Entretien avec Guy-Pierre Couleau
Entretien avec Guy-Pierre Couleau
-Vous allez célébrer les soixante-dix ans de ce qu’on a appelé encore la Décentralisation jusqu’à une date récente, soit la création des Centres Dramatiques Nationaux, dont le premier à recevoir cette appellation fut celui de Colmar que vous dirigez depuis huit ans. C’est une institution typiquement française et qui a, malgré tous ses défauts, fait ses preuves depuis longtemps.
-Oui, celui de Saint-Etienne avec Jean Dasté existait déjà mais c’est Jeanne Laurent -celle qui fit nommer Jean Vilar à la tête du T.N.P.- qui plaça André Clavé à la tête de la Comédie de l’Est à Colmar. Ce lieu reçut le label de Centre Dramatique en 1946 et André Clavé en prit les commandes l’année suivante avec une troupe de dix-huit comédiens et… un seul technicien. Rien à voir donc avec l’intendance et les moyens actuels, on était dans une sorte d’artisanat, de fabrique de travail où on mettait l’accent sur la présence et l’activité d’artistes en direction d’un public local.
Et justement, j’entends privilégier ce côté “fabrique de travail” que j’essaye d’expliciter dans mon livre En route vers le public. A Colmar (67.000 habitants), un pôle d’excellence industrielle, nous faisons tout pour nous rapprocher d’un public qui ne va pas au théâtre (exclus des banlieues de Colmar, prisonniers, etc.) et nous allons souvent jouer dans de petites villes ou villages et dans des lieux non destinés au spectacle (gymnases, halles, salles des fêtes, médiathèques…). Et nous arrivons à avoir 20.000 spectateurs par saison. Avec avec un cabaret des petites formes d’auteurs comme Bertolt Brecht, Hannoch Levin, Harold Pinter… Avec chez nous, un prix moyen de sept euros la place… Les jeunes, soit environ la moitié du public, ont une carte: culture, ce qui leur permet d’acheter leur place à 5, 50€.
-Que représente pour vous l’accès aux centres dramatiques, Scènes nationales et Scènes conventionnées, telle que l’a initié la France déjà avant, mais surtout depuis le moment où André Malraux fut ministre de la Culture?
-On ne s’en rend pas toujours compte chez nous mais cela a permis une véritable démocratisation de l’art, avec trente-huit centres dramatiques: c’est un maillage exceptionnel à côté des grand théâtres nationaux. Et dont nous pouvons être fiers. Avec dans notre région Grand-Est , les Centres Dramatiques Nationaux de Strasbourg, Reims, Nancy, Thionville et Colmar.
-Comment va se passer chez vous cet anniversaire de la Décentralisation?
-Cela concerne toute la Région du Grand-Est et j’ai voulu que ce soit un moment particulier soit l’occasion d’une réflexion et de retrouvailles entre amoureux du théâtre. Il y aura une exposition photographique, la projection d’ Une aventure théâtrale, Trente ans de décentralisation ( voir Le Théâtre du Blog), et j’ai invité du 28 au 30 septembre mes six partenaires de la Région à venir présenter chacun une petite forme. Il y aura entre autres: Vincent Goethals, ex-directeur de Bussang, qui présentera Cancrelat de Sam Holcroft, Jean Boilot du Nest-Thionville, directeur du du Nest-Thionville; il viendra avec Ma langue pèle avec Isabelle Ronayette, une imitation de trois extraits de discours des Ministres de la Culture.
Directeur du Théâtre National de Strasbourg, Stanislas Nordey fera une lecture de Ce que La Vie signifie pour moi, une sorte d’autobiographie de Jack London, etc. Et je reprendrai Don Juan revient de guerre d’Ödon Von Horvath. Il y aura aussi une table ronde à destination du public. Et trois à quatre événements par jour auxquels donnera droit un passe à 5 € pour l’ensemble du festival.
-Vous avez aussi un volet formation?
-Oui, il y a en dehors de l’Ecole supérieure du T. N. S. et de la classe d’art dramatique du Conservatoire de Colmar, ce nous appelons l’Acteurs Studio, destiné à faciliter l’insertion professionnelle de six jeunes comédiens.
-Comment se gère un Centre Dramatique National comme le vôtre?
- Notre budget est alimenté par l’Etat c’est à dire par la Nation toute entière, à hauteur de 45% et par la Région, le Département, la Ville. Nous avons eu la possibilité cette année d’avoir cent représentations en tournée en France, et un peu en Suisse et en Allemagne pour rentabiliser au maximum nos spectacles. Nous avons aussi quelques mécénats pas seulement en argent mais aussi en prestations comme Monoprix pour des goûters.
En Alsace, vieil héritage local, nous avons une particularité: nous sommes les seuls centres dramatiques sous le régime de l’association type loi 1907 (et non 1901)…Cela signifie qu’à la fin de l’année, nous devons ni avoir pertes ni bénéfices. D’où la nécessité d’avoir un volume de travail suffisant pour avoir des recettes propres. Mes collaborateurs et moi-même sommes payés selon la grille SYNDEAC et la grille des salaires va de 1 à 2,5, alors que la moyenne nationale dans le secteur privé va de 1 à 7.
-Cet anniversaire est un événement particulier pour votre ville…
-Bien sûr, ce sera à la fois un regard sur le passé mais aussi et surtout l’occasion de tracer des perspectives d’avenir… Nous essayerons de montrer que théâtre et démocratie, art et liberté, sens et solidarité, restent des partenaires indissociables pour nous tous. Le théâtre pour moi, comme il le fut pour mes prédécesseurs, pionniers de la Décentralisation, est un formidable gage de liberté de penser dans une démocratie et rend concrète une certaine forme de citoyenneté grâce à la pratique artistique. Cette démocratisation de l’art théâtral me semble fondamentale aujourd’hui et nous devons la défendre face au terrorisme et à la violence. Il n’y a aucune fatalité! La seule réponse à apporter à la peur et à la haine, doit être celle de l’intelligence de l’art et le respect de l’autre.
Philippe du Vignal
Festival du 28 au 10 septembre, Comédie de l’Est-Centre Dramatique National d’Alsace 6 route d’Ingersheim 68027 Colmar. T: 03 89 24 31 78.