Tarkovski, le corps du poète

 

Tarkovski, le corps du poète, texte original de Julien Gaillard, extraits de textes de Antoine de Baecque et Andreï Tarkovski, mise en scène, montage de textes et scénographie de Simon Delétang

 

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©Jean-Louis Fernandez

 La démarche est poétique, hors de l’unité dramatique conventionnelle et s’accomplit dans la contemplation faite de dévoilements patients et mystérieux.

 Simon Delétang dresse ici  le portrait en fragments et le paysage mosaïque d’un poète visionnaire. Petite table et verre d’eau, une conférencière évoque l’acte de foi et d’orgueil de ce maître solitaire qui ne supporte pas la moindre trahison intérieure et milite pour la vérité : « Pourquoi une cruche de lait explose-t-elle dans Le Sacrifice ? Que fait un chien dans La Zone de Stalker ? Comment un cheval blanc traverse-t-il l’écran dans Solaris ou Nosthalgia ?, selon les commentaires avertis d’Antoine de Baecque.

 Pauline Panassenko, qui parle un beau russe tonique, accorde toute l’intensité, la conviction et l’énergie attendues de la part de l’artiste génial. Puis résonnent les basses profondes des chantres orthodoxes, et le rideau s’ouvre sur la chambre d’une villa italienne aux murs blanchis à la chaux et aux fenêtres de bois sombre qui projettent une lumière solaire sur un sol à damiers. Cela pourrait être un intérieur de Nostalghia (1983), film tourné en Italie, non loin peut-être de de la maison que Tarkovski aurait achetée pour y vivre un jour.

L’absolu reste inaccessible, au-delà de la sentimentalité et de la mélancolie pour une terre natale forcément trop lointaine. Dès 1984, il ne plus retourne plus en URSS.Au lointain, trône un large lit en fer forgé où un drap blanc recouvre le défunt sur lequel est posé une bougie fragile, lumière vivante d’un gisant qui tout à coup se met à parler.  Entre rêveries et souvenirs, Stanislas Nordey, acteur, metteur en scène et directeur du Théâtre National de Strasbourg, incarne Tarkovski dont le monologue exprime la teneur existentielle d’un artiste avisé, habité par une exigence constante. Malade cloué au lit, le créateur solitaire s’auto-analyse (Le Miroir (1974), se lève et marche.

 Surgit un paysan à la belle carrure, interprété (Jean-Yves Ruf)qui à la fois interpelle et veille l’artiste, au nom de la Russie. Quelque chose lie Tarkovski à Ivan de L’Enfance d’Ivan (1962), cette souffrance qui associe le héros aux jeunes russes de la génération des années 1960 dont il exige qu’ils ne s’endorment pas spirituellement. Les images d’eau, un thème récurrent, nourrissent les rêves, les souvenirs de Tarkovski dirigés vers la mère, femme et patrie. Un cabinet de toilette, lavabo et faïence blanche permet à l’un ou l’autre des acteurs de venir boire un verre d’eau.

 Nombreux, les journalistes, critiques et reporters radio viennent interroger le Maître : Que signifient les films Andreï Roublev (1966), Stalker (1979), Nostalghia !1983) … ? De belles énigmes auxquelles nulle réponse objective ou concrète n’est jamais dispensée. Le poète doit avoir l’imagination et la psychologie d’un enfant qui découvre le monde. Seul, il affronte tous les autres, insensé, intransigeant, malheureux et fou.

 Stanislas Nordey, alias Tarkovski, alias Don Quichotte, alias le Prince Mychkine, joue le Stalker dans la Zone, idéaliste affrontant le tragique d’un monde désespéré. Il marche en avant, épaules relevées et rentrées, bras balancés de travailleur soviétique, se tourne, reculant, pas arrière, et observe l’imaginaire déposé. Quelques scènes du film sont reprises qu’inaugure le lancer vif d’un tissu blanc sur le plateau. Thierry Gibault, présence chaleureuse et esprit facétieux, joue L’Ecrivain, et le paisible Jean-Yves Ruf le Professeur physicien. Ce duo beckettien médite sur l’art, la science et la conscience, déroulant une parabole morale aspirant à la beauté.

 Et si la beauté doit sauver le monde,prophétie dostoïevskienne, elle passe aussi par Andreï Roublev (1966), sa Russie du XVème siècle avec la passion pour Andreï Roublev, peintre d’icônes inspiré, habité par l’immensité de la terre et du peuple russes. La beauté advient encore avec l’apparition au lointain d’un détail démesurément agrandi de La Madonna del Parto de Piero della Francesca  : « les yeux tournés/ en dedans toute/ à ce qui vit en elle/ elle voit/ ce qui l’aveugle… », écrit Julien Gaillard.

 Hélène Alexandridis représente la Femme, la Fille et la Mère, prétexte d’une Annonciation où la dame aurait été prise par le vent. Elle incarne aussi Larissa, l’épouse aimée de Tarkovski dont les paroles apaisent le poète épuisé et souffrant : « Ainsi j’ai compris que je n’étais pas seule. Qu’au monde il existait encore une âme. … Comme toi, j’avance sans savoir où je vais. Comme toi, mon pas pèse sur la terre. Comme toi, il ne pèsera bientôt plus… La mémoire des morts est en nous… »

 Des évocations encore du Sacrifice (1986) – l’incendie d’une maison et d’un arbre. Avec la couleur de l’or et du feu, rappel du fond doré des icônes , envahit le dessin des murs de la maison radieuse qui luit au soleil de l’amour, de la foi et de la charité. Le plateau final est jonché de cloches, d’un chien et de bottes , rappels symboliques.

 Tarkovski, le corps du poète de Simon Delétang propose reflets et échos de l’œuvre du cinéaste, prenant le temps de la pause et du silence, laissant les solos, duos et trios advenir tandis que les autres figures scéniques restent immobiles et muettes. Les musiques sacrées de Bach, entre autres, livrent à la fresque poétique sa capacité à sculpter le temps – temps de théâtre, de méditation et de contemplation.

 Véronique Hotte

 Théâtre National de Strasbourg, salle Grüber, du 19 septembre au 29 septembre.

Théâtre Les Célestins à Lyon, du 11 au 15 octobre.

La Manufacture Théâtre des Quartiers d’Ivry, du 2 au 6 mai.

Comédie de Reims à Reims, le 11 mai.

 


Archive pour 22 septembre, 2017

Soirée Roland Petit par le Ballet de l’Opéra de Rome.

 

Soirée Roland Petit par le Ballet de l’Opéra de Rome. dans Danse img_9065

©yasuko kageyama

Soirée Roland Petit par le Ballet de l’Opéra de Rome

Alors que les programmateurs français ont tendance à négliger Roland Petit, ses chorégraphies font le bonheur les publics étrangers, en particulier en Russie et en Italie.

Eleonora Abbagnato, danseuse étoile de l’Opéra de Paris, grande interprète du maître et nouvelle directrice du corps de ballet de l’Opéra de Rome a œuvré à la renaissance de trois pièces emblématiques avec l’aide de Luigi Bonino, danseur de Roland Petit alors qu’il dirigeait le Ballet national Marseille. L’Arlésienne, créé en 1976 pour le Ballet national de Marseille, sur la célèbre musique de Georges Bizet, raconte une noce provençale contrariée par une belle Arlésienne dont le souvenir hante le marié. Les deux solistes, Alessio Rezza et Sara Loro, ont du mal à trouver le bon rythme en début de représentation, puis la pièce gagne en fluidité, grâce au danses rituelles d’inspiration provençale interprétées par le chœur de ballet.

Le jeune homme et la mort, est une pièce historique du chorégraphe : sa forte théâtralité lui a été souvent reprochée. De grands artistes ont créé, en 1946, ce tableau chorégraphique montrant un jeune peintre aux prises avec la mort qui l’envoûte sous les traits d’une jeune fille. Jean Cocteau, auteur de l’argument, en signa aussi les costumes avec Christian Bérard, et Georges Wakhévitch conçut le décor de l’atelier et des toits de Paris qui apparaissent par magie après la pendaison du jeune homme.

La partition musicale est empruntée à Johann Sebastian Bach. Créé par Jan Babilée qui l’a dansé en 1967 sur cette même scène, le rôle est tenu ce soir-là par Stéphane Bullion, danseur étoile de l’Opéra de Paris. Il compose avec Eléonora Abbagnato, un duo harmonieux et plein de tension dramatique.

Dans Carmen, c’est la chorégraphie qui l’emporte sur la narration. Créée et dansée par Roland Petit avec Zizi Jeanmaire à Londres en 1949, cette pièce aussi a été adaptée pour la télévision par Mikhail Baryshnikov, avec Zizi Jeanmaire et Luigi Bonino. Les danseurs de l’Opéra de Rome accompagnent avec fougue les excellents solistes Rebecca Bianchi et Claudio Cocino.

L’âme de Roland Petit, disparu en 2011 à Genève, a survolé cette soirée, loin de Paris et de Marseille, pour le plus grand plaisir d’un public enthousiaste.

Jean Couturier

 Opéra de Rome, du 8 au 14 septembre, Operaroma.it

Michel Vinaver, officier de la Légion d’Honneur

 

Michel Vinaver, officier de la Légion d’Honneur

 Michel-Vinaver,-1892017-miniCe lundi 18 septembre, Robert Abirached a remis cette médaille, à l’auteur dramatique vivant de langue française le plus important, avec Valère Novarina. Ce fut, aussi et surtout, l’occasion d’entendre une brillante et intelligente leçon d’histoire de théâtre contemporain. Il a d’abord rappelé que Michel Vinaver avait d’abord écrit-à vingt-trois ans-un roman vite édité chez Gallimard grâce à Albert Camus qui l’avait repéré. Avant de devenir l’auteur dramatique que l’on sait…

Engagé par la société Gillette, avant de devenir son Président Directeur Général, Michel Vinaver avait débuté à Annecy où il avait, au cours d’un stage de théâtre, rencontré Gabriel Monnet, metteur en scène et personnage important de ce que l’on a appelé la décentralisation théâtrale… Il écrivit sa première pièce Les Coréens en 56 qui fut mise en scène par Roger Planchon à Villeurbanne à la fureur des politiciens de droite et sans recevoir pour autant l’approbation des brechtiens qui faisaient un peu la loi dans le théâtre public des années cinquante.

L’œuvre, nous dit Robert Abirached, fut aussi montée peu de temps après, par Jean-Marie Serreau peu de temps après. Ce qui serait inespéré aujourd’hui! Ensuite vint une de ses pièces majeures, Par-dessus bord, en quatre versions et où, fait rare à l’époque, le jeune auteur avait adopté une toute nouvelle dramaturgie (“Tout y est banal et compliqué” disait-il, et des dialogues sans ponctuation! Puis Iphigénie Hôtel que monta Antoine Vitez.

 Robert Abirached souligna avec l’humour qu’on lui connaît, le formidable écho quand  La Saga Bettencourt fut créée il y a quelques années au Théâtre de la Colline par Christian Schiarretti. Il rappella que Michel Vinaver auteur, s’impliqua aussi dans la pédagogie des universités Paris III et Paris VIII et que ses séminaires, publiés avec succès en 1993, sous le titre Exercices de théâtre, étaient devenus un classique du genre.

Michel Vinaver, très à l’aise, remercia pour son aide avec beaucoup de sincérité Robert Abirached qui fut un temps, directeur des spectacles sous le règne de Jack Lang au Ministère de la Culture, mais aussi Audrey Azoulay, l’ex-ministre de la Culture qui lui offrit ce nouveau grade dans l’ordre de la Légion d’honneur, et enfin l’actuelle ministre Françoise Nyssen alors à la tête des éditions Actes Sud et les éditions de l’Arche qui, dit-il, eurent l’élégance de s’associer pour faire paraître son Théâtre complet.

Il tint aussi à remercier les nombreux metteurs en scène qui choisirent de monter ses pièces: en particulier  Jacques Lassalle, Alain Françon, Christian Schiaretti mais aussi entre autres, Charles Jorris, fondateur du Théâtre Populaire Romand, Anne Marie-Lazzarini, Catherine Anne, René Loyon, Jean-Pierre Vincent, et Oriza Irata au Japon. Miche Vinaver enfin évoqua avec beaucoup d’émotion les ombres qui l’aidèrent à se construire dont son père Léon, mais aussi Hubert Nyssen, Roland Barthes  qui l’aida alors qu’il était encore inconnu et qui défendit Les Coréens,  et La Fête du Cordonnier. Il évoqua aussi la figure de Boris Schloezer, traducteur de Nicolas Gogol qui s’intéressa beaucoup à son théâtre.

Michel Vinaver,  avec beaucoup de panache, dit en conclusion qu’il allait bientôt rejoindre ces ombres qu’il trouvait avoir été bienveillantes avec lui, en espérant qu’on aurait aussi la même estime à son égard.
Bref, un beau moment pour un bel auteur contemporain! Michel Vinaver méritait bien une telle fête.

 

Philippe du Vignal

Cette cérémonie a eu lieu à la SACD le 18 septembre rue Ballu, Paris VIIIème.

 

 

Le Corps utopique

 

Le Corps utopique ou Il faut tuer le chien sur une idée de Nikolaus Holz, mise en scène de Christian Lucas

le corps utopiqueDes rideaux plissés mal accrochés beige foncé, d’une laideur repoussante et qui pendouillent. Dans cet univers déjanté Face public, une très longue table bordée d’une jupe plissée verdâtre, avec les noms des participants: Colonel, Dupont, Mendhelhson, Nathan, Robi, etc. imprimés sur une petite pancarte, avec une bouteille d’eau par personne coiffée d’un verre en plastique blanc qu’une secrétaire très sérieuse à lunettes-escarpins et mini-jupe ultra-serrée va redisposer sans fin. Côté jardin, un vieux fauteuil de bureau rafistolé à coups de bandes adhésives devant un piano à queue. Et derrière un échafaudage métallique à deux niveaux.

Le colonel arrive, cheveux très courts, chemise bleu pâle et képi, avec  une serviette noire à soufflet où il va aussitôt glisser la bouteille d’eau qu’il vient de piquer à la place voisine.
Arrive un jeune punk aux cheveux rouges qui s’assied à la place marquée Robi et qui provoque rapidement la colère du colonel. Bagarres, poursuites, coup de pied aux fesses entre les deux hommes. Puis un brave bonhomme en complet et chapeau noir s’assied entre eux deux; imperturbable, il répétera souvent au cours du spectacle: “Y-a-t-il des questions à poser? « 
Puis le spectacle, une fois la table explosée par un parpaing tombé des cintres évoluera plutôt vers l’acrobatie et le jonglage. Il y a une merveille scène très poétique où,  une boule rouge en équilibre sur la tête, Nikolaus Holz marche en équilibre sur les barres d’une sorte de cage puis arrive à se glisser en dessous, toujours avec sa boule rouge sur la tête, puis à en ressortir… 

Cet univers proche de celui de Macha Makeieff et Jérôme Deschamps, avec un échafaudage, quelques planches, des barres de fer rond, et des plafonniers qui, surtout à la fin, déversent de la poudre blanche sur les personnages, a été remarquablement conçu par Raymond Sarti.  Le spectacle participe d’un exercice corporel de très haut niveau, avec Nikolaus Holz lui-même, acrobate et jongleur hors pair qui joue le colonel,  deux jeunes circassiens: Mehdi Azema, lui aussi excellent acrobate et mime exemplaire quand il joue un chien et un singe, et Ode Rosset,  très bonne comédienne(la jeune secrétaire) et aussi acrobate. Vite métamorphosée dans la seconde partie, elle reprend son costume d’acrobate. Tous deux sortis de l’Ecole Nationale des Arts du cirque de Châlons-en-Champagne. Tiens, Le Corps Utopique: une idée de sortie pour le politique Laurent Wauquiez  qui n’a pas de mots assez durs pour les écoles de cirque. (On peut avoir été élève à  Normale Sup  puis à l’E.N.A, et dire des conneries exemplaires!) Un spectacle comme celui-ci, mais il y a peu de chances qu’il le voit, lui remettrait peut-être les idées en place quand il émettra des jugements!)

Et il y a aussi le merveilleux Pierre Byland (quatre vingts-ans au compteur), grand clown de théâtre, professeur chez Jacques Lecoq et que l’on a vu autrefois comme metteur en scène et comme acteur chez-exusez-du peu-Beno Besson, Samuel Beckett, Roger Blin, Antoine Vitez, Jérôme Savary! Un personnage hors-normes comme les aimait Tadeusz Kantor, d’une grande présence scénique, avec une précision gestuelle exemplaire. Avec une silhouette de gros bonhomme un peu paumé, il apporte une touche d’humour incroyable, même si parfois ses blagues sont un peu longuettes. Mais quand il se met à jouer le début de la Cinquième de Beethoven au piano ou quand il pose sa question rituelle: “Y-a-t-il des questions?”, le public est emporté.

Soit trois générations d’acteurs-circassiens au service d’un spectacle où des objets dérisoires vont tout d’un coup acquérir une vie réelle: un gros chapeau noir, de grosses boules rouges, un simple parpaing ( qui va quand même tomber des cintres et casser une table!), une barre de fer, des gobelets en plastique, se mettent à vivre. Objets inanimés avez-vous donc une âme disait déjà Charles Baudelaire? « Les objets dit justement Nikolaus, font le lien entre les hommes-lieu et l’espace-lieu mais surtout… mais surtout ils racontent que l’homme est passé par là, qu’il était beau, qu’il était fier, qu’il voulait faire un salto tellement il était content et qu’il s’est fait mal.”

Éternelle revanche de l’objet fragile, utile quelques minutes comme ce verre en plastique mais qui en général, peut vivre beaucoup plus longtemps que l’homme! Il y a sans doute ici peu visible, mais que le public ressent profondément, une belle leçon de métaphysique. Où les artistes prennent  constamment des risques avec leur corps. “Mon corps c’est le lieu sans recours auquel je suis condamné, dit Nikolaus;  en jonglant, quand il rate, une seule fois et de peu, une boule rouge, le public, comme pour le consoler, applaudit très fort…

Belle connivence!Certes le spectacle qui vient d’être recréé, est encore un peu brut de décoffrage-il y a quelques longueurs surtout au début, une fausse fin, et des petites erreurs de mise en scène: quand Pierre Byland est au piano, la belle acrobate à sa barre verticale n’est pas bien mise en valeur ,alors qu’elle le mérite amplement.  Sinon, ne vous privez surtout pas de ce spectacle qui reste pendant quatre-vingt dix minutes, un vrai bonheur, et mon voisin, un petit garçon de cinq ans, riait sans arrêt. Un signe qui ne trompe pas!

 Philippe du Vignal

Nouveau Théâtre de Montreuil, Centre Dramatique National, Place Jean Jaurès, Montreuil (Essone) jusqu’au 29 septembre.
Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon  du 3 au 7 octobre.

 

Nos grands-mères, conception et mise en scène de Nathalie Thauvin

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Nos grands-mères, conception et mise en scène de Nathalie Thauvin

 

Un spectacle singulier, à la fois documentaire et familial  fondé sur la mémoire des grands-mères de Russie et de France, celle de la deuxième guerre mondiale. Il a été préparé à la Gare Franche de Marseille  lors d’une résidence d’été par Nathalie Thauvin. Le spectacle se passe à chaque fois un cadre différent : cette fois, dans l’ancien château de Clayes-sous-Bois (Yvelines) à l’intérieur d’abord dans des salles qui devaient appartenir autrefois aux communs mais aussi sur la terrasse, et dans le jardin devant la belle façade restaurée du château. Il y a quelque trois cent spectateurs répartis en deux groupes.

L’un est invité à entrer dans une salle où est projetée la vidéo filmée par Luc Thauvin d’une dame âgée de Clay-sous-Bois qui raconte avec une grande sensibilité, ses souvenirs de la dernière guerre avec le sauvetage d’un aviateur allié par la population. Jeunes et moins jeunes sont pétris d’émotion par ce court document remarquablement filmé par Luc Thauvin sur ce passé de la France qui, soixante-dix ans plus tard, semble toujours aussi présent. Même si la majorité du public ne l’a pas connu. Dans l’autre salle, encore un histoire de famille entre femmes, style poupées russes ! Une petite table, un samovar, quelques meubles pittoresques et des photos de famille accrochées au mur. Nous sommes dans un appartement de Moscou.

Irina Conio joue le rôle de sa mère Valentina, devant sa vieille machine à écrire, Nathalie Conio-Thauvin, la petite-fille de Valentina et metteuse en scène du spectacle, raconte sa vie pendant l’effroyable blocus de Léningrad de 41 à 45 et  Maroussia Thauvin,  la fille de Nathalie, chante des chansons russes dans la cuisine à Moscou. (Vous suivez toujours?) Nathalie Thauvin raconte: «Ma grand-mère, ma babouchka, s’appelait Valentina Vavilova, elle a vécu jusqu’en 2007. Pendant mes années d’étudiante, j’ai habité avec elle dans son appartement de Moscou. Les meubles, les photos sur les murs étaient les témoins sans parole de son histoire. Elle avait 97 ans quand elle est morte sans que je la revoie. Quand je suis entrée dans son appartement vide, au milieu des cartons des livres, et de ses dessins qu’elle faisait les dernières années de sa vie, j’ai trouvée sur la table cette enveloppe kraft.« A mes enfants et mes petits enfants. »

Dans un dernier message à la fois simple et magnifique, cette très vielle grand-mère avoue: «Je me bats contre cette dépression qui m’a prise après la mort de Papa et qui est si profonde parce que je n’ai consacré toute ma vie qu’à notre famille. Vous, mes enfants, vous avez beaucoup d’autres intérêts que la famille dans la vie. Vous vivez dans la création, intellectuelle, artistique… et c’est précieux pour aujourd’hui mais surtout pour vos vieux jours. Je vous promets, de me plaindre moins de mon moral, de ma santé, vous ne le méritez pas. Merci pour votre attention et votre amour… »

Puis les deux groupes de spectateurs se rejoignent pour aller s’asseoir dans le jardin de  l’ancien château maintenant dévolu à la médiathèque et voir une autre séquence. Cela se passe à l’intérieur devant les fenêtres ouvertes mais aussi devant la façade. Cette fois, c’est Rachel Auriol, comédienne, qui raconte et joue la vie aussi pendant la guerre en France, sa grand-mère, Jacqueline, belle-fille de Vincent Auriol, devenu ensuite président de la République.

Là aussi, une histoire de famille: le mari et les enfants de Rachel Auriol jouent le mari  et les enfants de Jacqueline. (Vous suivez toujours?)  «Nous sommes en 1942, dit Rachel, ma grand-mère Jacqueline est à Muret près de Toulouse, avec son mari, ses enfants et sa belle-famille. Son beau-père Vincent Auriol venait de voter contre les pleins pouvoirs de Pétain. Un jour, l’inspecteur Lamartre, officier de police les prévient qu’il va être arrêté par ordre du gouvernement de Vichy. Vincent doit prendre la fuite. Il s’en va avec sa femme dans l’Aveyron. Tous deux prennent le nom de Morel. Quelques semaines plus tard, mes grands parents reçoivent eux aussi un avertissement. Paul, mon grand-père, part de son côté, et ma grand-mère quitte la maison dans la nuit, avec ses deux petits garçons de quatre et un an…. Ils prennent le nom de Moune. Elle a 25 ans. »

 Jacqueline apprend de son mari les humbles mais indispensables tâches de la Résistance. Ils devaient se retrouver avec d’autres résistants chez un charpentier mais il a été dénoncé et sera fusillé avec toute sa famille. Ils logent alors se faisant passer pour un couple illégitime pour mieux sauver les apparences dans un hôtel truffé de membres de la Gestapo. On entend au loin des sirènes pour avertir la population d’aller dans les abris pour fuir les bombardements des avions allemands. Souvenir, souvenirs d’enfants : cela nous a donné le chair de poule.

On cite un formidable phrase d’Anton Tchekov qui disait en 1901, trois ans avant sa mort : «Les soi-disant classes dirigeantes ne peuvent pas longtemps se passer de guerre. Sans guerre, elles s’ennuient, l’oisiveté les fatigue, les énerve, elles ne savent plus pourquoi elles vivent, elles se dévorent entre elles se disent des méchancetés… Mais la guerre arrive, affecte chacun, elle s’immisce partout et relie les uns et les autres. »

La guerre, dit Nathalie Thauvin, est une telle épreuve qu’elle joue un rôle de loupe sur les personnalités de chacune et de chacun. Chacune s’y engage à sa manière et la raconte d’une voix singulière.Nos grands-mères se sont engagées toutes le deux pour la victoire des alliés contre les nazis: Jacqueline dans la résistance française et Valentina dans la diplomatie soviétique pour convaincre les Etats-Unis d’entrer en guerre. Elles l’ont fait avec des enfants en bas âge et des familles souvent dispersées, tout à la fois en femmes de tête et femmes de cœur. Leurs témoignages redécouverts nous ont semblé des trésors que nous avons eu envie de faire partager.

Puis on offre au public un bol d’une excellente soupe chaude, et à regarder aussi  les témoignages d’autres grands-mères de Clayes-ous-Bois, tout aussi passionnants, sur cette sale période de notre passé récent. Nous sommes invités à regagner la cour du château mais  la pluie  commence à tomber  on assiste à plusieurs séquences sur la guerre en Russie et en France, mais il y a des longueurs et des redites dans un texte sans doute moins solide. Seul bémol à ce spectacle un peu trop long surtout sous la pluie qui s’est invitée à la fin,  cette partie pourrait être éliminée sans dommage.

Mais ce spectacle est remarquable à plus d’un titre. D’abord impeccablement construit et organisé : pas évident quand il s’agit  d’une forme déambulatoire, et bien interprété par les deux solides comédiennes que sont Irina Conio, Rachel Auriol, Nathalie Thauvin qui a su aussi le mettre en scène avec habileté et pudeur mais aussi diriger une équipe d’une vingtaine d’acteurs adultes et enfants…

Nos grands-mères a connu une dizaine de représentations à la maison de George Sand à Nohant, à Ensues-la Redonne près de Marseille, puis a été repris en Russie au Centre d’Art Contemporain de Nijni-Novgorod. Chaque unique représentation nécessite un grand investissement des collectivités qui invitent le spectacle gratuit et la participation d’acteurs locaux indispensables, puisqu’à chaque fois, ce sont des grands-mères différentes qui ont été filmées.
Une  belle réussite fondée à la fois sur un curieux cocktail mais qui fonctionne parfaitement : une intelligente interprétation en famille très assumée et des souvenirs encore bien vivants de la deuxième guerre mondiale.

 Edith Rappoport et Philippe du Vignal

Spectacle vu aux Clayes-sous-Bois, le 16 septembre.

Et le 8 octobre, Maison de quartier du Roucas blanc à 18 h, 232 chemin du Roucas, Marseille (VIIème).

Les 14 et 15 octobre à la Maison des Arts et Loisirs, 233 Corniche Kennedy,  Marseille (VIIème).

 

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