème de la page imprimée et fonda en 1959, avec François Dufrêne, Gil J. Wolman et Henri Chopin le mouvement de la poésie sonore » puis la « poésie action » en 1962. « Ce que je cherche toujours, dit-il, c’est d’offrir la possibilité à l’auditeur/spectateur de trouver un point de focalisation et de fixation visuelle. (…) je propose toujours un minimum d’action pour que le texte se présente comme une chose vivante et immédiate, et prenne une texture quasiment physique. Il ne s’agit donc pas de lecture à proprement parler, mais de donner à voir le texte entendu. »
A
Proche des courants Beat, Fluxus et des minimalistes américains, il utilise, dès 1959, le magnétophone comme moyen d’écriture, s’ouvrant à des champs nouveaux. Un modèle suivi par des générations de poètes. Une partie des œuvres est archivée à la bibliothèque Kadinski du Centre Georges Pompidou.
Jean-Jacques Lebel, président du jury, proclame les résultats tout en rappelant que le Centre Georges Pompidou a souvent mis en valeur la poésie orale, comme lors du festival Polyphonix et qu’ici-même, Bernard Heidsieck reçut de Jack Lang en 1991, le grand prix national de la poésie… le prix Bernard Heidsieck revient cette année à Caroline Bergvall pour ses performances sonores. Ecrivaine et artiste franco-norvégienne, vivant en Angleterre et formée aux Etats-Unis, elle se trouve à la croisée de trois langues. Elle définit son « champ de travail comme la translation d’une identité à une autre, dans la rupture et le meurtre linguistiques. » Eprouvant, comme bien des exilés, ce que parler couramment veut dire : « Des voix distantes et rapatriées, c’est cela mon travail. »
Dans la foulée, John Giorno, né en 1936, figure majeure de la beat génération reçoit le prix d’honneur pour l’ensemble de son œuvre. Avec ses «poem paintings» il a fait sortir la poésie dans les rues et les galeries d’art de New York et créé Dial-a-poem, un standard téléphonique diffusant des poèmes enregistrés. Lamberto Pignotti, né en 1926, pionnier dès les années quarante, des poésies sonores et visuelles, et des performances faisant appel à tous les sens, se voit, lui, attribuer la mention spéciale de la Fondazione Bonotto…
De nombreux événements sont programmés au cours de cette quinzaine littéraire, une poésie à prendre comme elle vient, dans tous ses états: à deviner sur le bout des lèvres, jouée par des acteurs, ou accompagnée par des peintures improvisées ou des images projetées… Laurent Poitrenaux fera ainsi entendre les textes-partitions de Bernard Heidsieck, et Jean-Yves Jouannais proposera un chapitre de son Encyclopédie des guerres, entreprise depuis 2008.
Mireille Davidovici
Forum -1 Centre Georges Pompidou, Paris IV ème T. :01 44 78 12 33 jusqu’au 16 décembre. (Entrée libre);
Prochaines émissions de Radio Brouhaha: La littérature hors livre : sur scène, au salon ou à l’écran avec Roger Chartier, François Bon, Elitza Gueorguieva, Emmanuelle Pireyre, David Desrimais ; La littérature hors livre : périphérique ou centrale ? avec Claire Finch, Olivier Marboeuf, directeur de l’espace Khiasma, collectif chôSe, Antoine Pietrobelli, Elom 20ce.
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