La vie est un songe
La Vie est un songe de Pedro Calderon de la Barca, mise en scène de Clément Poirée
Indiscutablement, même si elle est difficile à monter, même si nous n’en comprenons pas tous les enjeux théologiques et métaphysiques, La Vie est un songe fait partie des pièces fondatrices de la culture européenne. Que les grands mots ne fassent pas peur : c’est une pièce populaire, grave et drôle, et ce pas uniquement du fait de la présence d’un valet bouffon, le «fou du roi» de cette bande de princes tous aussi fous les uns que les autres.
Le roi Basile (pléonasme de : roi) est fou d’astrologie et de prudence : les astres ont prévu pour lui un héritier tyrannique, il fait élever le bébé dans une tour, loin du monde. Rosaura, séduite et abandonnée par Astolfe a la folie de son honneur, et, déguisée en garçon, cherche sa soumission de femme. Clothalde, gardien loyal de la tour, a, lui aussi, la folie de la soumission, mais à son roi ; c’est de famille, il est , sans qu’elle le sache, le père de Rosaura. Astolfe et Etoile, les cousins héritiers indirects du trône, n’ont pour folie que d’être très contents d’eux-mêmes. Et Sigismond, le prisonnier ? Sa folie : il ignore et qu’il désire de toute ses forces, la liberté.
Donc, Basile teste son fils, qui, brusquement sorti de geôle, se voit remettre tous les pouvoirs, dont il abuse évidemment. Retour à la prison, et subterfuge : cette journée royale, il l’a rêvée, lui répète Clothalde. Mais Sigismond sait qu’il n’a pas rêvé : il a vu Rosaura, il a vu Etoile, révéré l’une, en des termes d’un poésie incroyablement raffinée pour un «sauvage», et tenté de violer l’autre…
Il sait que l’amour existe, et donc que tout cela était vrai. Délivré par une émeute populaire, il conquiert son royaume, jusqu’à comprendre, en exerçant le pouvoir, les limites et les contradictions du pouvoir. Et surtout, il finit par une sorte de pari pascalien : si la vie est un songe, parions que nos actes sont pourtant réels, et que nous devons en rendre compte. Supportons la frustration au nom d’un intérêt supérieur et d’un ordre réconciliateur. Régnons sur nous-mêmes : c’est aussi cela, devenir adulte.
La mise en scène de Clément Poirée permet d’entendre tout cela : la dimension politique et l’enjeu psychologique de la pièce. Il souligne surtout son humour : John Arnold joue un savoureux Basile dont les prévisions partent en débandade et Laurent Ménoret, un Clothalde bien mélancolique, empêtré dans ses calculs. Les jeunes premiers en restent à de plaisantes silhouettes (Louise Clodefy et Pierre Duprat). On regrettera que Rosaura (Morgane Nairaud) s’épuise dans le surjeu, même juste, et que le bouffon (Thibaut Corrion) soit en retrait. Reste Sigismond : Makita Samba ne cesse de l’approfondir, lui donnant une intériorité qui manque au reste de la distribution.
Pourquoi vouloir faire rire à tout prix ? Il faut faire confiance au public : il sait trouver le sel des situations et écouter l’ironie de l’auteur à l’égard de ses personnages. D’autre part le grand plateau de la Tempête n’est sans doute pas un cadeau, pour cette pièce : après tout, il est question d’espaces confinés, de la tour à la cour, et même dans les entrevues secrètes de la guerre, et ce vaste espace fait traîner les choses, dans un scénographie hétéroclite.
Bref, on salue le choix nécessaire de La vie est un songe, on lui souhaite un public nombreux, mais on attend plus et mieux du nouveau directeur du théâtre de la Tempête.
Christine Friedel
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 22 octobre. T.: 01 43 28 36 36