Les fourberies de Scapin

 

©Christophe Raynaud de Lage

©Christophe Raynaud de Lage

 

Les Fourberies de Scapin de Molière, mise en scène de Denis Podalydès

Un Quai Ouest koltésien universel, avec ses échafaudages pour travaux à n’en plus finir, ses palissades élevées qui cachent un peu la précieusevista maritime napolitaine – fresque de navires aux filets et voiles blanches dans un ciel à la fois lumineux et tourmenté -, la scénographie d’Eric Ruf, tendance bas-fonds de jadis ou zone de Calais réactualisée, dialogue au plus près avec l’esprit canaille du Molière des Fourberies de Scapin livrées et libérées sur le plateau, mais  avec celui de Denis Podalydès dont la mise en scène espiègle traduit le vœu de laisser claquer au vent le spectateur bousculé, enthousiaste et ravi.

1671:  deux années à vivre à Molière, installé au Théâtre du Palais-Royal en travaux, avec sa troupe qui partage les lieux avec l’acteur napolitain, Tiberio Fiorilli dit Scaramouche au passé de brigand, rénovateur du jeu italien, apprécié du roi. Molière, fasciné par la liberté de ce comédien, s’en inspire pour croquer le portrait de son valet.

Léandre et Octave, freluquets de famille, ont engagé leur foi en l’absence parentale et du coup, contre l’avis impérieux des pères. Octave, marié à Hyacinte, et Léandre, épris de Zerbinette, diseuse de bonne aventure, n’ont qu’une idée en tête, faire intervenir le valet Scapin, joli fourbe reconnu, repris de justice, complice des jeunes gens, afin de soutirer l’argent des pères avant que le destin n’arrange l’affaire.

Pour Denis Podalydès, (Scapin),  en habile manœuvrier, un statut dont il se réclame haut et fort, met à nu l’ingratitude de la jeunesse envers les aînés et le ridicule de ces pères prêts à tout pour imposer un ordre déjà arrangé par le désir des fils. Le heurt des générations est net, mais les barbons sont d’anciens freluquets et les plus jeunes deviendront tôt ou tard les vieux pères indignes et honteux d’aujourd’hui. Le comique des Fourberies puise ses sources dans les œuvres de Térence, Plaute, Tabarin, Rotrou et Cyrano de Bergerac. La situation est démesurément grave pour les jeunes gens qui voient dans leur valet roué la dernière chance possible  pour résoudre leurs problèmes.

Benjamin Lavernhe, négociateur impénitent, se fait prier pour aider les jeunes maîtres sans tête.  Scapin bavard et d’allure élancée, satisfait de sa personne, un grand poète des petits arrangements… Les autres, jeunes gens et valets, figures moliéresques privilégiées et choyées, n’en sont pas moins les spectateurs du théâtre de Scapin,admiratifs, ébahis, impressionnés, fiers d’être aussi bien représentés.

Bakary Sangaré est un Sylvestre heureux et épanoui, et les juvéniles Julien Frison (Octave), Gaël Kamilindi (Léandre) , Pauline Clément (Hyacinte) et Adeline d’Hermy (Zerbinette) sont allègres. Les barbons sont minables, comme il se doit – Gilles David pour Argante et Didier Sandre pour Géronte-, étonnés et éberlués mais cramponnés avec force à leurs biens et à leur argent en avares qui ne se renient pas.

La scène savoureuse de vengeance de Scapin pour l’affront subi par Géronte est farcesque à souhait. La grande mécanique conviée sur le plateau avec treuil, roue et chaîne métallique grinçante et bruyante  qui soulève un sac, véritable punching ball de salle de sport, à l’intérieur duquel se trouve le maudit père roué de coups de bâton. Le valet invite dans ses excès de folie un jeune spectateur à jouer du bâton à sa place.

Didier Sandre dont on connaît la belle fibre tragique, est  très convaincant dans le personnage du barbon. Avec un jeu inventif de figure obtuse et têtue, il sait donner d’égal à égal la réplique à Scapin ; il ne s’avoue jamais vaincu et résiste.Dans cette rivalité soutenue sans relâche s’intensifie le plaisir du public… De belles Fourberies excessives et vertigineuses à couper le souffle.

Véronique Hotte

Théâtre de la Comédie Française, salle Richelieu, du 20 septembre au 11 février 2018. Tél : 01 44 58 15 15

 

 

 

 

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