Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières

 

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières

 

©Benoit Schulz

©Benoit Schulz

Dans cette capitale mondiale des arts de la marionnette, l’esprit « marionnette » bat son plein. Avec des rues pleines de familles du cru très concernées,  et de passionnés seuls, en couple ou en bande. Programmateurs, gens du métier, nationaux et internationaux  viennent aussi découvrir les créations en cours et faire leur marché… Les rues du centre de la ville, et les quartiers proches de la majestueuse Place ducale, les abords encore de Mézières, et non loin des rives de la Meuse, près du Mont Olympe, mais aussi les moindres salles et gymnases, bibliothèques, ruelles et cours: ici tout vit d’une belle effervescence créative.

 After Tchekhov par la compagnie Samolœt, mise en scène  d’Anna Ivanova-Brashinskaïa.

A la médiathèque Voyelles, le public dès quatorze ans a pu apprécier After Tchekhov, un spectacle à trois comédiennes, rappel des Trois Sœurs du grand maître russe. Portant de lourds manteaux qu’elles quittent et plient à terre avant de les  remettre plus tard, vêtues de robes noires à petit col de dentelle qu’elles s’empressent de bien arranger, ces figures féminines tchékhoviennes n’échappent pas aux poncifs.

Endormissement et rêves, petites poupées minuscules étrangement manipulées : doubles miniaturisés d’elles-mêmes à l’extrême, telles des fillettes disparues  de la mémoire à jamais.  Reste un puits de mélancolie et de passé douloureux. Elles portent de petits lits d’enfants en fer forgé, fenêtres de leur âme qu’elles plient et déplient à volonté, tableau, miroir, cadre,  et mobilier de poupée. L’inspiration d’After Tchékhov est juste mais sans surprise dans la manipulation des objets, et présente un échantillonnage trop attendu de lieux communs.

 A2pas2la porte par le collectif Label Brut

 A2pas2laporte, cette deuxième partie tout public dès cinq ans d’un triptyque initié par Mooooooooonstres présenté au festival 2013, qui confrontait les enfants aux bêtes hantant leur endormissement. Le spectacle a pour protagoniste, un garçon esseulé qu’effraient l’espace du dehors et de l’étrangeté extérieure. S’impose au regard du spectateur, le décor d’une immense paroi claire, fragile et transparente, que scelle une porte fermée. A jardin, se terre ce garçon recroquevillé au bas d’une fenêtre, épiant dans la peur, les klaxons de voitures et les moindres passages de véhicules à moteur mais aussi les pétarades des feux d’artifice.

 Il y a aussi les mouvements silencieux de voiles de rideaux, d’ombres devinées ou inventées qui s’essayent au jeu des doubles et des reflets, et de courants d’air et sacs en plastique vivants : le héros ne veut pas sortir pour aborder le monde mais s’entraîne à vouloir être plus fort, et l’enfant (Laurent Fraunié), refuse aveuglément de grandir. Etonnant de feu et de flamme, bougeant sans répit pour échapper à l’inquiétude qui le terrasse, se posant les bonnes questions et y apportant des réponses matures qui, pourtant, ne le délivrent pas tout de suite d’une angoisse dévastatrice. Avec imagination et intensité, le comédien montre une vraie générosité pour diffuser les expériences de son cheminement intérieur qui le mèneront heureusement à la réalisation de soi…

 Les Folles par la compagnie La Muette

 Delphine Bardot, l’une de ces folles, silencieuse et patiente dans son atelier de couture, joue avec les accessoires qui tournent naturellement, ainsi la bobine de fil qui se dévide quand la machine  à coudre fonctionne, ou bien le petit napperon ou fichu que l’on brode à la main, image du cycle de vie amorçant encore un nouveau tour du Temps, comme la terre qui nous porte.

 S’amusant de son fichu, l’interprète se masque et présente son existence à l’envers : d’un côté, une jeune mère travailleuse qui brode et coud pour survivre, et de l’autre, une femme du peuple qui s’associe à ses sœurs de combat pour dénoncer les tyrans. Ces femmes semblables, obligées de s’intégrer à une vie sociale et collective, portent en même temps les stigmates cachés et intimes d’avoir perdu un être cher. Les souvenirs de leurs disparus prennent consistance, et la femme endeuillée transcende sa douleur personnelle pour épouser la force véhémente du collectif.

 Après Point de Croix, Silencio es Saluda -un volet qui correspond à la part masculine de ce projet-est interprété par Santiago Moreno. Un jeune Argentin, immigré en Europe, musicien et manipulateur, s’engage dans une enquête documentaire et essaye aujourd’hui d’explorer le contexte politique de ces années sombres. Il s’empare des archives de l’époque, et  les donne à voir ou revoir au public sollicité. Militaires rigides, portraits des jeunes gens disparus: la Plaza de Mayo, portant les traces vivantes de la résistance, est filmé, hier et maintenant.

 Symbole du cycle éternel, le disque vinyle tourne à n’en plus finir sur un tourne-disque énigmatique qui dit les slogans des manifestants. Ombres et sons répertoriés, les signes de l’énergie de la mémoire s’accumulent. Un travail soigné, rigoureux et motivé par une grande exigence d’art et de morale.

 R. A. G. E. par la compagnie Les Anges au plafond.

  Romain Ajar Gary Emile, les premières lettres des noms et prénoms d’un seul homme qui en parait deux, donnent  le titre du spectacle conçu par Camille Trouvé et Brice Berthoud. La vie et l’œuvre de Romain Gary, passionnantes, font, comme le souhaitait sa mère du petit Romain, «œuvre d’art ». On voit de belles images vidéo d’elle et de son enfant en marionnettes, traversant la Pologne  d’autres pays de l’Est et interrogeant leurs habitants et leurs coutumes.

Peu à peu, le spectacle laisse place au théâtre seul  et les excellents marionnettistes portent plus maladroitement les textes à dire. L’ensemble, trop long, reste un peu chaotique, entre figures comiques : chèvres et rats de triste mémoire, mère russe qui chante si bien, bruiteur qui en fait des montagnes, et jeu double des interprètes incarnant l’auteur de La Promesse de l’aube dans un désordre de masques identitaires. Le propos s’effiloche un peu, mais le public ravi en redemande.

©LaurentPhilippe

©LaurentPhilippe

 Oscyl, chorégraphie d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux

Une chorégraphie joueuse et audacieuse pour Oscyl, dernière création de ces chorégraphes, avec sept danseurs et sept sculptures inspirées d’Entité ailée d’Hans Arp, qu’ils ont conçu biomorphiques et à échelle humaine. Nommées Oscyl, elles ont la capacité d’osciller et de s’animer au contact des danseurs.  Cette aventure artistique et humaine correspond au croisement des disciplines, dans une tentative de décloisonner les genres : danse, arts plastiques, théâtre d’objets  et  de marionnettes…

Les interprètes évoluent avec leur propre double, le touchant, le caressant ou bien le rejetant dans une violence toute relative. Ils s’éloignent, puis reviennent sans cesse vers cet être inanimé, aimant qui les attire et dont ils ne peuvent se déprendre. Duos alternatifs et changeants: les vivants se révèlent à côté de leur reflet dansant, et se balancent, puis basculent, ou bien retrouvent un équilibre paisible.

Ce magnifique ensemble met en relief les individualités radieuses mais aussi un chœur. Un spectacle en forme de bercement intérieur renouant avec le métier de vivre.  Cet ensemble précis, aigu et coloré  possède une énergie d’être oscillant à l’infini, entre le yin et le yang, à la recherche d’un équilibre de sérénité.

 La Vie des formes, conception et interprétation de Renaud Herbin et Célia Houdart

Fil rouge de ce festival, les quatre spectacles de Renaud Herbin, directeur du Théâtre Jeune Public du Centre Dramatique National d’Alsace-Lorraine, est un marionnettiste inspiré,   sont des pièces visuelles et sonores en lien avec le théâtre et la littérature. La Vie des formes procède d’une rencontre fructueuse entre Renaud Herbin et la romancière, fille de Dominique Houdart et Jeanne Heuclin, couple de marionnettistes inventeur des fameux Padox, figures rondes et populaires qui ont hanté bien des rues de France et de Navarre.

Elle qui a passé son enfance dans l’atelier parental de fabrication des marionnettes et lui partagent une même familiarité  avec ces figurines inertes étranges et pourtant douées de vie. Celia Houdart égrène ses souvenirs et les impressions de vie que dégagent les marionnettes. Quand  l’une d’elles disparaît, l’atelier entier semble avoir été dévasté, puis peu à peu, une autre installation sensible prend tournure. Cette voyageuse  en Italie et ailleurs, a même voulu devenir sculptrice de marbre de Carrare.

Pendant ce récit pudique, Renaud Herbin se frotte à sa création : un personnage entre homme et marionnette, dont les articulations semblent humaines. Le marionnettiste fait corps et danse avec elle, la hissant sur ses pieds ou bien la laissant gisante au sol comme un souverain défunt. La relation avec l’autre, faite de tensions manifestes, d’inquiétude mais aussi d’accords, participe d’un échange existentiel entre deux êtres réels, l’un fictif, l’autre vivant. Un travail raffiné et délicat qui déploie tous les possibles des relations humaines.

 Véronique Hotte

Spectacles vus au Festival mondial des théâtres de marionnettes à Charleville-Mézières  du 16 au 24 septembre.
festival-marionnette.com

 

 

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