Agatha de Marguerite Duras, mise en scène d’Hans-Peter Cloos
©laurencine lot
Un appartement désaffecté aux murs défraîchis, avec des meubles épars à l’abandon. Trois grande portes ouvertes sur un couloir. Sur le mur de fond, les images défilent : un jardin en friche envahi par la végétation, des paysages de campagne. Un homme et une femme se retrouvent dans cet espace déserté. De retour sur les lieux de leur enfance…
Agatha a convoqué son frère pour lui dire adieu et aussi combien elle l’aime. Mais elle va partir très loin avec un amant. Son frère la supplie de ne pas aimer cet homme, car lui, il l’a aimée comme personne. «Je vous aime comme il n’est pas possible d’aimer», lui dit-il. Elle a pris sa décision mais, le temps de la pièce, chacun va évoquer, inlassablement, cet amour impossible, interdit, et pourtant inégalable.
Revenant sans cesse sur les petits riens du passé, sur les heures chaudes de leur désir, pendant les vacances au bord d’un fleuve… Passant du “tu“ au “vous“, ils se rapprochent et se tiennent à distance, face à face, et se remémorent leur complicité, leurs corps adolescents. La perfection de sa peau à elle, les valses de Johannes Brahms que lui, jouait au piano… Leurs mains fines, les yeux bleus de ces frère et sœur presque jumeaux… Sensuels en paroles.
« Il s’agit d’un amour qui ne se terminera jamais, qui ne connaîtra aucune résolution, qui n’est pas vécu, qui est invivable, qui est maudit, et qui se tient dans la sécurisation de la malédiction», écrit Marguerite Duras à propos d’Agatha qu’elle publie en 1981 et qu’elle porte à l’écran la même année, sous le titre Agatha et les lectures illimitées. Bulle Ogier sera Agatha à l’image dans un hall d’hôtel vide, au bord de la mer, tandis que l’auteure dialogue avec Yann Andréa en voix off.
Dans ce film de longs plans-séquences s’étirent au-delà du dialogue; de même, Hans-Peter Cloos a choisi de trouer cette conversation montée en boucle, avec des séquences filmées accompagnées d’une musique douce. Les images projetées sur la mur de pierre du Café de la danse, répondent à la mélancolie délétère du texte, tout comme le décor défraîchi de Mario Thelma. Dans cet espace en résonance avec la dévastation de l’inceste, les comédiens se livrent à un jeu de cache-cache, à la fois enfantin et désespéré.
Alexandra Larangot, tout juste sortie du cours Florent, maîtrise le verbe durassien dans toute sa subtilité, se meut avec aisance, et tient la dragée haute à un frère inconsistant. Florian Carove, qui a derrière lui une solide carrière franco-allemande, lui oppose un personnage contradictoire, nerveux, parfois hystérique. La lourdeur de sa composition se double de changements fréquents de costume : il finit travesti en princesse Barbie rose. Clown ridicule, un couteau de cuisine à la main, il poignarde une poupée. Pourquoi cette multiplication de signes qui embrouillent, plus qu’ils n’éclairent, la prose introspective lancinante d’Agatha et ses propos complexes ?
Une mini-caméra numérique, que les comédiens tiennent tour à tour maladroitement, relaye l’action avec de gros plans. Tantôt sur eux, tantôt sur des vêtements épars, et longuement, sur la poupée sanglante. On arrive à saturation, d’autant que, sur le plateau, les images purement théâtrales ne manquent pas, et que la vidéo, projetée sur le mur du fond crée un riche arrière-plan.
Ces divers artifices pour donner un coup de jeune et “réveiller“ une pièce qu’on jugerait par trop étale, ne nous ont pas convaincus et le rythme même du spectacle en souffre, même si Hans-Peter Cloos gère avec justesse la part du silence entre les mots. Ce silence qui justement appartient à l’inceste. Le secret de ce désir.
Mireille Davidovici
Café de la Danse, 5 passage Louis-Philippe Paris XIème. T. : 01 47 00 57 59 jusqu’au 7 octobre.
Le texte de la pièce est publié aux Éditions de Minuit.