Haute-Surveillance de Jean Genet, mise en scène de Cédric Gourmelon
Haute-Surveillance de Jean Genet, mise en scène de Cédric Gourmelon
En 1941, Jean Genet écrit trois livres avec la prison pour espace de vie: Le Condamné à mort, Notre-Dame des Fleurs et Pour la Belle, première version de Haute-Surveillance. L’auteur n’est alors qu’un petit délinquant récidiviste purgeant en prison une condamnation pour vol, une parmi d’autres qu’il accumule. La prison, selon Michel Corvin, lui a cependant permis de faire le lien entre son passé d’aventurier( il côtoyait à la Santé, petits et grands voyous), et son présent d’exclu social, entre le froid et la faim, « trouvant dans l’écriture une revanche sur sa situation misérable : en en inversant les signes ».
Pour lui, les situations, langage et rêves inspirés de l’expérience carcérale signifient paradoxalement une évasion loin des choses insignifiantes en vue d’une liberté sacralisée, versée dans l’essentiel : « Gloire, surhumanité, gémellité héroïque des criminels ». A travers son premier titre Pour la Belle, et jusqu’à Haute-Surveillance, pièce corrigée sans cesse et réécrite de 49 à 85, le personnage de Yeux-Verts et celui de Boule de Neige, invisible, représentent les héros du Mal. Haute-Surveillance raconte la réclusion de personnages en représentation, dont Jean Genet est à la fois le créateur et le héros, chacun voulant dominer l’autre d’une prétendue différence qui ferait supériorité avec une violence sourde et une tendresses déguisées.
Le théâtre permet d’être tour à tour le lâche et le caïd, l’impulsif et le calculateur, le criminel et le saint, le Surveillant: la conscience qui voit tout par le judas de la cellule. Et le public se voit, à sa manière, incarcéré avec les prisonniers selon le vœu de l’auteur. Yeux-Verts, le caïd, celui qui est allé le plus loin dans le crime selon une dialectique propre aux gros durs, quoique Boule de Neige qu’on ne voit jamais mais souvent cité par Yeux-Verts dispose d’une aura souveraine instinctive. Une sorte de conte de Blanche-Neige à l’envers, avec un criminel et ses deux colocataires obligés, et qui est l’assassin le plus dangereux.
Autour de Yeux-Verts, Maurice, petite frappe à belle gueule, et Lefranc, plus tourmenté, écrivain public pour Yeux-Verts qui correspond avec sa femme.Posséder vraiment Yeux-Verts, un fantasme, c’est posséder encore son épouse. Pour Cédric Gourmelon, l’absence de la femme crée la tragédie, absence qui pousse les hommes à s’autodétruire: séduction, soumission et rivalité.
Jalousie amoureuse pour l’être aimé, qu’on soupçonne d’infidélité. « Comme jaloux, je souffre quatre fois : parce que je suis jaloux, parce que je me reproche de l’être, parce que je crains que ma jalousie ne blesse l’autre, parce que je me laisse assujettir à une banalité : je souffre d’être exclu, d’être agressif, d’être fou et d’être commun. »écrivait Roland Barthes, dans Fragments d’un discours amoureux.
Ce poème partagé à quatre: échange, dialogue, invocation et provocation, s’accomplit tel un cérémonial et un sacrement sur un plateau de butô, un espace circonscrit patiemment, avec méthode et rigueur, de la part du Surveillant (Pierre-Louis Calixte) avec des gestes inscrits dans la douceur. Quant aux acteurs qui incarnent les trois prisonniers , Jérémy Lopez pour Lefranc, Sébastien Pouderoux pour Yeux-Verts et Christophe Montenez pour Maurice, ils ont intériorisé l’âme du butô, fascinés par leur propre image de criminel. Graves et songeurs, rivés à leurs obsessions intimes, ces éconduits éprouvent à vif et dans la solitude, leur blessure sentimentale, morale et sociale.
Une mise en scène fidèle au poème de Jean Genet, délicate et tendue à l’extrême.
Véronique Hotte
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, du 16 septembre au 29 octobre, du mercredi au dimanche à 18h30. T. : 01 44 58 98 58