Francophonies en Limousin 2017/ Les auteurs à l’honneur
Trente-septième édition de ces rendez-vous francophones. Cette année Afrique, Suisse, Québec, Caraïbes se croisent avec des productions venues du monde arabe, comme le magnifique spectacle de l’artiste irakien exilé en Belgique, Mokhallad Rasem Body Revolution et la pièce de Jalila Baccar Violence(s) mise en scène par Fahdel Jaïbi( voir théâtre du Blog) que nous avions vus aux rencontres de Carthage (voir Théâtre du Blog). Le fameux duo tunisien poursuit sa peinture d’une société perturbée avec Peur(s).
Ce focus sur la Tunisie est assorti de rencontres et d’une exposition de photos d’Augustin Le Gall: Sous les Jasmins/Histoire d’une répression en Tunisie, au Centre culturel Jean Gagnant. Sans oublier la danse avec Seifeddine Manaï, un jeune chorégraphe qui propose deux pièces de rue, en écho aux interrogations de son pays après la Révolution. Et deux ballets de Josse de Pauw, encore inédits en France. D’autres découvertes, souvent jouées pour la première fois, sont présentées pendant ces dix jours cosmopolites.
L’imparfait du présent
Très attendues par le public, ces lectures font toujours salle comble et témoignent de la présence permanente d’écrivains de tous horizons, résidents à la Maison des auteurs des Francophonies.Les commentaires dramaturgiques menés par Michel Beretti en présence de l’auteur qui suivent, contribuent largement au succès de la manifestation. Les apprentis-comédiens de l’Arts/Théâtre-Conservatoire royal de Mons (Belgique) ont prêté leur voix à ces œuvres. La contrainte était de ramener chaque pièce à soixante minutes, au risque de ne pas rendre compte au mieux des projets d’écriture…
lecture débat de « Berlin Sequenz » © Christophe Pean
Manuel Antonio Pereira, dont nous avions apprécié Permafrost, (voir Le Théâtre du Blog) s’est immergé dans les collectifs alternatifs de Berlin, pour écrire. Dans Berlin Sequenz, un jeune révolté parcourt la ville, cherchant des réponses à sa colère, et ne veut pas pactiser avec le système : «Nous capitalisons dès la naissance, en compétition sur le marché de la réussite ». En rupture avec les actions violentes des années soixante-dix et en l’absence d’alternative radicale, ces collectifs inventent d’autres modèles économiques.
La pièce analyse finement le mur dressé entre une jeunesse impatiente de vivre et une société capitaliste cruelle. Les désarrois du jeune homme s’expriment dans une prose rythmée, et une construction rigoureuse accompagne ses errances dans «la ville qui ne dort jamais », nous livrant des portraits sensibles de marginaux en tous genres, au fil des dialogues. Malgré son fort engagement politique, l’auteur belgo-portugais nous entraîne dans un voyage initiatique émouvant.
Représentation de « Gentil Petit Chien » aux Récréâtrales de Ouagadougou, ©INÈS COVILLE
Gentil Petit Chien d’Hakim Bah
Une clochard meurt avec son chien, en sauvant la jeune Ortie lors d’une attentat à la terrasse d’un café. Ortie ramène la dépouille du défunt dans son pays. L’homme, loin d’être accueilli en héros, va être maudit par une famille qui s’est fortement endettée pour lui payer le voyage. Il sera enterré comme un chien, et son chien à lui sera dépecé en viande de boucherie, et son cercueil revendu.
La jeune fille découvre, à ses dépens, la misère et les dérives d’une société pour survivre. Mêlant récit et dialogues, l’auteur qui vit entre sa Guinée natale et la France, nous balade entre deux continents, dans un constant jeu de miroir en fausse symétrie. Un regard ironique sur les blessures des uns et des autres, porté par une écriture à la croisée des genres. « Le théâtre, dit-il, a cette générosité d’héberger la poésie et la fiction.»
Nuit de Veille de Kouam Tawa
C’est la fête des Indépendances et, au village, on bat le tambour. Après les discours officiels, chacun prend la parole, pour dire sa vie, son destin, ses idées. Ces courts monologues, tous très écrits, constituent une mosaïque où se mêlent les bruits de la rue et les annonces, jusqu’aux morts implorant qu’on ne les oublie pas.
L’écrivain camerounais s’est tourné vers le théâtre pour faire entendre les petites gens «porteurs d’une parole essentielle pour dire on est ensemble». Il déploie un vaste poème dramatique en forme de veillée libératoire, un impressionnant matériau pour un spectacle choral. Il a enthousiasmé et ému les spectateurs.
Baby-Sitter de Catherine Léger
représentation de « Baby Sitter » au Québec © Magali Cancel
Au regard des textes précédents, très investis, cette comédie peut sembler bien futile. Mais l’auteur québécoise propose ici une critique acide du politiquement correct qui affecte les sociétés occidentales. Un homme, qui a lancé en direct une blague sexiste à la télévision, fait la une de journaux et des réseaux sociaux. Viré de son travail, voué aux gémonies de ses proches, rejeté par sa femme, il décide d’écrire un livre pour présenter ses excuses… Une baby-sitter étrangement délurée vient semer la zizanie dans son couple et ébranler les dogmes féministes en vigueur. Une impressionnante machine à jouer comme les Québécois savent en faire: la plupart d’entre eux ont été formés à l’écriture à l’Ecole nationale de théâtre du Canada.
Point d’orgue de ces rencontres d’auteurs, trois prix ont été attribués cette année par de fidèles partenaires des Francophonies. Des extraits, lus par les élèves de l’Académie de théâtre de Limoges, nous ont donné à voir la couleur des pièces primées, et l’occasion d’apprécier leur style, et nous ont incité à poursuivre leur lecture.
Prix SACD de la dramaturgie francophone
Sufo Sufo prix SACD dramaturgie francophone 2017
Il a été attribué à Debout un pied de Sufo Sufo. Dans un port, au bout d’une jetée, une femme attend le bateau d’un énigmatique capitaine. Un homme veut profiter du passage. Les embûches du voyage rapproche les deux candidats à l’exil… Vont-ils enfin embarquer ? Un narrateur démiurge (l’auteur camerounais en personne ?) manipule les personnages dans ce no man’s land cruel. La langue tendue et la construction en abyme offrent une belle matière à suspense.
Le Prix RFI Théâtre
Il revient cette année à La Poupée barbue d’Edouard Elvis Bvouma, après Chemin de fer du Congolais Julien Mabiala Bissila en 2015, Tais toi et creuse de l’autrice libanaise Hala Moughanie en 2016, et Convulsions du Guinéen Hakim Bah. Suite à sa pièce, A la guerre comme à la Gameboy, histoire troublante d’un enfant-soldat, l’auteur camerounais, dans La Poupée barbue, donne la parole à une petite fille avec des mots tranchants comme la kalachnikov dont s’est emparée la gamine. Violent, le texte nous trouble par la beauté de la langue sans pourtant nous épargner les horreurs de la guerre civile. L’écrivain haïtien Dany Laferrière, président du jury annonce le résultat et loue «la variété, la richesse a la fluidité des récits (…) le fil est tendu, tenu, va jusqu’au but et nous touche au cœur (…) une sorte de drôlerie qui est la seule lueur possible ».
Prix Etc_ Caraïbe
MAGALI SOLIGNAT et CHARLOTTE BOIMARE -© Christophe-Pean
Cette association collecte et fait circuler des textes de théâtre dans toute la Caraïbe. Elle compte aujourd’hui quelques deux cents membres, de Caracas à Cuba, ou Haïti qui écrivent en français, créole, anglais, espagnol ou néerlandais. Depuis sa création, en 2003, à la Martinique, elle a permis aux écritures caribéennes d’être créées à Paris, à Bruxelles, le Québec et la Caraïbe. Un véritable vivier comme en témoigne la pièce primée Black Bird dont nous avons entendu des extraits. Les écrivaines Magali Solignat et Charlotte Boimare ont imaginé, à partir d’un fait divers sordide, l’assassinat d’un père par son fils, une comédie burlesque qui épingle la « jet ». Une belle énergie se dégage de cette comédie à quatre mains.
(A suivre)
Mireille Davidovici
Les Francophonies en Limousin www.lesfrancophonies.fr. T. : (33) 5 55 10 90 10 Berlin Sequenz est publié aux éditions Espaces 34 et Baby -Sitter aux éditions Leméac.
Les manuscrits de Gentil Petit Chien et Nuit de Veille peuvent être demandés à la Maison des auteurs : n.chausse@les francophonies.fr